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JEAN-PAUL (Johann Paul Richter)

JEAN-PAUL (Johann Paul Richter). Écrivain allemand. Né à Wunsiedel (Bavière), le 21 mars 1763, mort à Bayreuth (Bavière), le 14 novembre 1825. Aîné des sept enfants d'un pasteur protestant de village, il passa son enfance dans la calme atmosphère familiale, montrant déjà un tempérament imaginatif et idyllique, attentif aux petites choses et perdu dans ses rêves; dès l'enfance, comme il le dira lui-même, il souffrit de la différence entre songe et réalité. Jusqu'à treize ans son unique professeur fut son père, puis, lorsque ce dernier fut nommé dans une petite ville, il put fréquenter une école publique et, enfin, à seize ans, on l'envoya à Hof faire ses dernières classes secondaires; entre-temps son père était mort. Les années passées à Hof laissèrent une profonde empreinte dans l'esprit de Jean-Paul en raison des amitiés qu'il y noua et de la diversité des lectures qu'il y dévora, des classiques aux encyclopédistes. A dix-huit ans, il s'inscrivit à la Faculté de Théologie de Leipzig, par respect pour la tradition familiale qui voulait que l'aîné fît des études théologiques, mais ce n'était certes pas une matière qui pouvait satisfaire un garçon au cerveau si effervescent, encore que les énergies extraordinaires de son esprit n'eussent pas jusqu'alors trouvé la forme sous laquelle s'exprimer. Il chercha d'abord, à l'université, une grande variété d'expériences, étudiant tout, en désordre et avidement, de la métaphysique aux mathématiques et à la philologie classique. En même temps, il commença d'écrire, disant qu'il n'avait pas le loisir d'attendre; il lui fallait « écrire des livres pour avoir le moyen d'acheter des livres ». A vingt ans, il publia les Procès groenlandais, petit ouvrage bizarre qui tient à la fois de la satire, de la pensée morale et du caprice littéraire : bien que ce soit une oeuvre inégale et manquant de maturité, elle présente déjà les caractères qu'auront tous les ouvrages ultérieurs de l'écrivain, y compris ses meilleurs romans et ses meilleurs récits : l'ironie, le jeu de l'esprit, l'anatomie des sentiments. Même ses relations amoureuses révèlent une semblable nature : son amour était toujours un jeu avec les sensations de l'amour, et jusqu'à son mariage qui devait, longtemps après, se traîner dans une réciproque froideur. Cependant, l'extrême pauvreté à laquelle la famille s'était trouvée réduite après la mort du père ne permit pas à Jean-Paul (il avait ainsi francisé son nom en hommage à Rousseau) de continuer ses études, et en 1784 il dut fuir Leipzig pour échapper à ses créanciers; il passa ensuite deux années misérables auprès de sa mère. Sa condition s'améliora quand des amis secourables lui offrirent un poste de précepteur; pendant dix ans environ, il se consacra à l'enseignement, d'abord privé, puis dans une école élémentaire qu'il finit par abandonner lorsqu'il fut en mesure de vivre des seules ressources de son activité littéraire. Au cours de cette période, il écrivit quelques-unes de ses plus telles oeuvres : La Vie du joyeux maître d'école Maria Wuz à Auenthal, La Loge invisible, Hespérus ou quarante-cinq jours de la poste au chien, Vie de Quintus Fixlein et Siebenkäs. En 1796, il accomplit un voyage à Weimar et y fit la connaissance de Goethe et de Schiller, avec lesquels il n'eut que quelques froides relations, et de Herder, avec qui, au contraire, il noua une solide amitié. Ses relations avec Charlotte von Kalb, la protectrice de Schiller et de Hölderlin, furent plus étroites. Désormais célèbre, il vagabonda pendant plusieurs années entre Leipzig, Berlin, Weimar, etc., partout fêté et idolâtré par les femmes : il en courtisa beaucoup, se fiança même, mais ne se maria qu'en 1804 avec la fille d'un ma-gistrat berlinois, se fixant définitivement à Bayreuth. Pendant ses années errantes, il avait écrit Titan, L'Age ingrat; mais dans le calme de la vie conjugale, il ne se sentit plus la force de concevoir de tels ouvrages, si l'on excepte Levana et les deux délicieux récits : Le Voyage balnéaire du docteur Katzenberger et Le Voyage de Schmelzle à Flatz. L'histoire de son personnage Siebenkäs, d'une époque bien antérieure, semble à ce moment presque une prescience autobiographique. Son tempérament inquiet le portait à la vie errante, ses