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L'analyse littéraire d'un texte

Cette phase de recherche, capitale car elle engage toute la suite de votre travail, sera d'une durée variable selon que vous élaborerez le commentaire en temps limité (en classe ou à l'examen) ou en temps libre chez vous, aidé de tous les ouvrages dont vous pourrez avoir besoin. Dans les deux cas, au moment où les sujets vous sont remis, vous prenez rapidement connaissance du texte. Ensuite, si votre choix se porte sur le deuxième sujet, la façon la plus efficace de procéder consiste à faire trois lectures successives, de plus en plus approfondies.

1 - LES DEUX PREMIÈRES LECTURES

a) Lisez la page posément et à haute voix quand vous travaillez chez vous et, si vous n’êtes pas seul, mentalement mais en bougeant les lèvres comme pour prononcer les mots, de manière que ce premier contact, plus sensible qu’intellectuel, soit le plus riche possible. Cette première lecture vous permet de prendre conscience de vos réactions spontanées, de percevoir, ne serait-ce que de façon confuse, l'émotion que la page suscite en vous, de noter ces premières impressions.

b) Plus intellectuelle, la deuxième lecture vise à une compréhension globale, et d'abord littérale. Elle vous conduit à élucider les difficultés formelles, puis à cerner le contenu du texte. • Élucider les difficultés du texte Des notes fournies par les «inventeurs» du sujet éclairent, au Baccalauréat, les mots les plus difficiles. Ainsi, dans un poème intitulé «Au peuple» (Hugo, "Châtiments"), définissait-on fanal : «lanterne pour guider les navires», et Vénus : «déesse née de l'écume de la mer; astre communément appelé étoile du berger». Mais parfois, devant certains termes que les examinateurs supposent connus, votre culture personnelle peut être prise en défaut. Dans ce cas, puisque vous ne disposez pas d’un dictionnaire, recourez au contexte ou procédez à des rapprochements avec des mots de la même famille. Par exemple dans le texte 1, vous éluciderez «bandeaux», dans la proposition «une femme lustrait ses bandeaux avec de la pommade», à partir du nom «bande» et du contexte immédiat, «lustrer» (rendre brillant en utilisant un produit) et «pommade » : la femme évoquée par le romancier lisse avec un cosmétique les cheveux qui enserrent son front et ses tempes. • Élucider les difficultés de la grammaire De même essayez de résoudre les éventuels problèmes syntaxiques, comme celui posé dans le même texte par la remarque «Puisqu’on était victorieux, ne fallait-il pas s’amuser?» qui est au style indirect libre (tour fréquent chez Flaubert, qui tire habilement parti de cette confusion volontaire entre le discours prononcé ou intérieur de ses personnages et celui du narrateur). • Autre source de difficultés, des allusions peuvent renvoyer à l’ouvrage lui-même ou à des réalités de toutes sortes : historiques, littéraires, religieuses, etc. C’est le cas de «notre tragédie» (texte 2) ou des «blouses» (texte 1). Le correcteur, en l’occurrence, attend de vous des éclaircissements; ne lui donnez jamais l’impression d’éluder le problème et, dans l’hypothèse d’une hésitation, avouez en toute honnêteté votre perplexité en proposant deux solutions possibles par exemple.

c) Le contenu du texte et le sens du titre.

Même si le texte littéraire ne se réduit pas à une fonction d’information, il n’en a pas moins un contenu. Cette deuxième lecture vous conduira précisément à noter son sens sous une forme lapidaire (ainsi pour le texte 1, «Le sac des Tuileries») ou plus développée, de manière à suggérer les intentions de l’écrivain («Le peuple exerce sa souveraineté nouvelle en pillant les Tuileries»). Dans un poème, le titre est évidemment à prendre en considération et à commenter, même si souvent il n’évoque qu’en partie le texte qu’il annonce : le titre «Elsa au miroir» semble ne mettre l’accent que sur le lyrisme personnel alors que le miroir reflète aussi et surtout les horreurs de la guerre.

