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L’Astrée d'Honoré d’URFÉ

L’Astrée d'Honoré d’URFÉ, 1607-1627, Folio
• Ce roman célèbre obéit à une mode devenue alors européenne, celle de la littérature pastorale, qui, dans un cadre artificiel inspiré de la poésie bucolique gréco-latine, peint le libre bonheur et les amours de bergers et de bergères. L'Italie, avec l'Arcadia de Sannazar (1502), l’Espagne, avec la Diana de Montemayor (1573) et la Galatea de Cervantès (1585), en fournissent les principaux modèles. • Urfé y exprime une philosophie de l'amour où la conception courtoise (cf. Tristan, Lancelot) se combine avec la pensée néo-platonicienne qui fait de l’amour un élan vers le beau et le bien, un enthousiasme qui porte la créature vers Dieu. • Il situe son utopie pastorale dans son pays natal, le Forez, au ve siècle après J.-C. Dans un royaume idéal protégé de la guerre, un peuple de bergers et de bergères, en qui il faut reconnaître une société aristocratique libérée des laideurs de la vie, mène une existence oisive et pure, entièrement consacrée à l’amour. Céladon et Astrée forment le couple principal. Chassé par Astrée à la suite d'un malentendu, Céladon se jette dans la rivière. Les «nymphes», c’est-à-dire les jeunes filles du pays, le sauvent, et l’une d’elles, Galatée, fille de la reine, tombe amoureuse de lui. Mais il aime toujours Astrée et finira par lui faire reconnaître la perfection de son amour après d’innombrables péripéties mêlées d’intrigues secondaires qui sont prétexte à établir toute une casuistique de l’amour. • L’Astrée a obtenu un immense succès et exercé une profonde influence morale et littéraire bien au-delà des salons précieux. C’est le code de l’amour courtois pour le XVIIe siècle.
URFÉ Honoré d'. Ecrivain français. Né à Marseille, le 10 février 1557; mort à Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes), le 1er juin 1625. Issu d’une excellente famille du Forez par son père, apparenté par sa mère à la maison ducale de Savoie, neveu du gouverneur de la Provence, Honoré d’Urfé fut élevé au château de La Bastie en Forez, puis à Paris au collège de Tournon. C’est à La Bastie, semble-t-il, et dès 1584, qu'il commença à écrire le roman qui devait faire sa gloire, L’Astrée où par plusieurs histoires et sous personnages de bergers et autres sont déduits les divers effets d’une honnête amitié . Cette longue épopée amoureuse, nous en avons la confidence de l’auteur, « n’est véritablement que l’histoire de sa jeunesse ». Le jeune Honoré s’était en effet épris de sa belle-sœur, la femme de son frère aîné, Anne d’Urfé, qu’il devait épouser plus tard — cette union ne fut d’ailleurs pas heureuse. Mais d’Urfé fut aussi un homme d’action et même un homme de guerre. Ayant pris très tôt parti pour la Ligue, il demeura fidèle, même lorsque celle-ci fut vaincue, au duc de Nemours. Arrêté deux fois, d’Urfé dut quitter le sol français et se réfugia en Savoie. C’est là qu’il écrivit Siréine, poème pastoral, allégorie de son unique amour, et des Epîtres morales où, une fois de plus, avec beaucoup d’érudition mais dans un style assez embarrassé, il défend la théorie platonicienne de l’amour. Entré au service de son parent le duc de Savoie, d’Urfé participa à plusieurs campagnes militaires et vécut tantôt en Savoie, tantôt dans son pays natal, en Forez. En Savoie, il fréquentait fort saint François de Sales et Camus, ses amis. Il périt au cours d’une attaque des troupes du duc de Savoie contre l’armée de la république de Gênes, à Villefranche-sur-Mer. Outre qu’il est le premier de nos romanciers classiques, d’Urfé a exercé une influence profonde sur les mœurs fort rudes encore de son temps, il les a polies en exaltant une délicatesse de sentiments toute nouvelle alors. L’Astrée, dont la première partie avait vu le jour en 1607, ne fut complète qu’en 1627, après la mort de l’auteur.


