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L’« industrie du vivant » tente de faire main basse sur le patrimoine génétique de la planète

L’« industrie du vivant » tente de faire main basse sur le patrimoine génétique de la planète En quelques années, les possibilités d’isoler et de recombiner les gènes de plantes, d’animaux et d’humains, de réduire le vivant à des objets brevetés ont permis aux multinationales de l’industrie du vivant (life industry) de prétendre imposer leur mainmise sur le patrimoine génétique de la planète, inaugurant ainsi l’« embryo-économie du vivant ». Chose étonnante, cette concentration inégalée de pouvoir économique sur les sources de vie, marquée par l’effritement des frontières entre les règnes et les espèces, entre les personnes et les choses, entre le vivant et la matière, s’est d’abord imposée dans l’imaginaire collectif par le cheval de Troie des technologies de reproduction. En moins de vingt ans, il est en effet devenu possible de concevoir des enfants à des kilomètres et à des années de distance, sans se voir ni se toucher. Le commerce -électronique et postal, institutionnel et marchand - de sperme et d’ovocytes, d’enfantement ou de gestation donne lieu aux plus folles acrobaties de la filiation. On peut troquer la conception d’un enfant pour la production de vivants, dont certains sont destinés à naître et d’autres à n’être qu’objet de congélation ou de laboratoire. Bricolage du vivant On manipule jusqu’au génome de descendants-embryonnaires, pour les juger, les jauger, les trier, alors que certains, comme le prix Nobel James Watson, ont même envisagé d’en corriger les défauts, voire d’en modifier certaines caractéristiques pour « améliorer l’espèce humaine ». D’autres ont proposé de se cloner des embryons pour se régénérer avec leurs cellules souches, renouant inconsciemment avec l’autophagie du mythe de Cronos. Certains profitent de l’effritement social et de l’abdication des États pour modifier les êtres, la nature et leur fabuleuse complexité et les réduire à leur alphabet génétique, transformé en « monnaie vivante ». Comme si tout, des plantes à l’embryon en passant par l’intelligence, était assimilable à un flux d’informations qui, grâce aux langages combinés du numéraire, de la génétique et de l’informatique, autorisait à recoder le monde. Polymorphe, le génie génétique sert également d’outil de dépistage et de sélection (tri génétique des embryons), de diagnostic et d’analyse des prédispositions à certaines maladies s’ouvrant sur la médecine prédictive. Utilisé comme instrument d’identification judiciaire (empreintes génétiques) et de gestion sociale (prédispositions génétiques pour l’embauche et pour les assurances), voilà qu’on le craint désormais pour ses usages terroristes et militaires. Toutes les combinatoires qu’autorise la transgenèse humain-animal-végétal se traduisent par des bricolages du vivant : expérimentations de cœurs «humanisés» de cochons transgéniques pour xénogreffes, animaux-usines transgéniques et clonés, telles ces chèvres montréalaises avec gènes d’humains et d’araignées, dont le lait permet de fabriquer un fil ultra-résistant, ou encore ces saumons transgéniques à croissance accélérée qu’on souhaite introduire sur le marché. La controverse des OGM Toutefois, ce ne sont pas la mutation de la procréation et les multiples usages à visées diagnostiques, thérapeutiques ou bio-industrielles des OGM (organismes génétiquement modifiés) qui ont le plus cristallisé le débat contre la « vie-marchandise » et les risques de la transgenèse, mais l’imposition d’aliments transgéniques, d’abord à l’insu des populations. Les superficies mondiales de cultures transgéniques ont connu un essor fulgurant. Pratiquement inexistantes en 1996, elles atteignaient 44,2 millions d’hectares en 2000. En Amérique, où se concentre l’essentiel de la production (68 % aux États-Unis, 23 % en Argentine et 7 % au Canada), près de cinquante végétaux transgéniques étaient, au début de 2002, autorisés pour la consommation humaine, 500 étant en attente d’homologation, et déjà plus de 70 % des aliments industriels comportaient des OGM, notamment de soja, de maïs ou de canola. Certes, ces OGM de première génération, herbicides ou insecticides à 99 %, ne concernent pas l’alimentation humaine, mais la faiblesse des recherches indépendantes, l’absence d’encadrement réglementaire rigoureux et l’impunité des firmes en cas de dommage majeur, s’ajoutant à l’impuissance des pouvoirs publics en cas de contamination de la chaîne alimentaire, comme en a témoigné la saga américaine du maïs « Starlink » en 2000, ont suscité des mobilisations légitimes. Il ne faut pas non plus oublier les effets allergènes, pesticides et antibiotiques des OGM pour la santé, les impacts irréversibles de la pollution génétique et de la perte de souches traditionnelles (comme dans le cas édifiant des maïs sauvages du Mexique, berceau biologique de cette plante, contaminés par des OGM). Les résistances aux prédateurs et l’augmentation des herbicides associés à certains OGM, comme pour le soja « Round-up Ready » aux États-Unis, menacent, par ailleurs, les équilibres écologiques et la biodiversité. Ces OGM pesticides brevetés s’imposent par des technologies génétiques à usages restrictifs (GURT en anglais), sorte de « stérilisation biologique » obligeant les paysans à racheter constamment de nouvelles semences et menaçant aussi l’autonomie et la sécurité alimentaires. Depuis les alliances et fusions entre géants de la chimie, des semences et de la pharmacie, cette « industrie du vivant » de plus en plus concentrée, où trônent les Dupont/Pioneer, Pharmacia/Monsanto, Syngenta/Norvatis, Advanta/AstraZeneca/Cosun, etc., contrôle toute la chaîne de production alimentaire, des intrants jusqu’aux réseaux de distribution en passant par la transgenèse. Les revers de l’agrogénétique Cependant, malgré sa puissance, l’agrogénétique a connu certains revers. Au début de 2002, plus d’une trentaine de pays exigaient l’étiquetage obligatoire, plusieurs villes et États se proclamaient « libres d’OGM » et de nombreuses industries et chaînes alimentaires refusaient tout OGM ou avaient déjà instauré des filières séparées. Cela a contribué à freiner la croissance mondiale des superficies portant des cultures transgéniques. Après une hausse de 17 millions d’hectares en 1997-1998, celle-ci n’a été que de 4,3 millions d’hectares en 2000, dont 84 % dans les pays en développement. Au plan international rien n’apparaissait non plus joué. Certes, le Protocole de biosécurité de la Convention mondiale sur la biodiversité (issue de la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de Rio, 1992), signé par 130 pays à Montréal en janvier 2000, reconnaît le principe de précaution [voir « La gestion des risques technologiques tend à se soumettre au principe de précaution »] comme base de décision pour les mouvements transfrontières de tous les OGM, mais seuls cinq pays l’avaient ratifié fin 2001, alors qu’il en faut cinquante pour entrer en vigueur ! Quant à l’accord FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) intitulé Engagement international sur les ressources génétiques agricoles de juillet 2001, il protège l’accessibilité de trente-cinq semences qui couvrent plus de 70 % des besoins alimentaires mondiaux, mais sa portée est limitée par les règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) sur les brevets. En fait, une véritable course contre la montre s’est engagée entre, d’une part, la progression des cultures transgéniques dans les catalogues de semences et dans les territoires, correspondant au développement de nouveaux créneaux commerciaux et, de l’autre, les initiatives visant à défendre l’autonomie alimentaire, les cultures écologiques, la santé des populations, l’équilibre des écosystèmes, ainsi que la transparence et la démocratisation.

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