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décorum

La notion de décorum signale évidemment la trace latine de la rhétorique. Une des meilleures approches en est donnée, au xvie siècle, par Ramus, et ce non sans quelque paradoxe, puisque c’est l’époque où une tendance techniciste de la rhétorique radicalise et limite le stock des concepts reconnus comme proprement objectifs, tout en favorisant l’émergence d’une conception plus esthétique et moins technique des arts, plus large et moins réglée.

Le décorum, en ce qui concerne la pureté et l’élégance de la langue, relève de la grammaire; en ce qui concerne les édifices, de l’architecture ; pour ce qui est de tous les propos et des actes, des questions diverses et générales de la vie quotidienne, il relève de la prudence humaine. Le décorum est cette perfection que les arts nous permettent de connaître par leurs préceptes spécifiques, et la raison et la sagesse des hommes par elles-mêmes.

Dans cette définition à la fois précise et déçue, comme en retrait, on voit cependant très bien le jeu des grands axes de la rhétorique. D’abord, une dimension technique, concernant la pureté et l’élégance du style. Ensuite, une appréciation à la fois morale, esthétique et intellectuelle d’ordre général, qui rejoint davantage les questions de convenance et de dignité ; on retrouve alors aussi bien les déterminations de l’éthique que les conditions de l’efficacité du discours dans la persuasion, par ce qui peut toucher l’auditeur. Ce mixte d’esthétique et de morale psychologique est profondément rhétorique : le décorum désigne une sorte d’idéal de qualité sociale. Ce dernier point a été particulièrement mis en valeur par les plus récentes recherches en histoire de la rhétorique. Après l’Antiquité, le décorum désigne manifestement l’adaptabilité sociale, au sens et dans les champs les plus larges du terme. Cette adaptabilité concerne d’abord celle de l’orateur ou de l’écrivain à son sujet, aux circonstances, et aussi à ses propres capacités ; cette ultime détermination engage aussi la question des genres et des niveaux. Le décorum, qui est d’une certaine façon un idéal, ou un principe régulateur, peut donc être atteint, ou du moins visé, dans des genres ou dans des niveaux différents : c’est là une considération très importante, par rapport à un certain radicalisme rhétorique, hors de toute axiologie. On en vient de la sorte, et ce dès Cicéron, à l’idée d’une correspondance idéale à déceler, à accepter et à mettre en œuvre, pour chacun, entre son comportement oratoire (son style par exemple, ou les genres pratiqués) et son tempérament, son génie individuel.

L’adaptation aux circonstances est un considérant plus banal. On insistera davantage sur l’approche du décorum par l’adaptation à la personne, si généralement exigée par tant de théoriciens. Sans doute s’agit-il des efforts que doit faire le locuteur vis-à-vis de lui-même, comme on vient de le voir ; mais il s’agit aussi de prendre en considération tous les états et tous les circonstants qui concernent aussi bien les personnes dont il est question dans le discours que, surtout, celles à qui l’on s’adresse. De la dignité d’un rang à préserver pour soi, on en arrive ainsi à une exigence, bien plus partagée, de respect humain : cette dimension sert évidemment l’efficacité de la persuasion, par le moyen de toucher; elle rencontre aussi la condition même du discours littéraire : la participation sociale à l’art.

=> Orateur, oratoire; style, élocution; genre, niveau; qualité, pureté, élégance, convenant, dignité; moeurs, persuasion, toucher.