2 - LA TROISIÈME LECTURE L'EXAMEN MINUTIEUX DU TEXTE

Avec cette étape commence une réflexion beaucoup plus approfondie sur un certain nombre de points, dont les uns sont à étudier dans tous les cas, alors que les autres varient en fonction du genre (au sens large) dans lequel s’inscrit l’ouvrage : récit romanesque (roman, nouvelle, conte) ou non romanesque (autobiographie, mémoires, journal de voyage), poésie, théâtre, textes discursifs.

A - QUELQUES RAPPELS PRÉALABLES

Pour tirer le meilleur parti des indications qui suivent, il faut que vous ayez présents à l’esprit les principes méthodologiques sur lesquels s’appuie l’exercice. • Contrairement à ce que l’on suggère encore trop souvent en se fondant sur une conception périmée de la création littéraire (l’auteur aurait dit ce qu’il voulait dire en utilisant le langage et les formes d’art de son époque ; la littérature serait un reflet du monde extérieur, mais surtout de la personnalité de l’écrivain), ce que dit un grand écrivain dépasse inévitablement ce qu’il a voulu dire et l’œuvre superpose à son expérience limitée une richesse pratiquement infinie, d’où les lectures multiples qu’elle ne cesse de susciter. • S’il importe de situer l’écrivain et ses œuvres dans le réseau complexe de ses rapports avec le monde, tout en rendant compte de sa personnalité consciente ou inconsciente, il faut aussi respecter l’autonomie de l’œuvre d’art et sa richesse. Aussi devez-vous : - lire le texte d’abord par rapport à lui-même sans autres considérations extérieures au texte, car il constitue un système à la fois linguistique et esthétique ; - considérer qu’il est précisément un ensemble autonome qui a ses lois propres et un type de cohérence particulier ; -vous rendre compte qu’il est le résultat du travail de l’auteur, mais aussi des lecteurs, dont vous faites partie. • Enfin, quand vous commentez le texte, on attend de vous une triple démarche : a) une présentation qui peut passer pour objective, encore qu’il y ait beaucoup à dire à ce sujet, car la «lecture» que l’on fait de la page n’est jamais neutre; b) une interprétation psychologique de la personnalité de l’écrivain qui tienne compte des influences subies et exercées et du contexte social d’une époque ; c) enfin, une appréciation en fonction de votre sensibilité littéraire et de votre culture.

B - LA DESCRIPTION DU TEXTE

Vous allez à présent procéder à un examen minutieux de l’extrait en vous posant une série de questions précises, relatives au texte lui-même ainsi qu’à son inscription dans une existence individuelle et dans l’Histoire. L’ancienne rhétorique, ou art de bien parler et de présenter les idées de la façon la plus persuasive, distinguait, outre «l’action», constituée par les gestes et intonations de l’orateur, trois étapes ; a) l’invention ou recherche des arguments ; b) la disposition, qui les ordonne et les enchaîne en fonction de l’objectif poursuivi : informer, démontrer, convaincre, émouvoir; c) l’élocution, qui les présente en recourant aux fameuses «figures», considérées à cette époque comme des ornements du langage. Sans revenir à un art devenu une simple technique d’ornementation du discours, du moins pouvez-vous en conserver la triple démarche pour interroger la page à commenter.

