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DU SUICIDE CONSIDÉRÉ COMME UN DES BEAUX-ARTS


Dans son Anthologie de l’humour noir, dont la première édition fut publiée pendant la Seconde Guerre mondiale et saisie par le gouvernement de Vichy, André Breton brosse, au milieu d’autres portraits, ceux de trois hommes qui ont choisi de disparaître : Arthur Cravan, Jacques Vaché et Jacques Rigaut.
Leur dernier geste les fait entrer au panthéon du surréalisme : c’est avant tout, nous dit l’auteur, un acte littéraire, gratuit et esthétique — celui de Jacques Rigaut présentant à ce titre toutes les caractéristiques de la perfection.
Après Jacques Vaché, que l’on a retrouvé mort empoisonné dans une chambre d’hôtel en 1919, alors qu’il venait d’être démobilisé (il avait vingt-trois ans), et dont l’une des dernières lettres à Breton contenait ces lignes : «Je sortirai de la guerre doucement gâteux, peut-être bien, à la manière de ces splendides idiots de village (et je le souhaite)... ou bien... ou bien... quel film je jouerai l», après Arthur Cravan, disparu en 1920, à l’âge de trente-neuf ans, « dans le golfe du Mexique où il s ’[était] engagé de nuit sur une embarcation des plus légères », c’est Jacques Rigaut qui, en 1929, à l’âge de trente ans, « après de très minutieux soins do toilette et en apportant à cette sorte de départ toute la correction extérieure qu’elle exige — ne rien laisser qui dépasse, prévenir au moyen de coussins toute éventualité de tremblement qui puisse être une dernière concession au désordre —, se tire une balle dans le cœur».
Et Breton ne résiste pas au plaisir de citer les Papiers posthumes de Rigaut, où l’on peut lire cette confidence : « Je vous fais grâce du récit de mes autres suicides, pourvu que vous consentiez à écouter encore celui-ci : Je venais de me coucher. Je pris la décision et, en même temps, je me le rappelle très précisément, j’articulai la seule raison ; et puis zut l Je me levai et J’allai chercher l’unique arme de la maison, un petit revolver qu’avait acheté un de mes grands-pères, chargé de balles également vieilles. [...] Il faisait froid.
Je me hâtai de m’enfouir sous mes couvertures. J’avais armé le chien, Je sentis le froid de l’acier dans ma bouche. [...] J’ai pressé sur la gâchette, le chien s’est abattu, le coup n’est pas parti. J’ai alors posé mon arme sur une petite table, probablement en riant un peu nerveusement.
Dix minutes après, je dormais. [—] II va de soi que je ne songeais pas un instant à tirer une seconde balle. Ce qui importait, c’était d’avoir pris la décision de mourir, et non que Je mourusse. [...] Voilà tout de même l’acte le plus absurde, et la fantaisie à son éclatement, et la désinvolture plus loin que le sommeil, et la compromission la plus pure. »



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