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Julien Green

Julien Green est né à Paris le 6 septembre 1900 de parents anglo-saxons. Dernier d’une famille de sept enfants, il reçoit une éducation d’un puritanisme étouffant et poursuit ses études au lycée Janson de Sailly. Après la mort de sa mère, il lit Pascal, abjure avec son père le protestantisme en 1916 et se convertit au catholicisme. Il passe son baccalauréat en 1917, et se porte aussitôt ambulancier volontaire sur le front, avec les troupes américaines. De 1919 à 1922, il séjourne aux Etats-Unis où il est élève puis enseignant à l’Université de Virginie. Mais il se considère en « exil » et est heureux de retrouver Paris. Il hésite entre le sacerdoce et la peinture, semble choisir la peinture et s’inscrit aux cours graphiques de la Grande Chaumière. Il publie son premier texte, Pamphlet contre les catholiques de France, en 1924 sous le pseudonyme Théophile Delaporte. Il fait paraître la même année une nouvelle, Le Voyageur sur la terre, le premier texte qu’il signe de son nom. Il publie son premier roman en 1926, Mont-Cinère, et reçoit deux ans plus tard le prix Book man (le Fémina anglais) pour Adrienne Mesurat. Après trois nouveaux séjours aux U.S.A., il s’y installe en juillet 1940. Il reçoit en 1941 le Prix Harpel pour Memories of Happy Days, le seul de ses ouvrages directement écrit en anglais et qui est un ensemble de souvenirs sur la France. Mobilisé dans l’armée américaine, il est chargé de mission à l’Office of War Information en 1943 et s'adresse tous les jours aux Français par la radio. Il revient en France à la Libération, écrit plusieurs romans et se voit attribuer en 1951 le Grand Prix Littéraire de la Principauté de Monaco pour l’ensemble de son œuvre. Il se tourne alors vers le théâtre, sans abandonner cependant le roman, reçoit en 1966 le Grand Prix National des Lettres et en 1968 le Prix Ibico Régino. Membre de l'Académie Royale de Belgique, il est le lauréat en 1970 du Grand Prix de Littérature de l’Académie française, prélude à son élection sous la Coupole. Il a consacré ces dernières années à réunir ses œuvres complètes dans la Pléiade et à poursuivre la rédaction de son Journal, commencée en 1928. Angoisse de vivre, malédiction morale, dégoût de la sexualité, sentiment exacerbé de la faute, toute l’œuvre de Julien Green semble issir d’un lourd combat intérieur où la foi n’est jamais sûre de l’emporter sur la bête. Où la bête, d’ailleurs, triomphe presque toujours : les trois femmes de Mont-Cinère, son premier roman, se veulent intraitables sur le plan de la chair mais cèdent à la tentation du crime ; c’est la solitude sexuelle qui pousse une jeune fille au meurtre de son père dans Adrienne Mesurât ; le vœu d’abstinence de l’étudiant Joseph Day, dans Moïra, le conduira à tuer la jeune femme à laquelle il a enfin cédé ; au théâtre, cette même dialectique carcérale et simpliste « chair contre esprit » a trouvé sa meilleure expression dans Sud : le lieutenant Wicziewski, homosexuel, ne supporte pas les infortunes sentimentales que lui vaut cette « anomalie » et se laissera tuer en duel par le jeune homme qu’il aime en secret. Tous les personnages greeniens semblent maudits de naissance, c’est-à-dire éternellement, ce que l’auteur atteste d’une certaine manière lors qu’il reconnaît: «Il n’y a pas de roman sans poison. » Quel salut, dans ces conditions ? Puisqu’il faut bien sortir de l’enfance et de son « don merveilleux de voir les choses telles qu’elles ne sont pas », comment dès lors éviter la rencontre du mal ? La foi, chez Julien Green, est un fil tendu sur un abîme