FARGUE Léon-Paul. Poète français
FARGUE Léon-Paul. Poète français. Né et mort à Paris (4 mars 1876-24 novembre 1947). Son père, ingénieur chimiste, dirigeait une fabrique de céramique : on lui doit la décoration florale, style 1900 que l'on peut voir encore aujourd'hui , de la brasserie Lipp, boulevard Saint-Germain. Fargue fit ses études au collège Rollin, puis au lycée Janson de Sailly. A Henri-IV, où il entra pour préparer l'École Normale, il eut comme condisciples Albert Thibaudet et Alfred Jarry. Mais, sur les conseils de Bergson lui-même, son professeur, il renonça à se présenter à un concours pour lequel il n'était pas fait et s'adonna, après avoir longtemps hésité entre l'art de peindre et celui d écrire, à sa passion de la littérature. Ses premiers vers furent publiés en 1894, dans L'Art littéraire, revue éphémère à laquelle collabora également Jarry. Etant entré en rapport avec l'équipe du Mercure de France, il fut introduit par Henri de Régnier et A. Ferdinand-Hérold dans le salon de Mallarmé, rue de Rome, où il fréquenta désormais chaque mardi. (De ces fameuses soirées, Fargue nous a laissé dans Refuges un récit d'une émouvante précision.) Tancrède , sa première oeuvre importante, sorte de roman lyrique en vers et en prose, que Mallarmé lui fit l'honneur d'aimer, parut dans la revue franco-allemande Pan en 1895. Peu après, le Mercure de France publiait (numéro d avril 1896) la presque totalité des poèmes qui allaient former le recueil Pour la musique , lequel ne vit le jour en librairie qu'en 1914. Tempérament indépendant et bohème, Fargue s'abstint de prendre part à la fondation de La Nouvelle Revue Française; cependant il devait bientôt y collaborer, à telle enseigne que son recueil de Poèmes (1912) fut l'une des premières publications de la nouvelle maison d'édition qui fut adjointe à la revue par G. Gallimard. Dès ce moment, Fargue est une des figures familières de la vie littéraire à Paris : ami de Gide, de Valéry, de Larbaud, il est certes un personnage qui a encore peu écrit, mais qui est apprécié par tous ceux qui l'approchent, à cause de sa conversation éblouissante, pleine d'anecdotes, de reparties et de mots rares, de cocasseries et d'inventions. Tout « piéton de Paris » qu'il soit déjà, il lui arrive d'abandonner la capitale pour parcourir, seul ou en compagnie de Valery Larbaud, l'Europe centrale, l'Allemagne, l'Italie, l'Angleterre... et aussi la bonne province française. Ces voyages eurent lieu, pour la plupart, après guerre et ne furent, à vrai dire, que des intermèdes dans une vie qui s'insère on ne peut mieux dans les limites de la capitale, conçue comme la géographie la plus vaste qui puisse s'offrir à la curiosité et à la mémoire d'un homme. A partir de 1923, et pendant plus de dix années, Fargue dirigera, avec Valéry et Valery Larbaud, la revue de luxe Commerce, où seront publiées bon nombre des proses poétiques qu'il rassemblera ensuite dans Espaces (1929) et Sous la lampe (1930). Ressuscitant le temps des fiacres, de l'omnibus Madeleine-Bastille et de la tour Eiffel naissante, il écrira ce délicieux D'après Paris (1932), que viendra compléter en 1939 Le Piéton de Paris, véritable somme de la vie parisienne pendant l'entre-deux-guerres. Mais un Fargue moins familier, plus amer, plongé dans l'hallucinante recherche d'une poésie moins directe et plus inquiète, allait se révéler dans Haute solitude (1941), certainement le sommet de son oeuvre. Toutefois, avec la guerre et le repliement sur soi qui l'accompagne, avec la maladie surtout qui assombrit ses dernières années et le contraignit à l'immobilité, Fargue s'abandonna aux caprices de sa prodigieuse mémoire, et fit se lever les grandes ombres du passé dans toute une série de livres : Refuges (1942), La Lanterne magique (1944), Méandres (1947), Portraits de famille (1947). Grâce à lui, nous nous trouvons en compagnie d'Alfred Vallette, Marguerite Audoux, Ravel, Thibaudet, Mallarmé, Adrienne Monnier, Colette, Verlaine et tant d'autres, moins célèbres, qu'il aura sauvés d'un injuste oubli. Dans Méandres, Fargue rapporte comment, un soir de 1943, alors qu'il dînait avec Picasso au « Catalan », rue des Grands-Augustins, il fut terrassé par une attaque d'hémiplégie qui devait le contraindre à vivre le reste de ses jours dans son appartement du boulevard Montparnasse, cloué à son lit. Grand Prix littéraire de la Ville de Paris en décembre 1946, il mourut un an plus tard, assisté du peintre Chériane, sa femme, qui l'avait soigné avec un admirable dévouement durant les quatre dernières années. Inhumé au cimetière Montparnasse, Léon-Paul Fargue repose non loin de cet autre poète qui sut, lui aussi, chanter Paris : Charles Baudelaire.
? « Poète, constamment poète. Va, vient, parle, vit en poète. Poète qui ne cesse de l'être, et de l'aurore [de midi] jusqu 'à l'aube du lendemain, invente chaque instant... Poète qui a le pouvoir singulier de disposer à tout moment des prestiges d'une profonde et merveilleuse enfance. Un enfant qui a pour Jouet un cerveau prodigieusement cultivé... Il y a bien autre chose. Spéciale, propre à Fargue. Son invention sans bornes, si prompte, si féconde et fréquente qu'elle donne une impression statistique, - l'idée d'une scintillation indéfiniment possible. Se combine en lui avec le don, ou le mal, de la tendresse la plus simple et la plus triste. » Paul Valéry. « S'il y eut jamais un poète né, c'est-à-dire, non pas un spectateur, mais un faiseur de vie, non pas un copiste, mais un associé et un collaborateur de la création, quelqu'un à qui la Fée a remis un grain de sel et une étincelle de feu, et qui, haut le pied, dans le remue-ménage universel, connaît juste le moment d'intervenir dans un jet de cocasserie splendide, c'est notre ami [L.-P. Fargue} » Paul Claudel. « Pourquoi Fargue, qui est un de nos plus grands poètes, se soucie-t-il aussi peu de se laisser connaître ? Sa discrétion est telle que, même quand ses poèmes se présentent, il faut les lui prendre dans les mains. » Rainer Maria Rilke. ? « Sans échasses d'aucune sorte, sans magasin d'accessoires poétiques, sans dictionnaires ni pastiches, il a exprimé une sensibilité toute neuve. A l'époque où tous les poètes sauf peut-être Salmon et Henri Hetz étaient encore symbolistes, Fargue nous enseignait à sublimer la vie quotidienne et à en faire la plus haute poésie. » Max Jacob. L'étude de la biographie et de l'oeuvre de Léon-Paul Fargue démontre que la langue française, entre les mains d'un poète original et puissant, peut donner des accents lyriques aussi purs que les plus beaux et les plus vantés de la lyrique anglaise ou allemande. » Valéry Larbaud.