URFÉ Honoré d' 1567-1625 Poète et conteur, né - par hasard - à Marseille, originaire du Forez, Haute-Loire. Son enfance, passée sur les bords du Lignon, le marquera pour toujours; c’est dans ce cadre que naît, à quinze ans, son amour pour Diane de Chateaumorand (qui aime son frère). En 1590, il est soldat de la Ligue et pille avec entrain, en particulier le château (voisin du sien) d’Ésalois. Il va d’ailleurs guerroyer toute sa vie de place en place -et s’il le faut contre le roi de France, à la solde du duc de Savoie - jusqu’en 1625, année de sa mort. Entre-temps, il s’installe en maître dans le château de Diane de Chateaumorand devenue sa femme, après dix-sept années d’amour sans espoir, et dont il se sépare après trois ans (tout en conservant le château). En amateur, il écrit un poème, La Sireine (1596), des Êpîtres morales, et surtout L’Astrée, roman publié en trois parties (1607, 1610, 1619), que terminera en 1627 son secrétaire Baro, scrupuleux, et fidèle à la lettre du manuscrit (tandis que plus fidèle à l’esprit - et moins connu - Gaubertin proposait, en 1625, une autre « continuation »). Précieux, tel est le mot qui se présente infailliblement lorsqu’on parle de L’Astrée et de son auteur. C’est tout au moins l’un des deux versants de son caractère. Ce rude soldat, ce pillard, lit tous les romans à la mode, qui sont alors espagnols, ou, plus encore, italiens ; en particulier Le Berger fidèle de Guarini. Ses bergers seront donc fidèles, eux aussi, et, de plus, philosophes subtils, nourris de Platon, dissertant sur l’honnête amitié, qui est l’art de faire le siège de la bien-aimée par la seule vertu des belles et nobles paroles. On nous proposera, par exemple, une étymologie nouvelle du mot et de l’acte d’amour : c’est-à-dire faire la propre action de l’Âme (introduction du tome 3). Précieux donc, sans contredit; mais aussi gaulois, et cet aspect de l’auteur est omis régulièrement par les manuels. La notion de Gaule comporte alors un aspect résolument particulariste (ou disons : protectionniste) face à l’invasion de nos frères « latins », les Italiens, sur le plan des lettres et des mœurs. Au surplus, jamais tout à fait éteinte en France, et neutre dans ses emplois traditionnels, cette idée de Gaule va prendre peu à peu, au cours des siècles, une tonalité plus vive, plus haute en couleur, et aussi plus fanfaronne. (Ainsi : l'Histoire amoureuse des Gaules, de Bussy-Rabutin.) L’action de LAstrée précisément se situe au temps de nos ancêtres les Gaulois, ce qui donne un certain piquant, par exemple, aux raffinements de style du druide Adamas, et à ses invocations au dieu Teutatés. Quant aux bergers, Céladon, Sylvandre, Hylas, et à la bergère Astrée elle-même, ils sont tout autre chose que des allégories (outre qu’ils évoluent dans un cadre réel, les bords du Lignon, qui furent les confidents des jeunes et très malheureuses amours de l’auteur). D’Urfé reproduit les modèles qu’il a eus sous les yeux ; moins paysans sans doute que « nobles campagnards », mais pour le reste, fort à leur aise dans la nature. Rusés, joyeux; sensuels aussi. Notons, à ce propos, que les passages licencieux abondent dans LAstrée ; du moins dans les éditions complètes, les très courtes versions scolaires tendant à accentuer le caractère idéalisé des personnages. Cet aspect « platonique » existe, sans aucun doute ; et c’est précisément le côté précieux, hérité en partie des pastorales italiennes et plus encore de la tradition des romans de chevalerie (depuis l'Érec et Énide de Chrétien de Troyes). Aussi bien tel débat, institué devant témoins entre les bergers Sylvandre et Hylas, sur les mérites respectifs de la fidélité parfaite et de l’inconstance, semble-t-il renouvelé des « cours d’amour » médiévales. Et Céladon lui-même, lorsqu’il se soumet aux épreuves exigées par Astrée, n’est pas très éloigné du Lancelot de l’adorable Chrétien de Troyes. En définitive, ces deux caractères « précieux » et « gaulois », antithétiques en apparence dans cette œuvre, sont peut-être complémentaires pour un contemporain d’Honoré d’Urfé. C’est ainsi par exemple que le mot galant (souvent écrit gallant, ce qui soulignait son origine latine supposée : «gallus ») recouvrait les deux notions. Le récit d’Honoré d’Urfé, de la même façon, nous apparaît aussi gaillard que raffiné. C’est un soldat qui parle et un homme du terroir ; mais c’est en même temps un gentilhomme, et qui a beaucoup lu. Sa première disciple, Mlle de Scudéry, qu’on cite trop souvent (et trop exclusivement) ne retiendra que l’idéalisation de l’amour ; et l’on ne juge L'Astrée en général que par sa caricature que nous offre la délie et sa trop célèbre Carte du Tendre. La véritable influence exercée par d’Urfé, moins immédiate mais singulièrement plus subtile, c’est ailleurs et plus haut qu’on pourra la trouver : chez un Racine, par exemple. Et de façon plus durable chez La Fontaine ; dans Les Amours de Psyché, en particulier, qui reprennent à d’Urfé, d’autre part, l’alternance de la prose et du vers (sans parler du livret d’opéra, L’Astrée, qu’il compose à la fin de sa carrière). Le style, enfin, d’Honoré d’Urfé, naturel, étonnamment fluide, et simple (ses contemporains ne s’y sont pas trompés, parce qu’à l’inverse de notre siècle ils le connaissaient autrement que par ouï-dire), « clair, doux et majestatif », apparaît comme le premier en date des modèles de la prose française classique. Le « maniérisme de LAstrée » reste un cliché qui ne résiste pas à la lecture. Son origine est extra-littéraire : pieux mensonge pédagogique ; cf. le maniérisme de Mélicerte de Molière ; de Marivaux ; de l'Amphitryon 38 de Giraudoux. Ou de toute oeuvre qui ose utiliser la « conversation galante » comme thème poétique et que, par suite, les maîtres désespèrent de pouvoir employer, dans leurs cours, comme thème moral. Ajoutons que cette expérience agréable, cet « Embarquement pour Cythère », est à la portée de tous aujourd’hui, puisque Honoré d’Urfé est édité dans une célèbre collection au format de poche.