absences de chez lui devinrent de plus en plus nombreuses, il se rendit partout ou il avait des amis et des cercles d'admiratrices. Sa manière de jouer avec le feu des sentiments féminins aboutit une fois à une tragédie, lorsqu'une enfant se suicida pour lui en 1813; une autre, plus tard, chercha à échapper à une situation angoissante en concluant précipitamment un mariage malheureux avec Auguste Wilhelm von Schlegel, déjà âgé. Dans ses dernières années, l'humour de Jean-Paul cède peu à peu le pas à une conception plus résignée de l'existence; mais ce ne furent pas des années heureuses, car, en 1822, il vit mourir son fils Max en qui il avait mis son espérance. Une maladie des yeux le réduisit bientôt à une cécité complète, et cet auteur qui aimant tant la vie dut, vers sa fin, se sentir contraint au renoncement. Sa dernière oeuvre, Selina ou de l'immortalité de l'âme, tente justement de traduire la conquête d'une lumière intérieure; elle ne parut qu'après sa mort. ? « Ordonner et classer, avoir sans cesse les yeux fixés sur un but, ce n'est pas mon affaire. J'aime mieux sauter que marcher, tout en sachant que l'un fatigue plus le lecteur que l'autre. Qui ne souhaiterait d'écrire comme Montaigne ou comme Sterne ? L'esprit est inconstant par nature, il ne va jamais droit devant lui. Pourquoi ? Parce qu'il cherche à attraper des analogies, parce que, indifférent aux vraies relations des choses, il court après des rapports extérieurs, et que, dans cette poursuite, il ne sait pas toujours où il va. » Jean-Paul sur lui-même, Journal, 9 août 1782. ? « Ce diable d'homme ressemble en tout point à ses écrits; on se sent affecté en sa présence des mouvements les plus contraires, et rien n'est plus difficile que de l'entretenir. Il est trop lui; n'importe, je le déclare un intéressant original... Jean-Paul a, pour être ce qu'il est, une excuse divine qu'il tient de la nature.» Wieland. ? «Le ciel m'a donné dans Richter un trésor que je n'eusse jamais ni mérité, ni seulement rêvé ! » Herder. ? « On l'estime trop bas ou trop haut... Son sincère amour de la vérité, l'intérêt bienveillant qu'il porte au bonheur de l'espèce humaine, m'ont disposé en sa faveur. C'est dommage que l'isolement où il se plaît l'empêche de purifier son goût, car il y a en lui beaucoup de bon. » Goethe. ? «J'ai vu Jean-Paul et je l'ai trouvé Iroquois comme un homme qui tomberait de la lune; bon diable au fond et le plus excellent coeur du monde, mais porté sur toute chose à ne rien voir par l'organe dont chacun se sert pour voir. » Schiller, à Goethe, 1796. ? « Je serais curieux de savoir si tous ces Schmid, ces [Jean-Paul] Richter, ces Hölderlin étaient, de nature, et quelles que fussent les circonstances, condamnés à demeurer aussi exclusivement subjectifs, aussi tendus, aussi guindés qu'ils le sont, si ces défauts tiennent à l'essence même de leur structure, ou si ce fâcheux résultat ne provient pas de ce qu'ils ont été à court d'éléments artistiques, de ce qu'ils n'ont subi aucune influence extérieure et de ce que l'idéalisme de leurs tendances naturelles s'est heurté à la platitude du monde banal dans lequel ils vivent. » Schiller, 1797. ? «Richter, dans ses ouvrages bizarres et inimitables, ne s'est jamais adressé à la foule, ce juge grossier et vif. Il parle à la méditation, au silence des nuits, à l'amant, au philosophe, à l'artiste; il parle à tous ceux qui ont une âme et qui s'en servent pour juger, plutôt que de leur esprit; il s'adresse à ces auteurs infortunés qui ont la mauvaise manie de laisser saigner leur coeur sur le papier; lui-même, il leur ouvre le sien; il est plein de franchise, de bonté, de candeur. On voit s'il mérite le nom d'original... Il est évident qu'il vécut dans le monde des fous, qui est celui des heureux. » Alfred de Musset, 1831. ? « Jean-Paul savait beaucoup de choses, mais ne possédait pas de science; il s'entendait à toutes sortes d'artifices dans les arts, mais il ne possédait pas d'art. » Nietzsche. ? « Le poète des harmonies et des rêves. » Stefan George. ? « Le génie de Jean-Paul a été d'unir ce qu'il y a de permanent et de quotidien dans l'âme germanique à ce magnifique sursaut de l'âme humaine qu'a été le romantisme; et qui ne le connaît pas ne peut savoir ce qu'a été celui-ci. » Edmond Jaloux.

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