La « montée en puissance d’une internationale islamiste » est un mythe qui a fait long feu
La « montée en puissance d’une internationale islamiste » est un mythe qui a fait long feu
Le triomphe de la révolution islamique d’Iran, en février 1979, a marqué le début d’une vague d’expansion de l’islamisme radical dans tout le Moyen-Orient, menaçant les régimes en place et les intérêts occidentaux. Le président égyptien Anouar el-Sadate est assassiné en octobre 1981. L’Iran, attaqué par l’Irak en septembre 1980, appelle les masses musulmanes à se soulever. En 1984, les troupes américaines et françaises cantonnées au Liban sont contraintes au retrait du fait d’attentats meurtriers, prolongés par des prises d’otages occidentaux et des actions terroristes en France (été 1985). Le Hezbollah libanais, allié de l’Iran, devient le fer de lance de la résistance à Israël. La fin des années 1980 voit la montée en puissance du parti islamiste turc Refah et du Hamas palestinien qui se revendique de l’islam et non du nationalisme arabe. De même en Algérie, le tout nouveau Front islamique de salut (FIS) fait un triomphe aux élections législatives de décembre 1991, aussitôt annulées par l’État. Au Soudan, un coup d’État militaire impose en juillet 1989 un régime islamique, dirigé par Hassan el-Tourabi. En Afghanistan, le départ des troupes soviétiques en février 1989 laisse le champ libre aux mouvements des moudjahidin les plus radicaux, soutenus par le Pakistan. Des attentats islamistes frappent les pays occidentaux (World Trade Center à New York en 1993, France en 1995, World Trade Center à nouveau et Pentagone à Washington en 2001). À côté de cet islamisme radical se développe une islamisation conservatrice de la société : réintroduction d’éléments de la charia (législation islamique) en Algérie (code de la famille de 1984) et au Pakistan (Shariat Bill en 1982), tandis que voiles et mosquées s’épanouissent un peu partout. Après l’effondrement de l’URSS, la menace islamique devient un thème à la mode.
Un reflux généralisé
Pourtant, vingt ans plus tard, le bilan apparaît décevant pour les militants islamistes. Aucune autre révolution islamique n’a éclaté ailleurs qu’en Iran, qui se trouve isolé, y compris dans le monde musulman. Les régimes arabes conservateurs sont toujours en place. En Algérie et en Turquie, après la tolérance des années 1980, l’armée a mené une contre-offensive brutale contre l’islamisme. Jamais les États-Unis n’ont été aussi militairement puissants au Moyen-Orient qu’à la suite de la guerre du Golfe de 1991, où le facteur islamique n’a joué aucun rôle. Les grands jihad, comme en Afghanistan, se sont enlisés dans des conflits internes. La vague islamiste qui tentait d’offrir une alternative supranationale aux divisions du Moyen-Orient laisse la région plus que jamais sous tutelle américaine. Le processus de paix lancé en 1993 (accords d’Oslo) impose la reconnaissance d’Israël à l’ensemble des pays arabes. Partout les islamistes radicaux sont apparus sur le déclin, parfois réduits à se réfugier en Afghanistan, comme l’activiste Oussama Ben Laden.
Comment comprendre que les mouvements islamistes aient fait long feu en moins de deux décennies ? Deux raisons à cela. Tout d’abord, les rares succès politiques (Iran, Afghanistan, Soudan) n’ont pas démontré la viabilité d’un modèle islamique de société, de justice sociale et d’économie. Une fois l’élan révolutionnaire passé, le seul critère islamique est celui de l’application stricte de la charia, du voile et de l’ordre moral. La seconde raison est que les mouvements islamistes, qui prétendaient dépasser les clivages du monde musulman pour récréer une communauté islamique (la Oumma) au-delà des nations, des ethnies et des tribus, ont au contraire contribué à renforcer les clivages existants.
