Conjoncture : environnement (2005-2006)
Conjoncture : environnement (2005-2006)
L’année 2005-2006 a été jalonnée de grands rapports scientifiques faisant état des transformations de l’environnement et du climat. Ce flot d’informations chocs sur le présent et de nouvelles projections inquiétantes pour l’avenir de la planète rappellent le début des années 1970. À cette époque, l’opinion publique mondiale avait été interpellée par les travaux de la Conférence des Nations unies sur l’environnement humain (Stockholm, 1972) et le rapport du Club de Rome Les Limites de la croissance (1972). La protection de l’environnement s’imposait dès lors comme un enjeu mondial.
Cette prise de conscience, alimentée par le jeune mouvement écologiste, amena une centaine d’États à créer un ministère ou un secrétariat de l’Environnement dont la mission passait d’abord par le contrôle des pollutions via l’adoption de législations nationales et d’ententes internationales. Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a été mis en place en 1972, en complément du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), tandis qu’apparaissaient les premières bases du droit international de l’environnement. À la conférence de Stockholm, l’aphorisme « Une seule terre » annonçait la nécessité d’une coopération internationale et marquait l’importance du principe selon lequel chaque État devait veiller à ce que les activités sous sa juridiction ne dégradent pas l’environnement des pays voisins. Les premières conventions internationales, notamment sur la protection des espèces menacées d’extinction (CITES), datent de la même décennie. Vingt ans plus tard, dans la foulée du Sommet de la Terre (Rio, 1992), sont apparus les signes d’une relance de la coopération en matière d’environnement, telles la Convention sur la diversité biologique et la Convention cadre sur les changements climatiques. Mais ces ententes, quoique nécessaires, se révèlent bien insuffisantes par rapport à la magnitude des enjeux environnementaux.
En 2005, les images des glaciers fondant sous l’œil des caméras et les reportages suivant minute par minute les ravages des ouragans sur les côtes américaines et ailleurs ont accompagné les mises en garde de la communauté scientifique. Malgré la mise en place de cadres institutionnels nationaux et internationaux, les derniers constats sur l’état de la planète sont plus préoccupants qu’au début des années 1970.
L’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire, un sévère avertissement
Lancée en 2000 par le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, l’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire appelait 1 400 chercheurs de 95 pays à porter un jugement sur l’état de la planète. Rendu public en mars 2005, ce vaste programme visait à évaluer « les conséquences des transformations des écosystèmes sur le bien-être humain et à établir la base scientifique des actions requises pour accroître la conservation et l’utilisation durable des écosystèmes et leur contribution au bien-être humain ». Ces études ont servi de base à une déclaration formelle, à caractère de sévère avertissement.
Ces importants travaux rappellent que la spoliation des ressources naturelles a produit des changements irréversibles diminuant la capacité de notre planète à maintenir la vie. Depuis le milieu du xxe siècle, pour satisfaire la demande croissante en nourriture, en eau, en fibres et en carburant, nous avons transformé notre environnement. La croissance démographique qui a suivi la Seconde Guerre mondiale a accéléré la ruée vers les ressources naturelles. Même si l’humanité en a tiré profit sur le plan économique et dans la production de denrées vitales pour le Sud, ce progrès est intervenu au détriment des générations futures. La diversité biologique a considérablement diminué. Chez les mammifères, les oiseaux et les amphibiens, entre 10 % et 30 % des espèces sont menacées d’extinction. Deux des services écosystémiques, l’eau douce et la pêche, ne peuvent plus satisfaire à la demande. Cet amenuisement de la biodiversité compromet les efforts pour réduire la faim et la pauvreté et pour améliorer le bien-être des populations. Seules des transformations majeures de nos habitudes de consommation et de gestion de l’environnement permettront de sauver la mise.
Les « futurs plausibles » que laisse entrevoir l’Évaluation pour le Millénaire d’ici le milieu du xxie siècle reflètent les tendances actuelles, mais rien ne serait totalement joué. La santé de la planète reposerait sur la volonté et la capacité, toutes relatives, des États à faire évoluer l’arrière-plan économique de leurs décisions. Ce rapport insiste sur le formidable défi que constitue la prise en compte des « services » que fournissent les écosystèmes (le « capital naturel ») dans l’exploitation des territoires et des ressources. Il y est aussi question du recours au « marché » pour réduire la pression sur les services des écosystèmes. On y suggère aussi d’inclure dans les politiques nationales la protection des écosystèmes, d’influencer les comportements et de mettre au point des technologies respectueuses de l’environnement. En revanche, sont à peine mentionnées les difficultés rencontrées par les organismes internationaux pour créer un nouveau système de coopération et de prise de décision commune.
