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Le mythe d’Orphée et la mort

Le mythe d’Orphée et la mort
 
=> Sources essentielles = Virgile, Ovide.
« Orphée ou l’amour impossible » (Arte - 26 minutes) : 

https://www.youtube.com/watch?v=O5iJgzSnLlY
 
a)   Le sens tragique du mythe

La mort est toujours le chemin d’un aller sans retour. Et même l’amour le plus grand, le plus fort n’y peut rien : il est dans l’ordre des choses que les hommes meurent.
Jésus lui-même pleure en apprenant la mort de son ami Lazare : bien que divin, il fait, comme vous et moi, l’expérience douloureuse de la perte de l’être aimé. Mais la résurrection de Lazare (dont les chairs étaient décomposées) montre que pour les chrétiens, « l’amour est plus fort que la mort ». Le christianisme nous promet « la mort de la mort ».
Avec le mythe d’Orphée, nous sommes chez les Grecs : toute résurrection est interdite aux mortels. Lorsque le malheureux Orphée perd sa bien-aimée, il est inconsolable et le restera… Euridyce ne reviendra pas. Tragique.
Mais, n’anticipons pas et voyons, plus précisément, ce que nous raconte ce mythe.

b)   Le récit du mythe

Orphée = Fils de Calliope (muse de la poésie), l’une des 9 muses. Évidemment musicien, le plus grand de tous. Même Apollon l’admire tant qu’il lui fait présent de sa fameuse lyre (composée d’une carapace de tortue et de boyaux de bœufs) inventée par Hermès. La lyre est un instrument à 7 cordes. La légende raconte qu’Orphée ajouta 2 cordes supplémentaires pour l’accorder au nombre des Muses (divinités des arts, inspiratrice des artistes).


Note: Orphée est à l’origine du lyrisme (expression personnelle des sentiments du poète). Le lyrisme doit en effet son nom à la lyre d’Orphée.
Lorsqu’il joue et chante les bêtes sauvages les plus féroces deviennent comme des agneaux, les poissons sautent hors de l’eau pour accompagner le rythme de la lyre, même les rochers au cœur de pierre se mettent à pleurer d’émotion ! La musique d’Orphée est magique : elle adoucit les mœurs. Elle serait « cathartique » (“purgation des passions”) selon Aristote (philosophe grec, IV av. J.C.). « CASTIGAT RIDENDO MORES »: « La comédie châtie les mœurs en riant ».
Les Muses sont des divinités sages et bienveillantes dont la mère est Mnémosyne, déesse de la mémoire, elle aurait inventé le langage, donné un nom à chaque chose.
Chez Pindare (mythographe du Ve av. J.C.): lorsqu’Orphée accompagne Jason pour conquérir la toison d’or, c’est lui qui sauve les argonautes des Sirènes, ces femmes-oiseaux dont le chant d’amour charme et tue les marins. Orphée parvient à couvrir leurs voix enivrantes et maléfiques. Il charma également le serpent gardien de la Toison d’or.
Orphée, amoureux de la sublime nymphe Eurydice (fille d’Apollon). Si belle et si bonne qu’Orphée en est follement épris. On le comprend! Elle aussi est très attachée à Orphée. On la comprend ! Amour réciproque, amour fusionnel… Ciel bleu qui va subitement s’assombrir… Les gens heureux n’ont pas d’histoire, dit-on !..
Virgile, dans les « Géorgiques » (livre IX): (L’épisode se déroule le jour même de ses Noces) Eurydice, se promenant le long du fleuve Pénée, se fait poursuivre par Aristée, qui amoureux d’elle voulait l’embrasser. Pour lui échapper Eurydice se met à courir, se retournant (déjà…) pour voir si Aristée la rattrape, elle pose par mégarde le pied sur une vipère. Piquée, elle meurt immédiatement. Aristée sera puni par les nymphes, pour cet homicide involontaire, en voyant toutes ses abeilles mourir. Enfin pardonné, ses abeilles lui reviendront.

