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La constitution d’ensembles économiques régionaux accompagne le mouvement de la mondialisation

La constitution d’ensembles économiques régionaux accompagne le mouvement de la mondialisation Ce n’est pas comme dans les cantines où il faut choisir entre fromage et dessert. Régionalisation et mondialisation vont de pair. L’affirmation peut surprendre : ouvrir sa porte aux voisins, n’est-ce pas, d’une certaine manière, rendre l’accès moins facile à ceux qui n’ont pas la chance d’être vos voisins ? Les nations à l’ambition libre-échangiste qui, en 1947, ont porté sur les fonts baptismaux le General Agreement on Tariffs and Trade, plus connu sous ses initiales (GATT, Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) et aujourd’hui remplacé par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), redoutaient tant cet « effet d’éviction » (appelé encore « destruction de commerce ») qu’elles l’ont sévèrement réglementé. Plus on ouvre le club, pensaient-elles, plus il y aura de chance que la concurrence soit forte, donc que les meilleurs l’emportent. Et les meilleurs, à l’époque, étaient les États-Unis (surtout) et le Royaume-Uni (un peu), qui plaidaient donc avec force en faveur d’un libre-échange généralisé et regardaient avec méfiance les accords régionaux dont l’entre-deux-guerres avait, hélas, donné trop d’exemples désastreux : on n’avait pas oublié, aux États-Unis, que l’Allemagne avait croqué l’Autriche en constituant d’abord avec elle une union de paiements. Aussi les accords régionaux de libre-échange (où chaque pays conserve sa liberté par rapport aux pays tiers) ou d’union douanière (où chaque pays doit appliquer la même règle vis-à-vis des pays tiers) n’étaient-ils autorisés qu’à condition qu’ils ne lèsent pas les intérêts des pays tiers. C’est au nom de ce principe que, en 1962, la Communautééconomique européenne (CEE) dut accorder aux États-Unis une compensation en échange de la politique agricole commune : une franchise douanière pour les importations de soja et de produits de substitution des céréales destinés à l’alimentation animale. Les organisations régionales se sont multipliées La CEE, on le sait, a réussi au-delà des espérances, et n’a cessé d’accueillir de nouveaux pays candidats à l’adhésion. Au point qu’elle a suscité de nombreux émules qui, sans aller jusqu’à un rapprochement institutionnel et politique aussi poussé, ont tenté de reproduire à leur bénéfice cette stimulation réciproque engendrée par un commerce intense entre pays proches. Sans en faire une liste exhaustive, retenons simplement les derniers-nés de ces accords régionaux : l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, entré en vigueur le 1er janvier 1994 et qui a vocation à accueillir, d’ici à 2005, tous les pays du continent américain qui le souhaiteraient ; le Mercosur (Marché commun - union douanière - du sud de l’Amérique), qui comprend le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay, entré en vigueur le 1er janvier 1995, qui compte comme membres associés le Chili et la Bolivie et cherche à se rapprocher de l’Union européenne ; l’Accord commercial de rapprochement économique (CER) entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande ; l’accord de libre-échange des pays signataires de l’Association des nations du Sud-Est asiatique (ANSEA), créée en 1967 et qui comprend le sultanat de Brunéi, l’Indonésie, la Fédération de Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, le Vietnam (depuis 1995), le Laos et la Birmanie (depuis 1997) et le Cambodge (depuis 1999). La liste, on l’aura remarqué, comprend la plupart des pays les plus dynamiques en matière de commerce international. Or cette construction progressive d’ensembles régionaux est allée de pair avec la mondialisation des échanges : le commerce au sein de la région, loin de nuire au commerce extrarégional, semble lui avoir servi de support. Ainsi, les échanges extrarégionaux des pays de l’Europe de l’Ouest sont passés de 12,5 % à 15,3 % de leur produit intérieur brut (PIB) entre 1968 et 1983. Et cette tendance se vérifie dans toutes les organisations commerciales régionales : tout se passe comme si, en ouvrant la porte aux voisins, on ouvrait aussi la porte aux pays plus lointains. Une étape vers la globalisation À la vérité, ce n’est pas étonnant. Le principal intérêt d’un accord commercial régional est de permettre aux entreprises d’élargir leur clientèle au-delà des frontières nationales. Certes, toutes n’y parviennent pas, les plus fragiles, les moins performantes sont amenées à disparaître, laminées par la concurrence nouvelle qui se déploie au sein de la zone. C’est la raison pour laquelle une bonne partie du petit patronat français craignait tant la construction européenne. Il n’y a donc pas que des gagnants. Mais pour ceux qui restent, quel avantage ! Ils peuvent produire et vendre pour de nombreux clients supplémentaires, donc bénéficier pleinement des « économies d’échelle » qui sont la poule aux œufs d’or de la production de masse : un exemplaire supplémentaire de ce livre ne coûte quasiment rien à produire, mais rapporte autant que les précédents, si bien que les gros profits se font en allongeant les séries… et en les vendant. C’est ainsi que l’Union européenne a pu construire une industrie aéronautique, ou pharmaceutique, compétitive. En évitant de s’ouvrir à tous les vents, mais en intensifiant la concurrence au sein de son territoire. Cependant, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Quand, après une phase de relative protection interne, on est devenu grand et fort, on peut se permettre d’aller chatouiller le lion sous la moustache. La régionalisation ouvre le chemin à la mondialisation, Airbus s’attaque à Boeing, Michelin concurrence Goodyear, etc. Et, à l’inverse, dans ce combat entre géants, il importe que les produits, à qualitéégale, soient aussi peu chers que possible : les composants électroniques des ordinateurs américains et japonais proviennent pour une part de Taïwan, de Chine ou de Thaïlande, cependant que Renault prend le contrôle de Nissan et Ford celui de Mazda. Pour les produits sophistiqués aussi bien que pour les produits de base, le marché est mondial, même si la base de production est régionale. L’AZT, quoique mis au point et commercialisé par un laboratoire américain, est vendu dans le monde entier, tout comme Urgences, Dallas, Coca-Cola ou Danone. Dans le domaine de la production comme dans celui de la commercialisation, la régionalisation n’est qu’une étape vers la mondialisation. Des objectifs également politiques Est-ce à dire que, par nature, les structures régionales sont vouées au dépérissement, qu’elles ne sont que des outils temporaires qui feront leur temps ? Sans doute pas : les économistes ont mis depuis longtemps en évidence ce qu’ils appellent les « effets d’agglomération », c’est-à-dire le fait que, lorsque des activités productives de nature similaire se côtoient dans une même zone géographique, il en résulte une stimulation réciproque. La Silicon Valley est l’exemple le plus connu, mais il existe bien d’autres exemples de « districts industriels » où la circulation des idées engendre des effets mutuellement profitables, tout comme la circulation des revenus. Si la structure commerciale régionale favorise ces effets, nul doute qu’elle demeurera vivante, quand bien même le libre-échange deviendrait la règle universelle. Mais, on le devine, il s’agit là de quelque chose d’éminemment fragile : les intérêts économiques ne suffisent pas à rapprocher les peuples, même s’ils y contribuent. C’est la raison pour laquelle les ensembles régionaux se fixent tous, peu ou prou, des objectifs également politiques. Au début, modestement, et de façon subsidiaire, pourrait-on dire. Mais ensuite, ces objectifs deviennent plus ambitieux et mieux affirmés, comme le montre l’exemple de l’Union européenne. Les hommes, on le sait depuis longtemps, ne vivent pas que de pain ou de télé…

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