a) L’invention Posez-vous pour commencer les questions suivantes : - qu’est-ce qui est représenté (quelle est la matière du texte) ? - de quelle manière l’écrivain appréhende-t-il son travail (quelle est la tonalité du texte)? - comment le présente-t-il à son lecteur (quel est le but du texte) ? Le texte peut renvoyer : - au monde extérieur ; - à la psychologie humaine (le moi, les rapports entre les individus); - à des «réalités» qui dépassent la mesure de l’homme (héroïsme, passion, destin, etc.). En outre, chaque auteur a une façon de voir qui lui est propre. Il privilégie des sensations qui sont une certaine façon de percevoir le réel, des émotions produites par le spectacle représenté, ou des idées suscitées par lui. Vous serez donc attentifs : - à la manière de s’exprimer de l’écrivain, à son ton, qui témoigne de l’effet recherché sur le lecteur; - à sa façon de présenter le réel, au registre* (comique, tragique, romanesque, didactique, etc.) utilisé. L’auteur, par le choix des éléments qu’il opère et par la présentation qu’il en fait, cherche à exercer une certaine influence sur son lecteur, évidente comme dans le poème d’Aragon, ou beaucoup moins facile à percevoir comme dans la page de Flaubert. Dans les deux cas vous devez y prendre garde et en faire état avec précision.

b) La disposition Il s’agit de déterminer les différentes parties qui organisent le texte (on parlait autrefois de «plan») puis de réfléchir sur l’organisation adoptée par l’écrivain, car, loin d’être gratuite, elle est toujours signifiante. Cette organisation peut être : - intellectuelle et se fonder sur des idées, voire des sentiments, - spatiale et faire songer aux arts plastiques et au cinéma, - temporelle et évoquer le rythme musical. Elle est parfois facile à déceler, mais plus souvent complexe et peu perceptible en raison de glissements insensibles d’une idée à l’autre. Commencez par prendre quelques points de repère, et d’abord observez la disposition typographique qui fait apparaître, du moins en théorie, la composition d’ensemble. Dans la pratique, la succession des alinéas ou des strophes peut être trompeuse et doit vous inciter à vous demander à quelle intention précise obéit la disposition parfois inattendue qu’a choisie l’écrivain. Soyez attentifs aussi aux mots de liaison (conjonctions de coordination et adverbes) ainsi qu’aux faits grammaticaux tels que l’emploi des pronoms et des temps verbaux. Cela doit vous permettre de déterminer les différentes parties, étant entendu que chacune doit avoir son unité de sens, et de caractériser chacune d’elles à l’aide d’un titre, emprunté par exemple à la lettre même du texte. Ainsi pour l’extrait de L'Éducation sentimentale (texte 1) : 1. « Puisqu’on était victorieux, ne fallait-il pas s’amuser ? » 2. «Puis a fureur s’assombrit.» 3. «Une fille publique [...] effrayante.» Reste à apprécier la composition en elle-même et par rapport à la réalité qu’évoque le texte. Parmi d’innombrables cas de figure, les parties peuvent renvoyer : - à différents moments, notamment dans les passages narratifs ; - à différents thèmes, sentiments, idées, etc. ; - à différents modes d’expression, par exemple dans un roman, l’alternance récit / discours, narration / description ou les modulations du point de vue (toutes notions expliquées plus loin) ; - à des changements stylistiques : passage d’un style naturel à l’emphase (emploi d’un ton déclamatoire), du réalisme au lyrisme, etc.