d’horreurs, ce qui paradoxalement rend l’auteur de Léviathan plus proche du pessimisme existentiel de Sartre que de la volonté puriste d’un Mauriac. Quant aux sournoises complaisances de Gide pour les péchés de chair, nous en sommes bien loin dans l’œuvre de Green qui dissimule sa sensualité sous des édredons de pudeur, maniant un vocabulaire bourré de litotes, d’amères douceurs et de locutions mystiques. Le langage romanesque de Julien Green, si accordé soit-il à la voix basse du confessionnal, n’occulte pourtant jamais ni l’enjeu, ni la mécanique, ni l’issue de ses récits, qui pourraient tous porter en exergue cette phrase de son Journal : « Il n ’y a jamais que deux types d’humanité que j’aie vraiment bien compris, c’est le mystique et le débauché, parce que tous deux volent aux extrêmes et cherchent, l’un et l’autre à sa manière, l’absolu. » Comment la grâce peut vaincre le péché, son œuvre romanesque ne le dit qu’à mi-mots et son théâtre ne le suggère qu’avec de lourdes ambiguïtés. Mais le Journal qu’il tient depuis 1928 — et qui est moins un regard sur le monde, dont les enchantements l’effraient, que sur lui-même et son œuvre — nous l’indique plus clairement : il n’y a de possible salut que dans l’appronfondissement de la vie intérieure. «Le romancier n’invente rien, il devine. Il ne se trompera pas s’il obéit à cette voix intérieure qui parle en chacun de nous et nous dit quand nous restons dans la vérité et quand nous en sortons. La vérité intérieure est la seule qui soit vraiment essentielle ; le reste, si beau, si séduisant soit-il, n’est que de l’accessoire. » Julien Green ne pouvait mieux définir sa parfaite solitude dans un monde où l’accessoire est roi. Né « avec le siècle », comme on dit, il ne s’est jamais mêlé à lui, sinon pour des obligations guerrières ou mondaines ; il n’a jamais cherché à accompagner les aventures et les interrogations de son temps. Étrange écrivain, qui ne fut jamais occupé parmi les hommes que de mettre sa foi en accord avec une religion : il traversa plusieurs crises, abjurant le protestantisme à seize ans, épousant aussitôt le dogme catholique, mais le vivant jusqu’à la quarantaine à travers un agnosticisme dont ses premiers livres conservent la trace, s’approchant de la mystique bouddhiste, et se convertissant enfin définitivement au catholicisme. « Aimer à en mourir quelqu’un dont on n’a jamais vu les traits ni entendu la voix, c’est tout le christianisme. Un homme se tient debout près d’une fenêtre et regarde tomber la neige, et tout à coup glisse en lui une joie qui n ’a pas de nom dans le langage humain. Au plus profond de cette minute singulière, il éprouve une tranquillité mystérieuse que ne trouble aucun souci temporel ; là est le refuge, le seul, car le Paradis n’est pas autre chose qu’aimer Dieu, et il n’y a pas d’autre Enfer que de n’être pas avec Dieu. » Au moins, tutoyeur de l’indicible et rétif aux masques d’ici-bas, Julien Green est-il toujours resté lui-même et peut-il savourer dans son Journal : « J’ai ri intérieurement du mal que se donnent les hommes pour se construire un personnage, un personnage fictif qui finit par prendre la place du vrai. »



► Bibliographie