Orphée est inconsolable : il pleure, pleure encore sa bien-aimée. Il ne voit qu’une seule solution : aller chercher lui-même Eurydice aux enfers chez Hadès (= Pluton) et Perséphone ( = Proserpine, fille de Déméter) et de la ramener du royaume des morts (dont nul jamais ne revient) vers celui des vivants.
La traversée des Enfers est effrayante, pleine d’obstacles et de périls.
Orphée doit déjà trouver la porte (d’entrée) des Enfers : le Ténare. Il doit ensuite traverser les fleuves des Enfers :
·     D’abord l’Achéron = Fleuve du chagrin. Tous les morts doivent le traverser. C’est là que le vieux et repoussant Charon demande une obole (de l’argent) pour faire passer les âmes de l’autre côté de la rive. C’est pourquoi d’ailleurs les grecs anciens mettaient des pièces d’argent sur les yeux des morts pour qu’ils puissent payer Charon, sans quoi ils restaient à errer, comme âmes en peine, sur les rives pdt 100 ans ! C’est l’une des raisons également pour laquelle Antigone voudra absolument enterrer, selon les rites funéraires, son frère Polynice (Sophocle in « Œdipe-Roi »).

·     Après, il faut longer le Cocyte = affluent de l’Achéron, c’est un torrent qui charrie les larmes des morts qui ont été injustes ou méchants.
·     Puis le Phlégéthon, un fleuve de feu et de lave en fusion. C’est Phlégyas qui le fait traverser aux morts.
·     Le Styx: rivière de la haine. Toute partie du corps qu’on y plongeait devenait invulnérable (Achille et son talon).
·     Le Léthé: fleuve de l’oubli dont l’âme des morts buvaient l’eau pour oublier leur vie passée et leur séjour dans les Enfers.

Orphée croise tous les morts, fantômes sans visage. Pire encore si cela est possible, Orphée rencontre des monstres infernaux (des enfers) et chaotiques (chez les grecs, « Chaos » s’oppose à « Cosmos »):

·     Cerbère: Horrible chien à 3 têtes, queue de serpent qui garde l’entrée du royaume des morts. Le Cerbère empêche les morts de s’échapper des Enfers et empêche les vivants d’y entrer.
·     Les Centaures: Corps de cheval et buste d'homme. A part Chiron (maître d’Achille et de Jason), les Centaures sont des créatures violentes et concupiscentes (Nessos tué par Hercule alors qu’il voulait violer Déjanire).
·     Les cent-bras (ou Hécatonchires): Fils de Gaïa et d’Ouranos. Monstres dotés de 50 têtes et de 100 bras/mains d’une incroyable force. Gardiens des Titans (vaincus par Zeus dans la Titanomachie) dans les Enfers.
·     Des Hydres: Monstres terrifiants à 9 têtes. L’hydre de Lerne sera tuée, immolée par Héraclès.
·     Les Harpyes / les Erinyes : divinités de la vengeance contre les crimes commis dans les familles, monstres avec de grandes ailes, des cheveux serpentins. L’une d’elles s’appelle Mégère !... Ce sont elles qui emporteront Œdipe vers la mort à Colone (Sophocle). Aux Enfers comme sur Terre, elles torturent les morts. Mythologie romaine = Furies.
·     La Chimère: Fille de Typhon, animal crachant le feu, tenant à la fois du lion, de la chèvre et du serpent! Bellérophon à l’aide de Pégase tua la Chimère. Expression française : « Se forger des chimères » = Se faire des illusions.
·     Les Cyclopes (étymologiquement « œil rond ») : Nés d’Ouranos et de Gaïa. Œil unique au milieu du front, très forts, un peu bêtes ! (Rappeler l’épisode d’Ulysse dans l’ « Odyssée »)
Continuant ce qu’il est convenu d’appeler sa « descente aux enfers » (voyage initiatique), Orphée croise des suppliciés célèbres :
·     Tantale: Fils de Zeus, il voulut servir de la chair humaine aux dieux, pour éprouver leur omniscience. Puni, il ne peut ni boire ni manger, l’eau et la nourriture se dérobant aux tentatives qu’il fait pour les attraper. Supplice d’être toujours affamé et assoiffé.
·     Sisyphe: Ayant dénoncer Zeus (qui avait enlevé Egine en prenant la forme d’un aigle), il est foudroyé et envoyé aux Enfers où il est condamné à rouler pour toujours un énorme rocher qui ne cesse, une fois arrivée au sommet d’une montagne, de retomber de l’autre versant. Sisyphe est aussi l’inventeur des menottes avec lesquelles il enchaîna Thanatos !
·     Ixion: Dans la mythologie grecque, roi des Lapithes (en Thessalie), premier homme à avoir tué un membre de sa famille, condamné à un supplice éternel dans le Tartare (région la plus basse des enfers grecs). Zeus lui inflige un terrible châtiment: il le condamne à être attaché par des serpents à une roue tournant éternellement.
·     Les Danaïdes: Nom des cinquante filles de Danaos. Elles épousèrent les cinquante fils d'Égyptos, le frère de Danaos. Sur l'ordre de leur père, elles tuèrent leurs époux, la nuit de leurs noces. Hypermnestre, seule, épargna son mari, Lyncée, et s'enfuit avec lui. Celui-ci vengea ses frères en tuant Danaos et ses filles ! Les Danaïdes furent alors condamnées, dans le Tartare, à remplir éternellement un tonneau sans fond. Pourquoi Hypermnestre a-t-elle sauvé Lyncée ? 2 hypothèses = soit il a épargné sa virginité le soir des Noces, soit elle l’aimait…

