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Kuhn

Kuhn
(Thomas Samuel, 1922-1996.) Philosophe et historien des sciences américain. C'est en commençant à enseigner après la guerre qu'il conçoit que l’image du progrès scientifique alors admise (sous l'influence de l'empirisme logique) ne correspond pas à la réalité. Il se consacre alors à l'histoire des sciences, qu'il enseigne au MIT de Cambridge.
+ Travaillant à partir de Duhem ou Koyré, mais acceptant aussi les données de la psychologie génétique (Piaget) et les thèses de Quine, il commence par replacer les théories de Copernic dans leur contexte culturel et religieux, pour montrer que l'évolution du savoir en astronomie dépend en grande partie des transformations du langage dans lequel il est formulé, et que sa vérité ne peut se réduire à une prétendue « correspondance » avec la réalité (La Révolution copernicienne, 1957).
+ Il généralise ensuite ce résultat dans son ouvrage sur La Structure des révolutions scientifiques (1962), qui entraîne de vastes polémiques. Kuhn y affirme en effet que la science procède, non linéairement, mais par « bonds », survenant lorsqu'un ensemble de théories (ou paradigme) est obligé de laisser la place à un nouveau paradigme, ce qui suppose une véritable conversion intellectuelle et linguistique : on ne peut exprimer des faits ou objets différents dans les concepts anciens, et les théories anciennes ne sont donc pas traduisibles dans les termes des théories ultérieures - on doit au contraire admettre qu'elles sont « incommensurables ».
♦ Accusé de relativisme, Kuhn précise dans une Postface à son ouvrage (1969) et dans de nombreux articles (La Tension essentielle, 1970) que sa conception de l'histoire est bien « développementaliste » : le concept de vérité reste absolument nécessaire pour rendre compte de l'histoire des sciences, dans la mesure où les théories successives esquissent bien un « progrès » du savoir. On doit cependant se débarrasser d'une conception du vrai comme correspondant au réel, et reconnaître que la communauté scientifique d'une époque n'est pas une réunion d'esprits purs : le passage d'un ensemble théorique à un autre suppose un bouleversement de ce qui était tenu pour la science « normale », et ne va pas sans conflits ni affrontements. Ces derniers sont analysés par un certain nombre de « sociologues des sciences » (Judith Schlanger, Bruno Latour), d'ailleurs influencés par les travaux de Kuhn.