c) L’élocution

Le texte littéraire est un objet linguistique, d’un type certes particulier puisque l’effort de l’écrivain porte sur sa structure et sa forme, mais susceptible, comme tout message, d’une triple analyse : sémantique (relative à la signification), grammaticale et phonétique (relative aux sons). Avant tout interrogez-vous sur le(s) niveau(x) de langue utilisé(s) (langue littéraire, soutenue, familière, populaire, voire argotique) qui, comme le ton et le registre (voir plus haut), révèle(nt) un certain type de rapport aux lecteurs. Examinez ensuite le lexique (l’ensemble des mots utilisés par l’écrivain) : - est-il étendu ? varié ? précis ? concret ou abstrait ? - quelles sont ses qualités intellectuelles (son pouvoir de persuasion), sentimentales (son pouvoir d’émotion), pittoresques (son pouvoir d’évocation)? - les mots clés et les champs lexicaux dominants ; il est toujours intéressant de les déterminer, ainsi que leurs rapports et leurs rencontres éventuelles, avant de les exploiter. Autre source de réflexion : les figures de rhétorique, qui sont des procédés stylistiques qui agissent sur le sens des mots en les détournant de leur acception conventionnelle, à savoir les images (comparaison ou métaphore) et la métonymie. Le niveau grammatical et syntaxique a aussi son importance, car une nouvelle catégorie de choix d’écriture s’y manifeste. Prenez en compte la part respective que fait le texte aux différentes classes de mots : noms, déterminants, adjectifs, etc., et notamment aux verbes (d’action dans la narration, d’état dans la description...). Observez le jeu éventuel des pronoms, l’emploi significatif des temps verbaux. Demandez-vous quelles sont les modalités dominantes : déclarative, interrogative, impérative, exclamative; si les phrases sont brèves ou longues, si elles s’enchaînent ou sont construites par juxtaposition sans que des mots de liaison indiquent la nature du lien qui les unit. Il faut enfin étudier la musique de la langue, en poésie bien sûr, mais également en prose. Nous reviendrons plus loin sur les principaux problèmes de versification, nous contentant pour le moment d’aborder brièvement deux domaines : les sonorités et la prosodie, dont l’analyse permet de percevoir les effets suggestifs. En observant les textes littéraires, soyez donc attentifs aux sonorités et à leurs répétitions qui, si elles n’ont guère de valeur en elles-mêmes, mettent en relief dans un contexte donné des rapports sémantiques et concourent à des effets expressifs. Ne croyez pas à la valeur immédiate, c’est-à-dire indépendante du contexte, des phonèmes (des éléments sonores), et soyez prudents quand vous abordez ce problème du symbolisme des sonorités, très discuté dans la mesure où il est difficile, quand on étudie les impressions suggérées par une phrase ou par un vers, de dissocier les phonèmes du sens général. Mais tenez compte de la répétition de ces sonorités chaque fois qu’un écrivain, volontairement ou inconsciemment, emploie un ou plusieurs phonèmes avec une fréquence dépassant la normale : - soit par jeu, comme dans le vers célèbre de Mallarmé «Aboli bibelot d’inanité sonore», - soit par harmonie imitative (Valéry écrivant dans «Le Cimetière marin »: «L’insecte net gratte la sécheresse» évoque le bruit strident des cigales».

- soit par harmonie suggestive (quand Phèdre dit à Œnone : «Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire», l’accumulation des voyelles aiguës connote la plainte qui s’exprime dans ces paroles). L’autre élément à prendre en considération est le rythme qui est constitué par le retour d’accents à intervalles perceptibles -l’accent tonique de chaque mot (Elsa) s’effaçant en français devant celui des groupements de mots ("Elsa au miroir"). Ce retour d’un phénomène comparable apparaît certes plus nettement dans les vers que dans la prose travaillée ; dans les deux cas cependant, soyez sensible à sa régularité («C’était au beau milieu de notre tragédie ») ou à ses variations quand elles vous semblent significatives : effets de contraste entre deux éléments d’inégale longueur qui composent la même phrase, ou de ralentissement par la raréfaction des accents, ou bien d’accélération par leur multiplication.