Orphée, par amour, est prêt à tout : retrouver Eurydice. Accompagné de sa lyre, il chante. Les suppliciés trouvent un peu de répit : Tantale cesse un instant d’avoir faim et soif, la roue d’Ixion cesse de tourner, le rocher de Sisyphe arrête sa course, même le féroce Cerbère se couche et devient un moment doux comme un épagneul ! Les Erinyes et les Harpies cessent de se venger des morts. Même Hadès et Perséphone sont sous le charme de la voix et de la musique d’Orphée. La musique « apollinienne » (cosmique) d’Orphée met un peu d’harmonie dans le désordre « dionysiaque » et chaotique des Enfers. Orphée triomphe par son art.
Perséphone, touchée par l’amour d’Orphée pour sa bien-aimée se laisse convaincre = Il pourra repartir vers la vie et la lumière avec Eurydice. Mais, à une seule condition : que celle-ci le suive en silence et que, surtout, surtout, il ne se retourne pas pour la regarder avant d’être tout à fait sorti des Enfers. Perséphone est catégorique : SURTOUT NE PAS SE RETOURNER.
OvideMétamorphoses ») = « Orphée du Rhodope (région de Thrace) obtient qu’elle lui soit rendue à la condition qu’il ne jettera pas les yeux derrière lui avant d’être sorti des vallées de l’Averne (porte d’entrée des Enfers), sinon la faveur sera sans effet. »
Eurydice suit Orphée de quelques pas. Mais, sans qu’on sache précisément pourquoi, Orphée commet l’irréparable : il se retourne… Pourquoi s’est-il retourné si près du but ? La mort de son aimée valait-elle le plaisir d'un regard ?
·             Eurydice aurait-elle trébuché ? Voulant la rattraper, Orphée se serait retourné…
·     Virgile = Fou de joie et d’amour, Orphée ne peut plus attendre. Impatience. Orphée veut se réjouir avant de pouvoir jouir du véritable retour d’Eurydice. Son amour est trop fort. En la regardant, il la perdit.
·     Ovide = Angoissé, doutant de la promesse des dieux, Orphée veut vérifier qu’Eurydice le suit : « Ils n’étaient pas loin d’atteindre la surface de la terre, ils touchaient au bord lorsque, craignant qu’Eurydice ne lui échappe et impatient de la voir, son amoureux époux tourne les yeux et aussitôt elle est entraînée en arrière ; elle tend les bras, elle cherche son étreinte et veut l’étreindre elle-même, mais l’infortunée ne saisit que l’air impalpable. En mourant une seconde fois, elle ne se plaint pas de son époux – de quoi en effet se plaindrait-elle, sinon d’être aimé? Elle lui adresse un adieu suprême qui déjà ne peut qu’à peine parvenir à ses oreilles et elle retombe dans l’abîme d’où elle sortait. » (« Métamorphoses », livre X).
Orphée croit que c’est une ruse, qu’en réalité Eurydice n’est pas derrière lui, il doute. La résurrection d’Eurydice échoue par la faute, l’impiété d’Orphée. Ce regard désigne Orphée comme désobéissant aux dieux et infidèle (« in », « fides » = sans foi) en son amour. Si Orphée avait eu la foi et avait fait confiance à Perséphone, peut-être ne se serait-il pas retourné...

