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figure

Les figures constituent un ensemble majeur dans l’univers rhétorique. Le terme rhétorique est même quelquefois pris, inconsciemment, comme renvoyant à la seule organisation figurée. Proprement, Aristote parle en détail de quelques figures essentielles dans sa Poétique, et non dans sa Rhétorique : c’est dire le lien des figures avec les Belles Lettres. La tradition n’a cessé de répertorier et de classer de multiples groupes de figures, selon des rassemblements divers, hétérogènes, inégaux et contradictoires. Parmi les nomenclatures les plus répandues dans les traités post-latins, on relève les catégories de figures de mots, de pensée, de style ; on a eu aussi les figures de diction, de construction, les tropes. Ces noms recoupent rarement des ensembles fixes : ils englobent parfois, sous les mêmes dénominations, des déterminations logico-discursives ou thématiques d’un tout autre ordre : les lieux. Enfin, les exposés ont été longtemps obscurcis par manque de théorie sur une ambiguïté fâcheuse, que l’on peut présenter en opposant deux conceptions souvent, hélas, implicites, des figures : celles-ci sont des éléments purement libres et amovibles dans le discours, des ornements ; ou elles sont au contraire obligatoires et inévitables, dans certaines situations discursives, du fait de la faiblesse de l’esprit humain. On préférera donc repartir sur nouveaux frais, pour tenter d’organiser, au moins dans ses tendances fortes, cette vaste nébuleuse. D’abord, une définition pratique : on admettra qu’il y a figure, dans un discours ou dans un fragment de discours, lorsque l’effet de sens produit ne se réduit pas à celui qui est normalement engagé par l’arrangement lexical et syntaxique occurrent. Dès lors, il est évident que celui qui produit le discours, par rapport à un message à véhiculer, manipule son expression, alors que celui qui reçoit le discours, par rapport à un ensemble expressif donné, peut être conduit à ajuster des interprétations. Il est possible, et raisonnable, d’opposer deux seuls grands types de figures. Celles dont l’existence apparaît manifestement et matériellement, comme dans la phrase ce matin, dans le métro, un mammouth était assis à côté de moi sur la banquette : on comprend assez spontanément que mammouth signifie /gros monsieur/ ou /grosse dame/ ; on appelle ce genre de figures des figures microstructurales. Et celles dont l’existence n’est ni manifeste ni toujours matériellement isolable, comme dans la phrase cette fille est vraiment très belle, qui, selon le contexte, peut signifier /cette fille est vraiment très belle/ ou /cette fille est vraiment très moche/ ; on appelle ce second genre de figures des figures macrostructurales. Il est simple de regrouper sous cette unique dichotomie toutes les variétés de figures, que l’on peut sous-catégoriser à souhait. Il est également possible d’intégrer les lieux dans les figures, sous la désignation générale de figures macrostructurales de second niveau, à condition de bien en saisir la spécificité. Les figures sont souvent mêlées; elles ne sont pas non plus toujours parfaitement réalisées ; elles semblent parfois appartenir à un stock bien usagé, ou au contraire témoigner d’une inventivité verbale assez originale. Enfin, il peut y avoir, selon les traditions littéraires, des correspondances, du reste variables, entre l’emploi de certaines figures et certains niveaux de style ou de genre. Les figures sont donc consubstantielles à la rhétorique. On notera que, dans l’une des théories modernes les plus originales et les plus fortes de la rhétorique, celle de Bernard Lamy, vers la fin du xviie siècle, les figures sont associées au langage des passions, dont elles constituent un des moyens expressifs spécifiques ; cette vue intéressante pose évidemment le problème de la régie par l’orateur de son discours, problème rendu encore plus crucial dans le cas du texte écrit.
=> Macrostructurale, microstructurale; orateur; élocution; mots, pensée, style, diction, construction, trope; lieu, topique; niveau, cliché, image; genre; passions.