Databac

Léopold-Sedar Senghor

Né à Joal-la-Portugaise (Sénégal) en 1906, de bourgeoisie sérère et de religion catholique, Léopold-Sedar Senghor est le premier africain à être reçu à l’agrégation de lettres. Sa période de formation à la Sorbonne fut d’ailleurs décisive, et il vouera à ses maîtres une reconnaissance et une admiration jamais démenties. Professeur en France, il entre en politique en 1955 comme ministre dans le Cabinet Edgar Faure, après avoir été député. L.S. Senghor est élu, après l’accession de son pays à l’indépendance Président de la République du Sénégal.
Mondialement connu pour être, avec son ami le poète martiniquais Aimé Césaire, le héraut de la Négritude, terme qui correspond selon la définition fournie par l’auteur à « l’ensemble des valeurs de civilisation du monde noir », Léopold-Sédar Senghor est sans doute avant tout le chantre le plus célèbre de l’Africanité, le troubadour du monde nègre. Car, pour l’auteur d'Hosties noires, le fait de s’être consacré à révéler, à magnifier et à promouvoir, en homme politique, un patrimoine culturel étouffé par le colonialisme ou dénaturé par un exotisme qui n’en retenait qu’un folklore superficiel, s’est accompagné d’une volonté d’exalter une terre, un peuple, par le canal d’une poésie d’inspiration entièrement originale. Le professeur de Lettres qui enseigne à Tours s’adresse à ceux qui n’ont pas eu le pouvoir de révéler leur âme mais dont le sang s’est pourtant répandu en silence pour défendre une terre étrangère : «Ecoutez-nous, Morts étendus dans l’eau au profond des plaines du Nord et de l’Est/ Recevez ce sol rouge, sous le ciel d’été ce sol rougi du sang des blanches hosties. Recevez le salut de vos camarades noirs. Tirailleurs sénégalais/ MORTS POUR LA REPUBLIQUE ». Senghor invite ses frères d’esprit européens et ses frères de race à se mettre à l’écoute des voix africaines qu’il suscite dans un appel en forme de manifeste :« Écoutons son chant, écoutons battre notre sang sombre, écoutons / Battre le pouls de l’Afrique dans la brume des villages perdus ». Rameuter des sons enfouis dans la brousse, réveiller une conscience culturelle nègre et cette « mémoire des temps sans histoire », telle est la mission que s’assigne le poète-interprète. Ayant parfaitement assimilé les ressources offertes par la prosodie française, il met celles-ci au service d’une vaste Geste qui emprunte sa tonalité et certains mots de son vocabulaire à une tradition spécifiquement africaine. Restituer au continent noir sa Parole perdue commandait en effet d’exhumer un langage et de le faire intervenir suivant un mode qui lui fût propre. C’est la raison pour laquelle Senghor associe dans son rituel d’hommage des vocables appartenant à des ethnies-Wolof, Peul et à ce pays sérère qui est le sien. « Pour moi, explique-t-il, c’est d’abord une expression, une phrase, un verset, qui m’est soufflé à l’oreille, comme un leitmotiv, et, quand je commence à écrire, je ne sais ce que sera le poème ». Mais la manifestation poétique implique d’être parcourue par un rythme ostensible parce que le verbe africain est essentiellement auditif et concret. Aussi soumet-il sa poésie à une cadence appropriée à un registre précis, et indique-t-il souvent l’accord de tel ou tel poème avec un instrument adapté, la khalam, la kôra ou le balafong qui lui sont consubstantiels. Senghor apporte toute son attention aux allitérations, au jeu des assonances, de nature à créer une poésie incantatoire parcourue d’une puissante sensualité et à suggérer d’autre part l’unité, l’harmonie et l’ivresse que procurent les terres d’hivernage : « La fragrance des mangues me monte à la nuque/ Et comme un vin de palme un soir d'orage, l’arôme féminin des goyaves / Les tempêtes suscitent les humeurs, le palais blanc s’ébranle dans ses assises de basalte ». Élégie amoureuse, invocation de toutes les forces de la nature dans une sorte de panthéisme, litanie d’inventaire, la poésie de Senghor qui se situe dans la lignée lyrique de Claudel et de Saint-John Perse se départit rarement de nostalgie, mais atteint toujours à une métaphysique grâce à ce qu’il appelle des « images-archétypes » qui traduisent un absolu africain. On a quelquefois fait grief à Senghor d’avoir utilisé le français. A maintes reprises, il a affirmé que cette langue lui paraissait non seulement la plus conforme par sa musique, sa précision, sa richesse, sa souplesse à traduire les profondeurs de l’âme africaine, mais que surtout le français constitue, par sa vocation à l’universel une expression privilégiée pour atteindre «l’homme intégral » à l’édification duquel contribue la Négritude qui représente à ses yeux une forme nouvelle d’humanisme. Le poète Senghor éclipse souvent l’homme d’Etat. Cependant, ses ouvrages théoriques expliquent, par l’ampleur de leurs perspectives politiques et culturelles, qu’il soit un des leaders les plus écoutés du Tiers-Monde, et en particulier de cette Afrique dont les paléontologues ont démontré qu’elle était le berceau de l’Humanité.