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Jacques Borel

Né en 1925 à Paris. D’abord professeur d’anglais, se consacre ensuite à la littérature. Prix Goncourt 1965 pour l’Adoration. Malgré ce prix, l’œuvre de Jacques Borel reste discrète. Outre une pièce de théâtre, un essai sur Proust — son influence la plus déterminante et déchirante à la fois —, et des traductions de Joyce, on lui doit trois romans seulement, dont il est vrai, cependant, que chacun compte plus de cinq cents pages serrées et denses. Borel demeure donc un auteur paradoxalement marginal, et sans doute pour s’être de plus en plus enlisé ou écartelé sur une matière anti-romanesque où l’autobiographie se joue en même temps qu’elle est jouée. Dans le préambule à la Dépossession, son troisième livre qui est un journal des voyages à Ligénère où la mère du narrateur est enfermée dans un hôpital psychiatrique, Borel fait le point sur son œuvre. Les réseaux de signes qui lient la mère au fils passent par la folie, l’angoisse et la mort. «A partir de 1963, écrit-il, dans le temps où approchait de sa fin un livre qui venait de m’être moins inspiré que révélé par elle, par sa vie, par son mal, par sa brutale chute, livre que je n 'écrirais certes plus de la même façon aujourd’hui mais qui, me dévoilant à mesure la profondeur, que je ne soupçonnais pas telle, de mon attachement pour ma mère, délivrait aussi une écriture longtemps captive, mais ne la délivrait qu’en me découvrant ma propre angoisse, en l’accusant, en la forant, je commençai à tenir, irrégulièrement, un journal de chacun de ces séjours. » Il est difficile, on le voit, de se substituer à une parole aussi exigeante, aussi désirante et souffrante. L’œuvre est besoin d’exorciser et en même temps de se déchirer davantage. Borel pose, à travers l’écriture, le problème du malheur et du salut, et le posant, ne peut le résoudre. La vie et l’œuvre sont toujours, ensemble, et l’une par l’autre, remises en question. C'était déjà le cas de l’Adoration, minutieuse autobiographie recoupant la vie de la mère et l’absence du père mort quatre mois après la naissance de l’auteur. Ce texte du doute fondamental annonce l’itinéraire proustien du Retour, où Borel dit que l’écriture « est un lâche succédané de la mort. » Aussi peu formaliste qu’il souhaite être, il ne s’en pose pas moins et sans cesse la question de l’authenticité de l’écriture. Question qui reste naturellement sans réponse, déchirée qu’elle est entre la névrose et la volonté de fixer des images. La littérature est à la fois souffrance et guérison. Point de vue apparemment très romantique et psychanalytique. Pourtant la démarche de Jacques Borel va plus loin : ses confessions répétées, dans leur permanence obsédante, tiennent du narcissisme le plus impudique. Il y a, notamment dans la Dépossession, quelque chose de quasiment choquant et insupportable dans cette mise à nu inlassablement recommencée. Le journal, pour Borel, est une forme de suicide littéraire. N’a-t-il pas, en ce sens, touché au cul-de-sac ? Telle est en tout cas la modernité de cet auteur irritant et néanmoins fascinant. ► Bibliographie
Romans, récits : l'Adoration, 1965 ; le Retour, 1970 ; la Dépossession, 1973 ; tous trois chez Gallimard. Théâtre : . Tata ou de /'Éducation, Gallimard, 1968; Essai : Marcel Proust, Seghers, 1972 ; Traductions : James Joyce : le Chat et le diable, Gallimard, 1966 ; et Poèmes, Gallimard, 1967.