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ÉPICTÈTE (vie et oeuvre)


Épictète, esclave affranchi, est l'un des trois grands philosophes stoïciens de l'époque impériale romaine. Son enseignement a été recueilli par ses élèves. Il prône l'acceptation sereine de l'ordre des choses et la maîtrise de soi comme moyen de réaliser sa liberté.
VIE

La morale d'Épictète est sans doute marquée par sa vie. Né esclave dans l'Empire romain, soumis à un maître brutal, il dut apprendre par force à «supporter et à s'abstenir». Mais il put aussi s'affranchir, ce qui justifie sa confiance dans le pouvoir de la volonté et dans l'harmonie du cosmos.
L'esclave affranchi
Épictète est né vers l'an 50 ap. J.-C. à Hiéropolis, ville de l'empire romain située dans l'actuelle Turquie. Il fut bientôt conduit à Rome comme esclave d'Épaphrodite, un affranchi de Néron, qui le traitait fort mal. Il put suivre malgré tout l'enseignement du stoïcien Musonius Rufus. Après la mort de Rufus, Épictète fut affranchi et devint professeur à son tour.
Le maître stoïcien
En 89, un décret bannit tous les philosophes de Rome et Épictète se retira à Nicopolis, dans l'actuelle Bulgarie. Là, il ouvrit une école qui acquit vite une grande renommée. Des élèves accouraient de partout pour suivre son enseignement. Il reçut même la visite de l'empereur Hadrien. Épictète vécut pauvrement et ne se maria point. Il aurait cependant accueilli une femme chez lui et adopté un orphelin. Il mourut vers 130.


OEUVRES

Épictète n'a rien écrit, mais son enseignement a été recueilli par son disciple Arrien et distribué dans deux oeuvres, les «Entretiens» et le «Manuel». Rien de systématique: il s'agit d'un ensemble de notes par lesquelles Arrien a voulu transmettre fidèlement les idées et le style de son maître.
Entretiens (v. 130)
Le titre de l'ouvrage en grec est Diatribes. Quatre livres nous sont parvenus sur huit ou douze. Arrien a recueilli «en direct» les leçons orales d'Épictète et a veillé à respecter son style polémique, sa manière de prendre à partie son interlocuteur (fictif): «J'ai seulement essayé de rédiger, dans les mêmes termes autant que possible, tout ce que je lui entendais dire, afin de garder pour moi dans l'avenir des souvenirs de sa pensée et du langage si libre où il l'exprimait» (Arrien). Pour Épictète, physique, logique et morale sont liées. Tout ce qui arrive est conforme à l'ordre du monde, à la Raison divine à laquelle l'homme participe. La nature est fondamentalement bonne car elle est l'oeuvre de Dieu. L'homme sage doit donc accepter son destin et sa place dans l'ordre universel. Le bonheur devient dès lors une question de volonté: il suffit pour être heureux d'accepter son sort. Mais cette acceptation n'est pas synonyme de résignation malheureuse, elle est une manière d'affirmer sa liberté. En adhérant avec confiance à l'ordre du monde, en m'en remettant à la bonté de la Providence divine, je cesserai de m'affliger des choses qui ne dépendent pas de moi.
Manuel (V. 130)
Il contient cinquante-trois maximes qui forment un abrégé de la doctrine formulée dans les Entretiens. L'ouvrage développe l'idée énoncée par Zénon de Citium, fondateur du stoïcisme, selon laquelle le sage doit s'attacher aux choses qui dépendent de nous (désirs, opinions, actions) et rester indifférent envers celles qui n'en dépendent pas (corps, richesse, statut social, etc.). Ainsi seulement parviendra-t-il à l'ataraxie, la tranquillité de l'âme qui découle de l'absence de passions et de l'acceptation de l'ordre des choses.
Fragments
Les idées d'Épictète nous sont enfin parvenues par une troisième source, celle que constituent les fragments de son oeuvre cités par divers auteurs. Les principaux commentateurs d'Épictète pendant l'Antiquité sont Stobée, Aulu-Gelle, Arnobe, Marc-Aurèle, etc.

APPORTS

Épictète n'a pas élaboré de doctrine originale. Il n'a fait que résumer et formuler brillamment les idées stoïciennes nées en Grèce au Ive siècle av. J.-C. Mais c'est souvent à lui que les philosophes ultérieurs font référence lorsqu'ils discutent le stoïcisme.
Le plus grand des stoïciens? Épictète a résumé, avec son style propre, les principales idées d'une doctrine vieille de plusieurs siècles puisque fondée par Zénon de Citium au IVe siècle av. J.-C. et relayée par de nombreux philosophes, dont Cicéron, avec la période impériale. Toutefois, en raison de son esprit de synthèse hérité de la culture grecque, il est souvent considéré comme le philosophe stoïcien par excellence.