C - L’INSCRIPTION DU TEXTE DANS LE CONTEXTE

En principe chacun de vous doit être capable, compte tenu des indications indispensables fournies par le sujet, de faire le commentaire du texte proposé même s’d ne l’a jamais lu et si l’auteur lui est inconnu. Il peut même arriver au contraire qu’une connaissance superficielle de l’œuvre et de l’écrivain soit plus nuisible qu’utile, vous conduisant à plaquer sur l’extrait proposé des schémas préétablis et des idées préconçues. Il n’en reste pas moins qu’une culture étendue rend toujours de grands services. Aussi, pendant l’année scolaire, lorsque vous élaborez un devoir sans limitation de temps, avez-vous intérêt à faire des recherches sur le contexte, de manière à rassembler le maximum d’éléments susceptibles d’enrichir votre lecture (à l’examen, ou plus généralement en temps limité, vous n’en aurez pas le loisir et il vous faudra compter sur vos seules connaissances). Vous aurez de grandes chances d’utiliser un jour ou l’autre ce travail de documentation qui aura nécessairement enrichi votre sens critique, votre jugement et votre goût. Il va de soi que ces éléments d’information doivent rester un moyen pour servir le texte et non une fin en soi. Charles Péguy dénonçait avec ironie «la méthode de grande ceinture» qui conduit certains critiques à prendre le texte comme... prétexte à parler de tout sauf de lui-même. La leçon garde toute son actualité.

a) Le texte : extrait d’une œuvre Commencez par vous renseigner sur l’œuvre d’où est tiré le passage à commenter, surtout quand il s’agit d’une page de roman ou de théâtre, où l’intrigue a beaucoup d’importance et où l’extrait peut faire écho à d’autres passages. Il est intéressant par ailleurs de situer avec précision le texte dans l’ensemble de l’ouvrage, surtout quand il est pris dans une continuité. C’est notamment le cas lorsqu’on a affaire au début d’un roman, dans la mesure où le narrateur fournit certaines des conditions de lisibilité (ainsi l’ouverture d’un roman réaliste assure la mise en place des éléments du récit), ou, pour des raisons encore plus évidentes, à sa fin.

b) Le texte : création d’un auteur dans une époque donnée La référence à l’auteur est, elle aussi, susceptible d’éclairer la page proposée (circonstances de composition, thèmes favoris, etc.) à condition que vous ne tombiez pas dans le « biographisme », qui explique tout ou presque tout dans une œuvre littéraire par les circonstances de la vie de l’écrivain. Un autre élément peut vous permettre de mieux saisir la portée du texte et de réunir des éléments intéressants d’un point de vue tant historique que littéraire, c’est la connaissance de l'époque où il a été écrit.

c) Le texte et la tradition littéraire Enfin il est intéressant de voir comment le texte étudié (et au-delà, le livre entier) s’inscrit dans une tradition thématique littéraire et de chercher, le cas échéant, s’il ne renvoie pas à des thèmes symboliques que la mythologie a popularisés et qui hantent l’imagination artistique (exemples : la chevelure, le miroir, la quête initiatique, etc.).

3 - LES ASPECTS LIÉS AU GENRE

Les extraits susceptibles de vous être proposés à l’épreuve anticipée se répartissent en quatre catégories relevant d’une classification des œuvres selon leurs caractères généraux : le récit, romanesque ou à tendance autobiographique, la poésie, le théâtre, et le discours. Cette répartition en genres, en apparence réductrice et discutable parce que les œuvres échappent généralement par leur richesse à toute classification stricte, a cependant le mérite de rappeler que la littérature est aussi la conséquence de choix ou de contraintes assumés à la fois par l’écrivain dans l’élaboration de son ouvrage et par le public dans la réception qu’il en fait. Elle vous permettra en tout cas d’aborder le texte de façon efficace dans la mesure où, une fois que vous aurez identifié son genre, vous saurez poser un certain nombre de questions propres à alimenter votre réflexion. Comme l’exemple qui servira à illustrer ces conseils est une page de roman, il est nécessaire de passer en revue au préalable les constantes du genre, à partir desquelles s’élaborent les outils d’analyse.

A - LES CONSTANTES DU ROMAN

Le roman se définit comme une histoire fictive, racontée par un narrateur, inscrite dans l’espace et dans le temps et présentant des personnages qui affrontent la réalité. Il correspond donc à un art destiné à produire un effet esthétique au moyen d’un outil expressif, l’écriture romanesque (qui relève en partie des procédures qui viennent d’être rappelées).

