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Henri Thomas

Né dans les Vosges en 1912, Henri Thomas prépare l’Ecole Normale Supérieure au lycée Henri IV (où il est l’élève d’Alain), mais renonce au concours pour se consacrer à la littérature. Ses premiers poèmes paraissent dans Mesures en 1939 et il est au front en 1940 quand sort son premier roman Le seau à charbons. De 1946 à 1958, Thomas qui jusque là vivait surtout de traductions travaille à la BBC, à Londres. De 1958 à 1960 il enseigne la littérature française dans une université américaine. Il se fixe à Paris en 1960, obtient le prix Médicis pour John Perkins et, en 1961, le Fémina pour Le Promontoire. Thomas est notamment le traducteur de Jünger, de Melville, des sonnets de Shakespeare.
Henri Thomas est l’homme des lieux. Tous ses textes, romans et poèmes, s’inscrivent dans les paysages de sa vie : forêt vosgienne ou allemande, Bretagne des landes, des marées et des îles, mer du Nord, Corse à la lumière presque mythique, Amérique, rues inépuisablement arpentées de Paris et de Londres. Il passe de l’un à l’autre selon l’expérience, l’instant, la découverte — La nuit de Londres date de son séjour en Angleterre, Le Promontoire suit la révélation de la mer et de la montagne corses — ou encore au gré des souvenirs et des rêveries (deux nouvelles de Sainte-Jeunesse en 1973 sont un retour aux Vosges de son enfance, et une nouvelle des Tours de Notre Dame en 1977 conjugue des images de Londres avec celle d’une plage du Sud-Ouest.) Toujours Thomas dit l’ouverture de l’espace ou la clôture de la ville, figures opposées et complémentaires de la nature et de la culture, de la communion avec les éléments et de la rencontre sociale ou, à l’inverse, des orages et de la solitude). Henri Thomas est aussi l’homme des livres. Les premiers livres qu’il lut demeurent pour lui imprégnés du parfum d’une école de campagne et de son village vosgiens. Dans Sainte Jeunesse, il raconte comment un vieil excentrique avait légué sa bibliothèque à l’enfant qu’il était. Depuis il se promène dans les bibliothèques et la littérature comme dans les champs. Là aussi il a ses paysages : romantisme allemand, poèmes métaphysiques anglais, romans de Melville, etc.,reconnaissables dans ses propres textes à des signes discrets, à de délicats leitmotivs. Enfin les correspondances entre paysages réels et paysages littéraires ne sont jamais fortuites. Les rêves chez Thomas consonnent toujours avec le réel, le savoir avec la vie, les mots avec les choses. Mais les mots, dans le poème ou le récit, s’ordonnent d’autant mieux pour dire juste, pour saisir l’instant, décrire un objet, fixer une sensation, que cet instant, cet objet, cette sensation sont préparés par toute une expérience ou un savoir qu’en retour ils éclairent : «Je cherche et j’ai trouvé des poèmes au bord de la mer; écrit Henri Thomas, comme on cherche des fragments de bois ou de pierre étonnamment travaillés, et polis par les flots. Ces poèmes résultent aux aussi du long travail, du long séjour de quelque chose dont l’origine, la nature première m’échappent (comme je ne saurais dire d’où viennent ce galet, ce poisson de bois lourd), dans un milieu laborieux qui est moi-même — conscience ou inconscient continuellement en mouvement ». Homme des lieux et homme des livres, attentif au réel, aux changements de couleurs de la mer, aux senteurs de la forêt, à la profondeur de l’espace, comme au mouvement de la rue, à l’atmosphère des cafés, à la démarche ou au visage des passants, Henri Thomas dit ce qui est, et le dit dans ses récits avec une étonnante précision; cependant ses phrases, si rapides, si précises, si dépouillées de bavardage qu’elles soient, sont traversées d’étranges vibrations, nous font sentir cette évidence du réel, cette clarté du quotidien comme énigmatiques. Dans Le Promontoire quand il nous découvre les causes de la mort de Diane au mystère des faits, enfin dissipé, s’en substitue un autre : celui de la passion, du désir, de la mort. S’il en est ainsi c’est que Thomas ne cesse de déchiffrer le réel avec sa sensibilité, son expérience, sa culture, d’entendre dans la forêt vosgienne les interrogations de Novalis ou de Lenau, devant les houles bretonnes la complainte de Corbière, de reconnaître dans le destin des autres comme une figure du sien. Tout est lié et tout est déchirure. Ainsi son œuvre entière est comme traversée par la troublante dialectique de la communication impossible et de la compréhension secrète.

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