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énallage

Une énallage est une figure microstructurale (de construction). Elle consiste en une succession d’indications de temps (essentiellement par des formes verbales, mais aussi par des substantifs, adjectifs ou adverbes ad hoc), qui ne correspondent nullement à une succession de valeurs chronologiques. Le simple mélange de temps, même en contiguïté radicale, ne suffit donc pas à faire une énallage. Celle-ci connaît deux types d’orientation.
Le cas le plus simple apparaît dans des textes comme celui-ci :
Amarillis toute pleine de grâce Allait ce bois de ses fleurs dépouillant, Mais sous la main qui les allait cueillant,
D’autres soudain renaissaient en leur place. Ces beaux cheveux, où l’Amour s’entrelasse, Amour allait d’un doux air éveillant,
Et s’il en voit quelqu’un s’éparpillant, Tout curieux soudain il le ramasse. Telle Lignon pour la voir s’arrêta, Et pour miroir ses eaux lui présenta, Et puis lui dit : Une si belle image À ton départ mon onde éloignera :
Mais de mon cœur jamais ne partira Le trait fatal, Nymphe, de ton visage.
Dans ce joli sonnet d’H. d’Urfé (L'Astréê), on a la forme d’un récit au passé, concernant la promenade de la belle Amarillis. C’est dans le second quatrain qu’il se passe quelque chose. Le premier présent (s’entrelasse) ne doit pas être mal interprété : c’est un présent d’habitude hors chronologie. Mais les deux autres (voit - ramassé) s’insèrent parfaitement dans la chronologie fictionnelle du récit au passé (on peut le prouver par leur insertion dans la phrase aux côtés de allait) : la valeur temporelle est effectivement celle de toutes les autres formes verbales du passé ; ce sont des présents de narration, marquant plus vivement le drame (ce qui est souligné par soudain). L’énallage est claire.
Il en est une autre, plus subtile. Voici un extrait d’Aragon (La Mise à mort, éd. Gallimard) :
Tout ceci n ’est qu ’un rêve avant que je m ’éveille à la cruauté d’être, au bout des siècles, dans un jour nocturne, où transparaît l’envers du temps, et j’apprendrai, je désapprendrai cette vie, où j’ai vécu sans savoir que le Roi était fou [...] et que j’aurai passé dans la lumière de mes yeux comme un aveugle, sans rien comprendre, à tout donnant figure de mes songes, et il ne s’agissait pas de défendre [...] mais de cet aveuglement, de cet aveuglement des yeux qui voient sans voir [...] Je me promène à Copenhague ou à Venise, ai-je été à Venise, à Copenhague jamais... et je me souviens de Grenade, je dors à New York ou je remonte le Rhin sur un vapeur. Tout cela, je l’ai oublié, tu me tiens, tu me retiens dans le breuvage de tes bras. Il y a de cela douze ans peut-être, ou cent [...]
Non seulement se succèdent ici les présents, les futurs, les passés ; mais les coordinations même impliquent des ruptures dans le continuum et dans l’homologie chronologiques; les seules indications « logiquement » acceptables réfèrent à une temporalité de rêve, bien plutôt psychédélique que réellement onirique. Or, c’est l’énallage qui permet ce système expressif, comme ce système verbal permet d’aller le plus loin dans l’analyse de la figure et de sa modernité. On emploie quelquefois le même terme d’énallage pour désigner tout changement dans l’usage des embrayeurs (articles, ensemble des prédéterminants, pronoms, désinences personnelles, etc.), à l’intérieur d’une unité assez rassemblée de discours, soit sans changement de la valeur de désignation correspondante, soit de manière à produire ainsi un effet de brusquerie ou de brouillage assez saisissant.
=> Figure, microstructurale, construction.


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