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ELUARD Paul

ELUARD Paul 1895-1952

Né à Saint-Denis dans une famille d’origine modeste mais très à l’aise financièrement, Paul-Eugène Grindel est infirmier dans un hôpital militaire quand il signe Paul Eluard un petit recueil de poèmes (son troisième): Le Devoir et l’inquiétude (1917). Ce sont des poèmes simples et dépouillés, teintés d’unanimisme (voir J. Romains); ses Poèmes pour la Paix, 1918, seront du même genre. Au cours d’un séjour en sanatorium où il soignait une grave tuberculose, il a rencontré Gala (Hélène Dimitrovnié Diakonova) et l’a épousée, en 1917. La guerre finie, sa sympathie pour les réfractaires et les anarchistes le rapproche du mouvement Dada de Tzara. Il s’est lié avec Breton, Soupault et Aragon et, en 1924, au retour d’un voyage autour du monde, il rejoindra le mouvement surréaliste. La guerre coloniale du Rif (1925) l’amène, en 1927, à adhérer au parti communiste, dont il se détachera très vite. Jusqu’en 1926 il a publié plusieurs recueils nettement surréalistes mais dans Capitale de la Douleur (1926), qui est l’un de ses chefs-d’œuvre, s’affirme la voix d’un poète qui ne renonce pas à voir aussi dans la poésie un moyen de dire sa confiance en l’amour et la fraternité humaine. Il y a dans les autres recueils antérieurs au deuxième conflit mondial, la même volonté, tout en restant fidèle au surréalisme, de faire partager le monde de ses rêves en rejoignant la vie réelle: L’Amour la Poésie (1929), La Rose publique (1934), Les Yeux fertiles (1936). Entre-temps, en 1929, Gala l’a quitté pour Salvador Dali; il a rencontré Maria Benz dite Nusch, qui deviendra sa femme en 1934 et il s'est fâché avec Breton (1939). La guerre d'Espagne, puis la Deuxième Guerre mondiale, l'amènent, en 1942, à adhérer de nouveau au parti communiste alors clandestin qu'il ne quittera plus. La même année, parachutage par la R.A.F. de son célèbre poème «Liberté» extrait de Poésie et Vérité. Sa poésie se fait poésie de lutte: Dignes de vivre (1944) et Au Rendez-vous allemand (1944). En 1946, année où il publie Poésies ininterrompues 1, la mort soudaine de Nusch le plonge, des mois durant, dans le plus profond désespoir: Suit une période d'intense activité politique (soutien aux victimes du maccarthysme et aux partisans grecs). Au lendemain d'un nouveau mariage, qui lui a redonné le goût de vivre et d'écrire (Pouvoir tout dire (1951), Poésies ininterrompues II (1953), il meurt, à 57 ans, d'une crise cardiaque. Sa poésie, qui, par instants, frôle presque la mièvrerie, tant elle est absorbée à chanter l'amour, en est préservée par sa violence d'éternel jeune homme en colère: violence de l'amour et du langage poétique qui pulvérisent toutes les autres.