Un stoïcisme en acte. S'inspirant de Socrate et de Diogène le Cynique, Épictète a redonné au stoïcisme la forme d'un enseignement vivant, fondé sur la polémique, puisant sa matière dans la vie quotidienne et susceptible d'être mis en pratique. Alors que Sénèque, dans De la Constance du sage, a pu donner prise à l'accusation d'«insensibilité» ou d'orgueil et que les "Pensées" de Marc-Aurèle sont plutôt le compte rendu d'une conscience qui s'examine, Épictète semble le plus proche d'un stoïcisme en acte.

Postérité/actualité. Recueillies par les moines du Moyen-Orient, les idées d’Épictète ont été récupérées par certains penseurs chrétiens et ont suscité un renouveau d'intérêt au XVIe et au XVIIe siècle. Montaigne est tenté par un stoïcisme proche de celui d'Épictète, et Pascal le discute dans son "Entretien avec M. de Saci". Au XXe siècle, la pensée de certains moralistes, comme Camus, s'apparente à un stoïcisme pessimiste parce que sans Dieu.


Épictète est, avec Marc Aurèle ou Sénèque, l'un des représentants les plus célèbres du stoïcisme tardif, qui se développe pendant les deux premiers siècles de notre ère dans la Rome impériale. Rien pourtant ne le destinait à devenir une grande figure de notre tradition intellectuelle et morale. Épictète, en effet, était de condition servile. Né vers 50, en Phrygie, il est conduit à Rome par son maître qui l'affranchit. Il met à profit sa liberté nouvelle pour suivre les cours du stoïcien Musonius Rufus, puis commence à enseigner lui-même cette doctrine qui attache plus d'importance à l'humanité en chaque individu, qu'à son appartenance à la classe sociale ou politique. Vers 94, forcé de fuir à cause d'un décret de l'empereur Domitien qui chasse de Rome tous les philosophes, Épictète s'installe en Épire ; il y vivra jusqu'à sa mort, que l'on situe entre 125 et 130. Il dirige une école très fréquentée, où les disciples viennent moins écouter des leçons qu'assister à des " diatribes ", discours véhéments et argumentés, qui les exhortent à se détourner d'une vie asservie par la passion pour se convertir à la sagesse, seule source de paix et de liberté. La pensée d'Épictète est donc essentiellement morale et politique. Mais cette prépondérance des questions morales n'exclut pas l'adhésion aux thèses du stoïcisme ancien sur l'unité de la logique, de la physique et de l'éthique. L'homme, être raisonnable, appartient à l'ordre rationnel du cosmos ; la vertu consiste pour lui à faire coïncider son ordre logique intime avec l'ordre du tout. Dans un monde intégralement organisé par la Providence, le mal physique n'est qu'une apparence issue d'une vision parcellaire du tout, et la physique et la logique doivent devenir, comme dans l'épicurisme, auxiliaires de la morale. La physique en effet nous découvre l'ordre rationnel du cosmos pour que nous puissions y adhérer par notre volonté ; la logique nous aide, là où cet ordre échappe à notre connaissance, à nous en faire une représentation cohérente. Sur cette base, la morale fait jouer quelques principes simples : il n'est pas d'autre bien que la rectitude de la volonté, ni d'autre mal que le vice ou le désordre ; tout le reste est extérieur à notre condition et ne doit donc nous inspirer ni désir, ni aversion. Ainsi la mort, la pauvreté, et l'esclavage sont des événements qui doivent nous apparaître comme étant indifférents. L'extériorité n'a pas de prise sur le sage : même dans les pires souffrances, ou malmené par l'opinion des autres, le sage doit rester impassible. L'homme mauvais, au contraire, quelque favorisé qu'il paraisse, est, par son emprisonnement dans la contingence, victime du désordre qu'il porte en lui. La distinction centrale de l'éthique est donc celle qui est établie entre ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas : ce qui dépend de nous, c'est de vouloir droitement afin de pouvoir nous dégager de ce qui nous est imposé, c'est-à-dire de ce sur quoi notre action n'a aucun effet. Le sage qui se borne à ne vouloir que ce qui dépend de lui ne connaît ni entrave, ni affliction, ni trouble. Il est libre jusque dans la condition d'esclave, car le seul esclavage réel est celui qu'exercent les passions sur l'âme. Cette éthique de la liberté est donc une éthique du présent, non comme instant heureux qu'il faut cueillir, mais comme présent intemporel où s'exerce la volonté, sans regret pour le passé ni attente orientée vers le futur. La passion, qui nous soumet au temps qui passe et à la dépendance des choses, ne doit pas