Une fiction Un roman présente une intrigue, c’est-à-dire l’ensemble des événements racontés. Ordonnée selon une logique généralement causale et chronologique, elle répond à un schéma assez proche de celui des œuvres dramatiques (le théâtre a d’ailleurs exercé une influence durable sur le roman) : exposition, nœud, dénouement. On assiste donc à un changement à partir d’une situation donnée et sous l’influence de certaines forces. Aussi faut-il accorder une attention particulière aux premières pages, qui fournissent en général les éléments nécessaires à la compréhension de l’action en les disposant de façon à susciter l’intérêt, et aux dernières, qui exposent le nouvel ordre des choses. Le développement central donne lieu à toutes sortes de cheminements, mais toujours y est perceptible, sous une forme ou sous une autre, la volonté de composition, qu’il s’agisse de la construction d’ensemble ou de l’agencement des détails. Le romancier rapporte les faits sous une forme proprement dramatique ou les représente de trois manières : - la scène, le plus souvent dialoguée, qui enregistre les événements sans les réorganiser; - le sommaire, qui résume brièvement de nombreux faits ou une longue période de temps (on parle d’ellipse quand on passe sans transition d’un moment à un autre); - la description, qui interrompt le récit des faits par la peinture d’un «tableau».

Le point de vue du narrateur Le point de vue adopté par le narrateur correspond à deux questions : qui voit? qui parle? Pour ce qui est de la perspective narrative, on distingue : - la focalisation zéro (le narrateur est omniscient) ; - la focalisation interne (nous voyons les autres protagonistes et nous «vivons» les événements racontés à partir d’un personnage) ; - la focalisation externe (tout semble vu par un observateur extérieur). Ces trois types fondamentaux peuvent, au demeurant, se combiner. Pour ce qui est de l’énonciation narrative, le narrateur est : - soit présent dans son récit ; - soit extérieur à l’action.

L’espace Le roman est toujours situé dans un espace de référence précis et fournit des indications topographiques (relatives à la configuration d’un lieu, d’un pays) qui lui donnent sa tonalité propre. Vous devez être sensible à la fois aux formes dans lesquelles s’exprime cet espace présenté de façon statique (comme au début des romans de Balzac, parce qu’aux yeux du romancier le milieu ambiant est révélateur des personnages) ou dynamique (voir les changements de lieux dans "Madame Bovary") et aux sens multiples qu’il revêt. Un problème doit particulièrement retenir votre attention, celui de la description, qui soulève trois questions : - comment s’intègre-t-elle dans le récit? - comment s’organise-t-elle? - quel rôle joue-t-elle : ornemental ou utile pour la compréhension de la suite?

Le temps En tant que récit le roman s’inscrit dans une durée, et c’est là une des dimensions fondamentales qui l’opposent aux arts plastiques (sculpture, peinture, architecture), spatiaux par essence. Quand vous abordez cet aspect, distinguez bien le temps de l’histoire proprement dite de celui du récit. Le premier détermine une chronologie facile à percevoir avec un minimum d’attention, même si chaque écrivain rend sensible d’une manière différente l’écoulement du temps «extérieur» dans lequel sont supposés prendre place les événements racontés. Le second soulève des questions plus complexes : comme il n’est pas question de tout restituer, le romancier manipule le temps supposé réel pour mettre l’accent sur les moments les plus importants, procède à des retours en arrière et à des anticipations d’événements ultérieurs, juxtapose des séquences narratives simultanées ou encore cesse de raconter pour décrire ou commenter (pause), ou même parfois se tait (ellipse).

Les personnages Enfin le roman invente des figures fictives qui s’inscrivent dans tout un réseau de relations à l’intérieur duquel ces personnages exercent une fonction définie. N’oubliez pas cet aspect, même si dans la tradition réaliste (chez Balzac ou Zola, par exemple) le romancier essaie de faire oublier que ses personnages ne sont pas des êtres réels en leur donnant un nom, un passé, des traits physiques, des particularités, un langage, un décor susceptibles de conférer plus d’épaisseur à leur personnalité.