Romans et nouvelles Mont-Cinère, 1926, Plon ; Le Voyageur sur la terre et autres nouvelles, 1927, Plon ; Adrien ne Mesurât, 1927, Plon ; Les Clés de la mort, 1928, Plon ; Léviathan, 1929, Plon ; L'Autre Sommeil, 1931, Gallimard ; Épaves, 1932, Plon ; Le Visionnaire, 1934, Plon ; Minuit, 1936, Plon ; Varouna, 1940, Plon ; Si j'étais vous, 1947, Plon ; Le Mannequin, 1947, Plon ; Moïra, 1950, Plon ; Le Malfaiteur, 1956, Plon ; Chaque homme dans sa nuit, 1960, Plon ; L'autre, 1971, Plon ; Essais Pamphlet contre les catholiques de France, 1924, Ed. de la Revue des pamphlétaires ; Un puritain homme de lettres : Natha-niel Hawthorne, 1928, Les Cahiers libres ; Quand nous étions ensemble, 1943, La Maison de la Pensée française, Mille chemins ouverts, 1964, Grasset ; Partir avant le jour, 1965, Grasset ; Terre lointaine. Grasset ; Liberté, 1975, Julliard ; Jeunesse, 1976, Plon ; Qui sommes-nous ? 1975, Plon, Discours de réception à l'Académie française ; Journal Dix tomes chez Plon ; Les Années faciles, 1926-1934 ; Les derniers beaux jours, 1935-1939 ; Devant la porte noire, 1940-1943 ; L'Œil de l'ouragan, 1943-1945 ; Le Revenant, 1946-1950 ; Le Miroir intérieur, 1950,1954 ; Le Bel aujourd'hui, 1955-1958 ; Vers l'invisible, 1958-1967 ; Ce qui reste de jour, 1966-1972 ; La Bouteille à la mer, 1972-1976 ; Même éditeur


Romancier, né à Paris, de parents américains. Élevé dans la religion protestante, il donne au public en 1924 son premier ouvrage, Pamphlet contre les catholiques de France (paru sous le pseudonyme de Théophile Delaporte) ; œuvre d’un homme tourmenté, qui, après force interrogations et cas de conscience, a fini par se convertir au catholicisme, c’est là en réalité le reflet de la perpétuelle ambiguïté de pensée de l’auteur. Au surplus, Mont-Cinère (1926), Adrienne Mesurat (1927), et Léviathan (1928), ses premiers récits, ne donnent pas encore une juste image d’un écrivain qui ne se risquera que très lentement - tant dans ses thèmes que dans son écriture — à se montrer tout entier. Le Voyageur sur la terre (1930), Le Visionnaire (1934), Moïra (1949), L’Autre (1971) et surtout Minuit (1936), restent sans doute ses livres les plus réussis ; le dernier cité en particulier, où passe (dans l’épisode initial) une inoubliable figure de petite fille, Elizabeth, errant seule dans Rouen endormi (Je travaille dans la nuit, a dit d’ailleurs Julien Green). Mais ce n’est pas là encore son thème véritable, qui est la misère de l’homme. Misère morale, et plus encore misère métaphysique. Lui-même ne ressent-il pas de façon plus aiguë que quiconque (Baudelaire excepté) cette sensation d’être « étranger » à ce monde (un voyageur sur la terre}? Au centre de sa conception inquiète - sinon inquiétante - du monde, cette misère-là reste la seule certitude (Chaque homme dans sa nuit, 1960) ; le seul point relativement stable. On songe au grand poète mystique de la Renaissance, Jean de Sponde, qui a vu en la mort le seul centre, paisible et heureux, d’un univers où tout, follement, tourne sans cesse et jusqu’à la fin des temps ; ainsi (dans Léviathan) parle Julien Green à son tour : Il y a une étrange satisfaction à toucher le fond du désespoir: l’excès du malheur procure une espèce de sécurité, havre de grâce pour l’âme naufragée qui n’ose plus y croire ; il faut arriver (dit-il dans Minuit) au-dedans de nous-mêmes. Vu de là [...] la mort, la maladie, les déceptions d’amour, la ruine, rien n’est vrai de ce cauchemar [...] tout ce qui est vrai est ailleurs. Le Journal cependant, commencé en 1928 (et poursuivi à partir de 1976 sous des titres différents : Les Années faciles, 1976, La terre est si belle, 1982, L’Arc-en-ciel, 1988) est peut-être l’œuvre majeure de Julien Green : l’écrivain affûte son style ; il accède peu à peu à une sorte de sérénité, ou de sagesse, dont un livre presque joyeusement étonné, Partir avant le jour (1963), est pour ainsi dire le fruit : savoureux, frais, inattendu. Ne nous livre-t-il pas, en définitive, le secret de l’écrivain Julien Green? Qui est d’avoir connu une enfance trop heureuse.