Les dieux sont inflexibles. Eurydice restera à jamais dans le néant du royaume des morts. Elle meurt une deuxième fois. La sentence divine est sans appel, définitive. La mort aura le dernier mot. Pascal = « Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais. » (in « Pensées »).
Désespéré, inconsolable, anéanti, Orphée s’enferme dans la solitude et le souvenir des jours heureux avec Eurydice. A nouveau, il vit dans le passé. Dans les regrets, les remords. Incapable de tourner la page. Il refuse d’aimer une autre femme : à quoi bon ? Il est l’homme d’un seul amour. Jamais il ne pourra plus aimer…
Les femmes ne comprennent pas qu’un si beau garçon au chant si séduisant, les délaisse. Orphée serait-il même devenu homosexuel par chagrin ? Voulant ainsi rester fidèle à Eurydice ? Certains mythographes l’affirment. Plus sérieusement, comment Orphée aurait-il pu aimer une autre femme qu’Eurydice ? Hanté par son image, Orphée ne pouvait plus voir les autres femmes. L’amour aveugle.



Les femmes éconduites, les Bacchantes du « thiase » de Dionysos, le tue par dépit amoureux. Cet amour passionnel, inconditionnel d’Orphée pour Eurydice (même morte) va entraîner la jalousie des bacchantes et par là, la mort d’Orphée. Elles le découpe en morceau à l’aide de pierre et d’outils. Elles le lacèrent, le déchiquètent encore vivant, découpent ses membres un à un et jettent le tout dans le fleuve le plus proche.
La mort (« thanatos ») n’est jamais très loin de l’amour (« Éros »). Ambivalence humaine = ceux que l’on aime le plus sont paradoxalement ceux que l’on déteste aussi le plus. « Tout homme tue ce qu'il aime » (Wilde).
Qui sont les Bacchantes (ou Ménades) ? Femmes qui accompagnent Dionysos (Dieu de la fête, de l’ivresse, du vin, de la folie). Elles sont des personnalités orgiaques. Echevelées, hagardes, presque nues, couronne de lierre sur le front, éprises de vin et de désir…
Les Bacchantes ayant commis cet acte furent tuées par Dionysos (Bacchus) lorsqu'il l’apprit.
Orphée sera enterré, avec sa lyre, sur l’île de Lesbos (île peuplée uniquement de femmes). On raconte que même mort sa tête séparée de son corps il continuait à répéter le nom d'Eurydice.
Un culte lui sera rendu = l’« orphisme ». Cette religion ésotérique, mystérieuse prétendra s’inspirer des secrets qu’Orphée aurait découverts au cours de son périple dans les Enfers, percer les secrets de la vie et de la mort, parvenir à la vie éternelle.

c)   Prolongements philosophiques

N’est-ce pas la (peur de la) mort qui est la source de toutes les croyances métaphysiques ou religieuses ? Si nous étions immortels, aurions-nous besoin de nous inventer des dieux, de faire de la philosophie voire même de créer des œuvres d’art ? Schopenhauer (philosophe allemand du XIXe siècle) dira: « La mort est le génie qui inspire le philosophe, l'Apollon musagète de la philosophie… S’il n’y avait pas la mort, on ne philosopherait guère »
Revenons sur le combat d’Orphée contre la mort. Comment comprendre l’interdiction de ne pas se retourner faite par Perséphone ? Pourquoi Orphée, si près du but, s’est-il retourné ? Pourquoi le regard en arrière doit-il être fatal aux amants ?