Faibles avancées concernant la lutte contre les changements climatiques
Les « événements extrêmes » tels les ouragans, les sécheresses, les grandes inondations ne sont décidément plus attribuables aux seuls caprices de la nature mais aussi à l’activité humaine avec la production de gaz à effet de serre (GES). Après de longues et nécessaires supputations sur les causes du réchauffement de la planète, (+ 0,65 °C depuis 1900), de plus en plus d’experts attribuent les bouleversements du climat à la présence des GES dans l’atmosphère, dont le dioxyde de carbone (CO2) émanant de la consommation de combustibles carbonés (charbon, pétrole et gaz).
Selon l’Organisation météorologique mondiale, 2005 a été la deuxième année la plus chaude pour l’hémisphère Nord depuis 1861. L’Australie a connu des sécheresses records ; des pluies dévastatrices ont frappé la Chine, l’Inde et le Pakistan. Le sud de l’Europe a connu des chaleurs torrides et une séries d’incendies. Enfin, la saison des ouragans sur les côtes américaines a causé, comme à La Nouvelle-Orléans dans le sillage de Katrina, une dévastation d’une rare ampleur. S’ajoute à ce catalogue de « catastrophes naturelles » le fait documenté de la diminution de la calotte de glace sur l’Arctique (– 20 % depuis le milieu des années 1970).
La gravité de la situation est destinée à alimenter encore d’importants débats – quels seront les impacts du réchauffement de la planète sur les écosystèmes, sur nos sociétés, sur l’économie mondiale ? En effet, les premiers éléments disponibles du quatrième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), à paraître en 2007, évoquent pour 2030 – lorsque le dioxyde de carbone aura doublé dans l’atmosphère par rapport à la situation d’avant la révolution industrielle – une élévation de la température moyenne de la planète de 3 °C !
Le protocole de Kyoto prévoyait l’engagement des pays industrialisés à réduire d’ici à 2012 leurs émissions de GES de 5,2 % par rapport aux niveaux de 1990. Entré en vigueur le 16 février 2005 pour les 128 parties signataires, le protocole de Kyoto marque quatre évolutions : 1. 30 pays industrialisés sont légalement tenus d’atteindre les objectifs quantitatifs de réduction ou de limitation de leurs émissions de gaz à effet de serre ; 2. le marché international du commerce de carbone devient une réalité légale et pratique : le régime du « commerce d’émissions » du protocole permet, en effet, aux pays industrialisés de s’acheter et de se vendre des crédits d’émissions ; 3. le Mécanisme de développement propre (MDP) sera totalement mis en œuvre, encourageant, dans les pays en développement (PED), les projets limitant les émissions, tout en favorisant le développement durable ; 4. le Fonds d’adaptation du protocole, établi en 2001, aidera les PED à faire face aux effets négatifs des changements climatiques. Mais tant les cibles que le statut d’exception des économies émergentes ou les mécanismes de mise en œuvre du traité étaient loin de faire consensus, soulevant déjà un certain pessimisme quant à la portée du protocole de Kyoto.
Deux pays récalcitrants, les États-Unis et l’Australie, qui comptent pour plus du tiers des GES du monde industrialisé, réduisent la portée du protocole, et, quoique l’Inde, la Chine, le Brésil et l’Indonésie l’aient adopté, ils n’ont pas d’objectifs de réduction d’émissions. À Montréal, en novembre-décembre 2005, la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques a pu susciter quelques espoirs en annonçant un accord sur l'ouverture de nouvelles discussions, sans objectifs contraignants, concernant l’avenir de la lutte contre le réchauffement planétaire. En revanche, le projet d’une action décisive de réduction des émissions de GES menée par les grands producteurs de gaz n’avait pas encore pris forme.
Autant les menaces qui pèsent sur les écosystèmes et sur le climat sont désormais tangibles, autant les perspectives d’une action concertée à l’échelle internationale demeurent vagues. La hausse vertigineuse des prix du pétrole en 2005-2006 annoncent la recherche d’alternatives pas toujours « douces », comme le charbon aux États-Unis. Aussi prévoyait-on au Forum urbain mondial (ONU-Habitat, Vancouver, juin 2006), à horizon 2030, le doublement du nombre des urbains dans les PED. Cette éventualité rendra encore plus difficile la réduction des GES. En 2006, les villes produisaient 80 % du CO2. Réduire ces émissions impliquera des coûts d’infrastructure prohibitifs pour les pays du Sud. S’ajouteront à la pauvreté les problèmes de la gestion des déchets, de l’approvisionnement en eau et de la qualité de l’air.