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Leiris, Michel

Écrivain et ethnologue français né en 1901. Après avoir été associé au mouvement surréaliste, il participa à l’expédition Dakar-Djibouti organisée par M. Griaule en 1931-1933. Comme militant anti-colonialiste il s’intéressa particulièrement aux populations antillaises, et comme poète et ethnographe à l’art africain. Ses enquêtes de terrain le conduisirent dans plusieurs régions d’Afrique et en Martinique, Guadeloupe et Haïti. Principales publications : L'Afrique fantôme, 1934 ; La langue secrète des Dogons de Sanga, 1948 ; Race et civilisation, 1951 ; La possession et ses aspects théâtraux chez les Éthiopiens de Gondar, 1958.

LEIRIS Michel. Ecrivain et ethnologue français. Né à Paris le 20 avril 1901. Après une enfance très « bourgeoise » et des études classiques, il fréquente entre 1924 et 1925 le groupe surréaliste, puis collabore à la revue Documents , dirigée par Georges Bataille. Secrétaire archiviste d’une mission ethnologique qui le mène de Dakar à Djibouti, il en tire un journal, L’Afrique Fantôme , publié en 1934. A partir de cette époque, il mène de front son travail d’ethnographe et son travail littéraire. Michel Leiris a également été l’un des fondateurs de la revue Les Temps modernes (1945). L’œuvre de Michel Leiris est donc placée sous le double signe de la recherche ethnographique et de la création littéraire. Bien qu’il ait écrit des poèmes — Simulacre (1925), Le Point Cardinal (1927), Glossaire j'y serre mes gloses (1940), Haut Mal (1943), Bagatelles Végétales (1956), Vivantes Cendres, innommées (1961), Nuits sans nuit (1961) — ainsi que des essais esthétiques — André Masson et son Univers (1947), Brisées (1966) — et que son œuvre ethnographique soit également importante — La Langue secrète des Dogons de Sanga (1948), Race et civilisation (1951), Contacts de civilisation en Martinique et en Guadeloupe (1955), La Possession et ses aspects théâtraux chez les Ethiopiens de Gondar (1958), Afrique Noire : la création plastique (1967) —, Michel Leiris est surtout connu pour ce qu’on doit appeler son « aventure biographique ». Le « roman » Aurora (1928), écrit sous l’influence surréaliste, marque l’entrée dans la lice littéraire de l’écrivain Leiris, avec un mémorable jeu de mot aurora / horrora, dont tout le livre constitue en quelque sorte l’explication. Peu après la publication de cet ouvrage, Leiris, en proie à un mal-être qui risque, avouera-t-il plus tard, de le conduire à des excès périlleux (il a notamment l’obsession du suicide), entre en psychanalyse. Cette expérience — sur laquelle il reste d’ailleurs fort discret — amènera un bouleversement de sa création littéraire, et marquera le début d’une aventure au terme de laquelle il faut affirmer que l’auteur a renouvelé le genre déjà ancien de l’« autobiographie ». L’Age d'homme (1939), s’ouvre par un texte liminaire : De la littérature considérée comme une tauromachie, dans lequel Leiris s’interroge sur l’acte d’écrire. Il souhaiterait que la littérature comporte la même dose de risque et d’engagement que la tauromachie. Qui dit tauromachie dit un certain rapport — ritualisé, codifié — à la mort, au sang, à l’animalité. Dit aussi une certaine « théâtralité ». L'Age d'homme marque ainsi le début d’une écriture où l’écrivain se risque, à parler dé lui-même — et rien que de lui-même — dans un espace où il est question de la mort, du sang, du sexe, de la difficulté de vivre, des fantasmes. L’œuvre de Leiris est ainsi la première — avec celle de Jouve — à avoir comme « condition de possibilité » la psychanalyse — non en tant que « théorie », mais en tant qu’expérience vécue. C’est ainsi que Pontalis a pu qualifier les textes de Leiris de « psychanalyse sans fin ». En effet, dans L'Age d'homme, Leiris nous raconte, très directement, son enfance et son adolescence. Peu d’autobiographies sont aussi franches. Mais ce récit de soi-même a quelque chose de particulier : il se fait à partir des fantasmes de l’auteur (fantasmes sexuels, fantasmes de mort, etc.). Et ces fantasmes s’incarnent, pour Leiris, dans des figures mythiques comme par exemple Judith et Lucrèce, figures à la fois porteuses de vie et de mort, de souffrance et de volupté. Loin donc d’être une confession « nue », la confession de Leiris