seulement être modérée : il faut l'extirper pour parvenir à l'apathie, à l'ataraxie (absence de trouble), idéal du sage stoïcien, en travaillant, comme le dira Descartes dans son Discours de la méthode, à changer nos désirs plutôt que l'ordre du monde. On a reproché à cette apatheïa de n'être qu'une impuissance déguisée, doublée d'une surévaluation de la puissance de la volonté. Mais c'est là oublier que l'éthique est chez Épictète indissociable de la physique : modifier les visées de notre volonté plutôt que la disposition des choses est une vertu et non une lâcheté, parce que l'ordre cosmique ne nous est nullement étranger : nous en sommes par nature un fragment, reflétant en notre être l'univers entier et jouant en lui le rôle que la providence nous a assigné pour contribuer à l'harmonie du cosmos. C'est cette solidarité cosmique qui fonde son optimisme jusque dans ses préceptes les plus déroutants et les plus paradoxaux. Mais Épictète est aussi celui qui, en-deçà de la dialectique du besoin et du travail par laquelle nous sommes attachés au monde et façonnés en lui, nous offre la possibilité d'un rapport plus serein avec l'univers. Un esclave affranchi Né esclave vers 50 en Phrygie, Épictète entre au service d'un maître brutal, qui n'hésite pas à torturer le jeune homme. Il peut cependant entendre les leçons de Caius Musonius Rufus, stoïcien qui avait ouvert une école à Rome. Affranchi, Epictète fait profession de philosophe ; en 89, il est contraint de quitter l'Italie lors de la promulgation d'un édit de Domitien bannissant les philosophes. Exilé à Nicopolis en Épire, Épictète vit pauvrement, sans femme, sans biens, ouvre à son tour une école où la jeunesse romaine se rend en foule. Fidèle à la méthode socratique, son enseignement, qui ne manque pas de vivacité, vise une application pratique. Il n'écrivit rien, mais son disciple, Falvius Arrien de Nicomédie, rédigea - en grec - à partir des leçons entendues, les Entretiens d'Épictète dont il ne reste que quatre livres sur les huit écrits sous forme de notes. Le Manuel (53 maximes) est la substance des Entretiens, leur brièveté permet de toujours garder sur soi ces règles de vie. Vous avez dit diatribes ? C'est ainsi que l'on nomme dans les livres d'Épictète rédigés par Arrien les « conversations philosophiques où l'élève interroge le maître après sa leçon ». La théorie d'Épictète Bien que le livre n'ait pas d'ordre précis dans les développements, les mêmes idées reviennent sans cesse formulées différemment, illustrées d'exemples le plus souvent familiers : la logique est indispensable ; le « choix rationnel et réfléchi » désire délibérément les choses qui dépendent de nous, le reste devenant indifférent : « Dépendent de nous l'opinion, la tendance, le désir, l'aversion, en un mot ce qui est notre propre ouvrage ; ne dépendent pas de nous le corps, les témoignages de considération, les hautes charges, en un mot ce qui n'est pas notre ouvrage. » (Entretiens, Livre I) ; la philosophie ne promet (ni ne permet) de changer les choses extérieures, son objet est de maintenir notre volonté en harmonie avec la nature (Entretiens, Livre I) ; puisque tout homme porte Dieu en lui, philosopher revient à connaître notre relation avec lui : apprendre à vivre et à mourir comme un dieu ; il faut pour cela vouloir ce que Dieu veut et dominer ses opinions ; Le Dieu d'Épictète C'est la raison qui pénètre et unifie le monde auquel elle est immanente (en métaphysique, l'immanence désigne le fait que l'Absolu se tient dans le monde) ; il est également « père des hommes », cette parenté est établie par la raison. il n'y a pas de doctrine, seulement des règles de vie : le contrôle de soi, comprendre que « ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu'ils portent sur les choses » (Manuel, V) ; le bonheur ne réside pas dans la domination des hommes mais des désirs ; le bien est perfection de la nature (ou du « tout », de Dieu) et la nature est la totalité du réel où causes et effets s'enchaînent sans faille ; le mal est aveuglement de la raison ; la liberté est affaire de jugement et de volonté ; seule l'opinion droite est à même de nous libérer et de nous apporter la sérénité (ou ataraxie, « tranquillité de l'âme » que rien ne vient troubler parce qu'elle ne craint rien, ne désire rien). L'influence d'Épictète sur la pensée occidentale est considérable, il suffi t de citer saint Benoît qui transposa nombre de préceptes dans sa Règle.


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