L’évolution contemporaine du genre De nombreux écrivains contemporains (Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Claude Simon, etc.) ont porté des attaques contre un certain roman jugé par eux caduc et qui correspond en gros à la tradition «balzacienne». Ils remettent en cause le personnage (les «héros» cèdent la place à des êtres inconsistants) et l’intrigue (le projet littéraire retient plus l’attention que l’évolution des personnages). Ils refusent le psychologisme, qui permet de lire dans les âmes, et l’illusion réaliste, qui attribue au monde extérieur des significations humaines : il faut, selon eux, que les objets soient décrits de la manière la plus extérieure et la plus neutre possible, car ils sont là pour eux-mêmes et non pour signifier. D’une façon générale le narrateur ne cherche plus à imposer sa vision du monde, laissant au lecteur une part importante de création et une grande liberté de lecture.

B - LES CONSTANTES DU RÉCIT PERSONNEL

Le roman, malgré l’importance qu’il a prise à l’époque moderne, n’est qu’un récit parmi d’autres. Œuvre de fiction, il s’oppose au récit «véridique», soit impersonnel comme l’Histoire, soit personnel et des lors écrit le plus souvent à la première personne. Le récit personnel à caractère autobiographique se présente sous des formes variées : tantôt l’auteur recherche une certaine objectivité, comme dans les Mémoires (dans ce sens, le mot est masculin) ou chroniques (relations écrites par ceux qui se sont trouvés associés aux affaires de leur temps ou qui en ont été les témoins; voir les "Mémoires de guerre" du général de Gaulle), ou comme dans les récits de voyage, tel l'Itinéraire de Paris à Jérusalem de Chateaubriand ; tantôt, pour des motifs divers, fauteur exprime sa subjectivité, son expérience intérieure, dans un but religieux ("Les Confessions" de saint Augustin, qui sont destinées à manifester la grandeur de Dieu et à contribuer au salut d’autrui) ou dans un but profane {Les Confessions, dans lesquelles Rousseau affirme la valeur universelle de sa singularité, et "Les Mots", où Sartre examine son passé d’intellectuel pour mieux le comprendre). Notre époque est friande de ce type d’ouvrages, sans doute parce que la dépersonnalisation des rapports humains suscite le besoin d’établir un contact avec autrui et l’accélération de l’histoire, celui de sauver le passé; aussi n’est-il pas rare que l’on vous en propose des extraits significatifs au Baccalauréat. Vous avez par conséquent intérêt à réfléchir aux caractéristiques propres à ce type de textes, et notamment à l'autobiographie, où l'auteur raconte sa propre existence en mettant l’accent sur sa vie individuelle et surtout sur l'histoire de sa personnalité et où il y a donc identité entre l’auteur, le narrateur et le personnage (attention ! ce n’est pas le cas dans les romans à la première personne : Alain-Fournier n’est pas plus François Seurel que Marcel Proust n’est le narrateur de "A la Recherche du temps perdu"). Vous vous interrogerez : - sur les motivations de l’écrivain: pour quelles raisons a-t-il choisi ce mode d’écriture? par vanité et amour-propre? par nécessité intérieure? pour faire le point? - sur la validité de son ambition d’être sincère, à laquelle ont été faites des objections de toutes sortes : l’autobiographe ne pourrait pas connaître psychologiquement sa propre histoire ; il aurait intérêt à «arranger» et à mentir ; il ne disposerait pas des techniques narratives adéquates à son objet; - sur l'importance du temps dans ce type de textes, non pas en ce qui concerne les éléments narratifs, mais l’auteur, qui établit une relation constante entre hier et aujourd’hui et adopte une attitude variable par rapport à son passé : complaisance, attendrissement et opinion critique, humour, etc.

 

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