est une mise en scène presque théâtrale, voire mélodramatique, de ses fantasmes : tout comme Freud donnait à un certain « complexe » le nom mythologique d’Œdipe, l’auteur donne à ses obsessions, ses angoisses, ses fascinations des noms emblématiques venus tout droit de la Bible ou de l’Antiquité, quand ce n’est pas de l’opéra classique. Le cycle d’ouvrages qui suit L'Age d’homme, La Règle du Jeu va approfondir et d’une certaine manière répéter jusqu’à la lassitude cette quête de soi dont l’auteur, bien entendu, espère — sans trop y croire cependant — un certain « mieux-être », la conjonction d’un « art de vivre » et d’un « art poétique ». Biffures (1948), Fourbis (1955), Fibrilles (1966) et enfin Frêle Bruit (1976) constituent les étapes successives de la psychanalyse interminable de Leiris. Bien qu'il ait montré dès Aurora un amour certain pour les mots, Leiris n’avait pas tout de suite lié sa recherche à une recherche du langage. Dans Biffures, c’est à un véritable enfouissement dans le labyrinthe de la langue que nous assistons. Reprenant sa tâche de re-mémorisation de soi pratiquement à zéro, l’auteur aborde cette « recherche du temps perdu » à partir des mots, des réseaux de mots qui semblent constituer la trame même de son « être-au-monde ». Il fouille dans les mots pour s’y re-trouver, il s’enfonce dans ce que Merleau-Ponty a appelé leur « humus », les décompose, les fait jouer entre eux, s’entrechoquer, se répondre. Il fait de l’étymologie subjective. Rarement un écrivain aura fait mieux sentir combien l’existence humaine est marquée par le langage, par les mots, par ce que la psychanalyse appelle les « chaînes de signifiants ». Le titre lui-même invite à un jeu sémantique déjà singulier : Biffures, c’est aussi Bifurs, et Leiris s’explique sur ce double sens : « Que je sois éclaire, à la fin de ces bifurs (ou prospections tentées un peu dans tous les sens) et après de multiples biffures (ou éléminations successives de valeurs illusoires) sur ce que le plus profondément je veux. » Biffer, bifurquer : la tâche est infinie, et au terme de l’ouvrage, Leiris avoue un sentiment d’échec : « ce que le plus profondément je veux » se dérobe. Fourbis (dont on remarquera que c’est le mot biffures inversé) reprend cette quête, mais en renonçant à s’enfoncer aussi profondément dans le labyrinthe des mots. Leiris parle de la mort (sa grande obsession), de sa difficulté de vivre, mais aussi d’un amour qu'il a vécu pendant la « drôle de guerre » en Afrique du Nord. L’ouvrage se rapproche de nouveau de l’autobiographie classique, comme si l’auteur, libéré de la maille des mots, pouvait affronter plus directement le réel. Fibrilles est à la fois le récit de l’engagement politique (Leiris, de 1948 à 1902, effectue de nombreux voyages dans le Tiers Monde, et particulièrement en Chine populaire) et de l’effondrement : la mort, qu'il avait peut-être voulu exorciser par les mots, fond sur lui lors d’une tentative de suicide. Frêle Bruit, enfin, marque le dénouement de toute l’entreprise (qui a duré près de trente ans) : le texte se morcelle, s’éparpille, s’éclaircit de poèmes, de courts récits, comme si Leiris reprenait sur le mode fragmentaire toutes les formes d’écriture qu’il a expérimentées depuis Aurora, La Règle du Jeu s’achève par un constat d’échec : cette recherche d’un « art poétique » qui soit également un « savoir-vivre », ou aussi bien d’une littérature qui soit une « tauromachie », cette synthèse qu’il a si longtemps cherchée (et qu’il croit retrouver chez Aimé Césaire) paraissent plus que jamais hors d’atteinte. La littérature est un labyrinthe qui nous donne perpétuellement l’illusion d’approcher la vérité. Cette conclusion pessimiste, qui cadre tout à fait avec une certaine « morosité » de Leiris, n’ôte rien à la signification de son œuvre. A partir de « prismes de miettes intimes », et d’une existence constamment menacée par l’effondrement ou par la grisaille, l’auteur a réussi à construire une œuvre. Cette œuvre, nous l’avons dit, renouvelle radicalement un genre qui, depuis Montaigne et Rousseau, ne faisait que se répéter. Ethnographe de lui-même, découvrant à sa manière que « Je est un autre » (comme est un « autre » le Dogon de Sanga), Michel Leiris nous offre l’une des aventures littéraires les plus lucides de notre siècle.