•            Lecture chrétienne du mythe = Orphée se retourne car il doute de la parole de Dieu. Et que celui qui perd la foi est perdu et a tout perdu, car, seule la foi sauve. « Bonne Nouvelle » (« Evangile ») = résurrection des âmes et des corps # Nietzsche (penseur allemand athée du XIXe siècle) = « La foi sauve, donc elle ment. » (in « L'Antéchrist »). Pour lui, la promesse d’éternité du christianisme est mensongère. Contre ce nihilisme des « arrières-mondes », il nous propose de vivre chacun de nos instants de vie comme si c’était le dernier. A trop se préoccuper de la vie après la mort, on oublie qu’il y a une vie avant la mort !

•            La mort est irregardable : Héraclite= « Ni le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face. ». Reprise par La Rochefoucauld. Le soleil ne peut se voir sans brûler les yeux (Galilée est mort aveugle ! ...). La mort elle non plus ne peut se voir directement. // Persée utilise le bouclier-miroir d’Athéna. Persée voit le reflet de la mort, mais pas la mort en face.
Si je suis mort, c’est que je ne suis plus vivant. Dire « je suis mort » est une absurdité. On ne parle de la mort que du point de vue de la vie. Un mort ne sait pas qu’il est mort comme un idiot d’ailleurs !

·       Prolongement philosophique sur le tragique de la mort = Dès qu'un homme est né, il est assez vieux pour mourir. Tout vivant va/doit mourir. La mort est le destin de la vie. Elle est à la fois le contraire (être mort, c'est ne plus vivre) et son corollaire (seul ce qui vit peut mourir). L'homme est un « être-pour-la-mort » (Heidegger), une mort certaine mais indéterminée : nous ne savons pas quand, où, comment nous mourons. Elle est constitutive de la vie. Elle constitue une structure a priori de la conscience humaine, et donc qu'elle lui est immanente. Elle est la possibilité la plus intime, la plus ultime de notre existence, l'horizon de tous les horizons : chaque vie marche à la mort. Personne ne peut mourir à ma place : la mort est ce que j'ai de plus personnel et pourtant de plus commun. L’homme a conscience de sa finitude. Cette conscience angoissée fait de lui un « animal métaphysique » (Aristote) cad un être qui se pose les questions du sens et de la finalité de l’existence.

•            Contradiction entre l’amour et la mort = Ce qui est derrière est derrière, le passé est passé, le temps révolu est irréversible. Pas de retour à un état antérieur. La flèche du temps ne va que dans un seul sens de gauche à droite, du passé vers le futur. Temps est irréversible. Le temps ne peut être parcouru que dans un seul sens de la naissance à la mort. Impossible de remonter le temps. Quand Perséphone ordonne à Orphée de ne pas se retourner, elle lui intime l’ordre d’accepter sa condition d’humain, cad sa condition de mortel.
Chez les mortels, la mort l’emporte toujours sur l’amour. La mort rend l’amour éternel impossible. La mort a toujours le dernier mot. Le mot de la fin ! C’est peut-être ainsi qu’il faut comprendre le mot d’Aragon: « Il n’y a pas d’amour heureux ». Il n’est pas d’amour qui ne comporte aussi l’expérience de la souffrance (trahison, séparation, deuil). L’amour rend vulnérable, inquiet : « Jamais nous ne sommes davantage privés de protection contre la souffrance que lorsque nous aimons, jamais nous ne sommes davantage dans le malheur et le désaide que lorsque nous avons perdu l’objet aimé ou son amour. » Freud (« Malaise dans la culture », II, p. 25).