L’Iran n’a pas exporté sa révolution
La révolution islamique d’Iran (février 1979) illustre bien ce dernier paradoxe : elle se veut universaliste et le Guide de la révolution (Ruhollah Khomeyni puis Ali Khamenei) peut, selon la Constitution, ne pas être un Iranien. Et pourtant, dès le déclenchement de la guerre avec l’Irak, la révolution a perdu le pari de son exportation. Contre un ennemi laïque et nationaliste, Saddam Hussein, elle ne parvient pas à faire jouer la solidarité musulmane. Les opinions publiques arabes soutiennent ce dernier tandis que les grands mouvements islamistes du monde arabe sunnite, comme les Frères musulmans, restent neutres. L’Iran ne parvient à mobiliser que dans les minorités chiites (Liban, Irak, Afghanistan, Bahreïn). Confronté à cet isolement, la révolution iranienne opère des choix de politique étrangère qui n’ont rien à voir avec la solidarité islamique : soutien aux Arméniens contre l’Azerbaïdjan, abandon des chiites d’Irak, d’Afghanistan et de Bahreïn face à la répression (de 1991 à 1998), alliance avec la Syrie laïque, liens étroits avec la Russie à propos de la mer Caspienne, etc. Le clivage entre chiites et sunnites, très atténué dans le monde musulman au cours des années 1950 et 1960, connaît un brusque regain de tension, poussant le Pakistan au bord de la guerre civile à partir de 1995.
Partout les grands mouvements islamistes se transforment en mouvements islamo-nationalistes, aux dépens des solidarités transnationales. En Turquie, le Refah a ouvertement joué le nationalisme en mettant en avant l’héritage ottoman ; le Hamas palestinien a contesté Yasser Arafat non pas sur l’islam mais sur sa « trahison » des intérêts du peuple palestinien ; le Hezbollah libanais a présenté son combat au sud du pays comme une lutte pour libérer le territoire national et il a élargi son audience aux chrétiens en reconnaissant la spécificité multi-confessionnelle du Liban ; le Conseil suprême de la révolution islamique (chiite) en Irak s’est présenté comme une alternative nationale à Saddam Hussein ; le FIS algérien s’est réclamé du « vrai » FLN (Front de libération nationale, fondé en 1954), le Parti de la réforme au Yémen a joué un rôle clé dans la réunification du pays contre les vœux de son parrain saoudien. Enfin, les grands mouvements liés à la Confrérie des Frères musulmans ont, au moment de la guerre du Golfe, pris position en fonction des intérêts de leur pays (les Jordaniens ont condamné tant Saddam Hussein que l’appel aux troupes occidentales, alors que les Koweïtiens ont approuvé ce dernier).
Un radicalisme de type nouveau
L’« assagissement » des grands mouvements islamistes et leur intégration dans une forme de nationalisme ont laissé le champ libre à un radicalisme d’un type nouveau, sunnite, conservateur, et supranational, dans son recrutement comme dans son idéologie. Il ne s’agit pas de scissions des grands mouvements, mais d’une radicalisation de milieux conservateurs (comme les taliban afghans) et de leur liaison avec des groupes radicaux et terroristes, à la fois marginalisés et radicalisés par la répression (comme les Gamaat égyptiens), dans un contexte de circulation de militants « dé-territorialisés ». Le prototype de ce mouvement est le réseau qui a été formé autour du Saoudien Oussama ben Laden (dans l’organisation al-Qaeda) avec pour slogan non pas « État islamique », ni même « charia », mais « jihad » (« guerre sainte »). Leur cible principale est l’Amérique, comme l’ont illustré les attaques contre le World Trade Center et le Pentagone américains le 11 septembre 2001.
Al-Qaeda (« La Base ») a été conçue comme une organisation « globale » qui ne s’intéresse guère aux luttes du Moyen-Orient, mais s’est concentrée sur les jihad« périphériques » (Bosnie, Tchétchénie, Afghanistan, Cachemire, Philippines) et surtout sur la lutte contre les États-Unis, reprenant, dans une rhétorique islamique, l’anti-impérialisme tiers-mondiste, apanage jusqu’alors d’une extrême gauche laïque. Al-Qaeda a recruté parmi les jeunes musulmans vivant en Europe, les déracinés du Moyen-Orient (Palestiniens de 1948), des militants qui ne se reconnaissent pas dans les luttes nationales. C’est un produit de la globalisation, ce qui en a fait la force (modernité des techniques, parfaite internationalisation) mais aussi la faiblesse (absence d’enracinement social). L’écrasement des taliban fin 2001, par une campagne conjointe de l’armée américaine et des forces afghanes anti-taliban, sans que le monde musulman ne manifeste de solidarité, a bien montré qu’al-Qaeda ressemblait plus à une secte millénariste qu’elle n’exprimait l’avant-garde militante de la contestation islamique, posant un problème sécuritaire plus que stratégique.
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