Poète, né à Saint-Denis. Il écrit, très jeune, des vers encore classiques d’esprit. Pourtant, peu après le début de la guerre, il rejoint le groupe dadaïste ; et il va participer à la naissance du mouvement surréaliste aux côtés de Breton. De ses premiers recueils (Les Animaux et leurs hommes, 1920 ; Mourir de ne pas mourir, 1924 ; L’Amour la poésie, 1929, etc.) se détachent, d’une pan, L’Immaculée Conception (avec Breton, 1930), une des réussites les plus convaincantes de toute l’école surréaliste en matière de poésie proprement dite ; d’autre pan, et surtout, Capitale de la douleur, 1926. Ici, Éluard est déjà tout entier, avec son lyrisme murmuré qui côtoie parfois le pathétique ; bien trop pudique cependant pour s’y laisser aller. Replié par nature sur sa nuit intérieure, il n’a pas besoin, comme tel autre membre du groupe à cette époque, de se référer à Breton (ni de se conformer point par point aux encycliques de celui-ci sur les modalités propres à l’« activité surréaliste ») pour confondre en chaque moment du jour le rêve et le réel. Des chevauchements sans cesse, l’un sur l’autre, de ces deux univers il n’est pas le maître, mais bien davantage la victime, la dupe ravie, extasiée. Et, en ce sens, il est le contraire du surréaliste véritable, qui procède, lui, d’un œil vigilant et sec à une « investigation » dont le programme est prévu dans le cadre du célèbre Bureau de recherches du 15 de la rue de Grenelle. De la même façon, le thème cher à Breton de l’« amour fou » est pour Éluard, dans son expression même, un pléonasme : existe-t-il d’autre activité possible que l’amour? et peut-il en exister quelque autre forme qu’absolue? C’est là, pour lui, la manifestation la plus irrépressible d’une propension naturelle de son esprit : il n’a qu’à se laisser porter le long de sa pente (Les Yeux fertiles, 1936). Et c’est en cela surtout que son cas se situe au rebours de Breton, dont l’attitude vis-à-vis de l’amour implique une distribution des « emplois » : le donateur, et la réceptive. Éluard ne peut concevoir que la fusion plénière sans partage préalable des rôles, c’est-à-dire le ravissement mutuel dans l’abandon réciproque. Enfin, nul n’est plus éloigné que lui de la conception, propre à Breton, de l’« acte surréaliste exemplaire » qui est, comme on sait, de faire un scandale. Mais, en outre, dès 1932, dans La Vie immédiate et chaque année davantage jusqu’au recueil Donner à voir (1939), s’affirme son double projet de retrouver quant à lui le contact direct avec le « réel », et de faire participer autrui à l’expérience de l’univers telle que la vit le poète. Aussi passera-t-il, sans effort - et par suite sans artifice, une fois de plus -, de tels chants intimes et subtils (écrits pour Gala, ou, après le départ de celle-ci, pour Nusch) aux accents plus vifs, mais non moins chaleureux par quoi, dès l’époque de la guerre d’Espagne, à l’occasion de Guernica par exemple, il se préoccupe d’inoculer la fièvre du poète dans la vie des autres hommes, dit-il, dans la vie commune. Ce même souci de communion au sens le plus laïque lui dictera sous l’Occupation, qu’il vit dans la Résistance, Poésie et vérité (1942) au titre paradoxalement goethéen, car Goethe fut un « collaborateur » sous Napoléon ; puis, Dignes de vivre (1944), Au rendez-vous allemand (1944), et, après la Libération, Poèmes politiques (1948). Une leçon de morale (1949), nouveau recueil qui suit de près les Poèmes politiques, va encore hâter et accentuer ce passage « de l’horizon d’un homme à l’horizon de tous » (selon la formule de son ami Aragon, dans la préface au premier de ces deux livres). On peut leur préférer cependant les deux volumes de Poésie ininterrompue, I et II (1946 et 1953, posthume), ainsi que Le Phoenix (1951), qui contient de bouleversants poèmes d’amour (dédiés à Dominique, qu’il avait épousée après la mort de Nusch) ; ou le recueil Corps mémorable (longtemps clandestin, et publié d’abord sous le nom de Brun, 1947). En 1968 ses œuvres sont éditées dans la « Bibliothèque de la Pléiade ». Au total, si sa participation au mouvement fondé par André Breton fut - malgré le goût de ce dernier pour les exclusions retentissantes -relativement longue, il semble pourtant qu’Éluard n’ait jamais été surréaliste que par coïncidence, si l’on peut dire. L’art secret et raffiné qui lui est propre ne doit pas grand-chose, en définitive, aux techniques apprises de l’école ; mais celle-ci se trouve suffisamment honorée de la part qu’il y a prise pour que nul (ni dans le groupe, ni parmi les plus rigoureux de ses historiens) n’ait jamais songé à renier ce compagnon discret et obstiné, qui en avait contredit presque tous les dogmes.