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Jean Vauthier

Auteur dramatique né le 20 septembre 1910 à Grace-Berleur en Belgique. Enfance à Lisbonne, puis dans la région bordelaise. Etudes secondaires et école des Beaux-Arts à Bordeaux. Maquettiste et dessinateur, il se met à l’écriture dès 1938, mais ce n’est qu’en 1949 qu’il quittera son emploi au journal Sud-Ouest pour se consacrer à son œuvre. 1950 : Vauthier envoie le manuscrit de Capitaine Bada à Gérard Philipe et à André Reybaz ; ce dernier joue L’Impromptu d’Arras en 1951. L’année suivante, création de Capitaine Bada par Reybaz et mise en scène au T. N. P. par Gérard Philipe de La Nouvelle Mandragore d’après Machiavel. 1956 : J.L. Barrault crée Le personnage combattant au Petit-Marigny. Vauthier s’installe à Paris en 1961 où il écrit le scénario et les dialogues des Abysses, le film de Nico Papatakis (1963). 1966 : reprise de Capitaine Bada avec Marcel Maréchal et Luce Mélite. Création de Medea dans une mise en scène de Jorge Lavelli. 1970 :la compagnie du Cothurne monte Le Sang dans une mise en scène de Marcel Maréchal. 1971 : création des Prodiges au T.N.P. par Claude Régy. Reprise de cette pièce en 1976 dans une mise en scène de Jacques Rosner et l’auteur par le Jeune Théâtre National aux Bouffes-du-Nord à Paris. 1976-77 : Maréchal crée Ton nom dans le feu des nuées, Êlizabeth à Marseille, puis à l’Odéon.
L’œuvre de Jean Vauthier occupe, dans le théâtre d’aujourd’hui, une place à la fois majeure et marginale. Longtemps méconnu et incompris, il lui a fallu attendre la reprise en 1966 de Capitaine Bada par Marcel Maréchal pour enfin atteindre à la vraie reconnaissance de la critique et du public. Et Les Prodiges n’ont été montés qu’en 1971, treize ans après la publication de la pièce. D’ailleurs, cette reconnaissance reste relative puisque le malentendu subi par cette œuvre riche, complexe, contradictoire et ambiguë, continue à irriter maints critiques. Par exemple, et bien qu’elle le situe dans la lignée d’Audiberti, Geneviève Serreau dans son Histoire du nouveau Théâtre, reproche à Vauthier ses « fausses notes », ses « sons creux », ses « complaisances verbales »... Il faut dire que Vauthier a toujours été un auteur à contre-courant. Démesuré, lyrique et baroque, au moment où triomphe le théâtre de l’absurde, il se lance avec une ampleur toute élizabéthaine dans un torrent de métaphores, de gestes et d’images, au moment où l’on met en cause la validité du langage. Et pourtant, l’imaginaire parodique de Vauthier qui s’appuie sur une connaissance méticuleuse, d’une extrême exigence, du métier de l’acteur et de la mise en scène, évite les pièges de la psychologie et du didactisme, rejoignant en profondeur le champ de notre modernité. En ce sens, il est remarquable que Jean Genet * ait placé Capitaine Bada au tout premier rang des pièces contemporaines. Pendant trois heures, René Dupont dit Badaboum ou Bada, poète raté, exalte à travers un déluge de mots le conflit qui l’oppose à la société et à sa femme Alice. « Bada, c’est le guignol de la vie intérieure » (Georges Neveux). Ce thème, — le combat tauromachique entre le langage et la vie au sein duquel s’inscrit, — déchirée, l’œuvre, est encore celui du Personnage combattant. Un écrivain à succès s’enferme dans une chambre à la recherche de la pureté de sa jeunesse, d’une œuvre passée et perdue, quête de lui-même et d’un rachat au bout de laquelle se trouve peut-être Dieu, mais un Dieu panique. En effet, le théâtre de Vauthier, aussi parodique et dérisoire soit-il, relève dans son indécise « conquête de l’impossible » d’un christiannisme douloureux et nostalgique. Nous sommes loin de la grandeur claudélienne, et si grandeur il y a elle n’est que grand-guignoles-que. Le Personnage combattant dit : « Cela vous fait rire, Hein ? Et qui vous dit que je ne suis pas sublime ». D’ailleurs, on a pu dire avec raison que Bada, aussi trivial et boursouflé soit-il, enfermé dans son narcissisme (Robert Abirached dit son « bada-centrisme »), Bada s’élève, dans sa transfiguration théâtrale, à la hauteur du mythe, s’installe dans la lignée des grands types tels Ubu, Don Quichotte ou Chariot. Baroque, Vauthier reconstruit par le langage la réalité fuyante des apparences. Et cependant, J.L. Barrault remarque très justement dans sa Préface au Personnage combattant que cet univers verbal est enraciné dans les objets, le concret, comme peu d’œuvres contemporaines le sont. Oeuvres contradictoire, en effet, puisque Geneviève Serreau et d’autres ont parlé à son sujet de « nouveau réalisme ». A vrai dire, ce qui intéresse Vauthier c’est l’envers du décor, ce que le langage masque plus qu’il ne dit. Ainsi, dans Les Prodiges, ayant vaincu à la fois les images du factice contemporain représentées par la capricieuse Gilly et les images de l’enfance incarnées par la Nourrice, Marc trouve Dieu au paroxysme d’un délire lyrique qui résulte, néanmoins, d’un cérémonial réglé comme une partition musicale avec ses modulations, ses ruptures, ses chants, ses élévations et ses silences. Autre contradiction du théâtre de Vauthier : ses indications scéniques précises (tirets, doubles virgules, points de suspensions qui scandent l’action), son déploiement de l’attirail vocal de l’acteur, l’apparentent à l’héritage du Artaud du Théâtre et son double, mais son mépris pour l’improvisation, sa défiance à l’égard des metteurs-en-scène, l’écartent d’un théâtre strictement gestuel. Synthèse éblouissante de ces tendances en apparence inconciliables, Le Sang présente en une cascade de métaphores « en abyme » la puissance et la vanité du spectacle théâtral. Inspiré de La Tragédie du Vengeur de Cyril Tourneur, le drame élizabéthian tourne, avec le retour d’un Angelo / Bada — auteur / acteur, à la pantomime. Le théâtre dans le théâtre n’est pas ici, comme chez Pirandello, une construction abstraite, mais l’appréhension physique, «sanglante», du travail qui produit l’écriture. Jacques Lemarchand notait à propos de Bada : « le plus fulgurant éloge de l’échec que je connaisse». Il est d’autant plus fulgurant que Vauthier utilise aussi l’arme tranchante d’un humour lucide qui interdit à la fièvre poétique de se figer en elle-même, sur un discours creux. On a dit, à propos des adaptations que Vauthier a faites de Shakespeare, Mariowe ou Sénèque, qu’il entretient avec ses illustres prédécesseurs le rapport que Racine entretenait avec Euripide. Cet éloge place à sa juste mesure une œuvre qui, avec celles d’un Audiberti ou d’un Genet, demeurera au tout premier rang parce qu’elle exprime dans toute sa plénitude et tous ses déchirements la tragédie de l’homme présent et éternel.