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Communication-monde - Culture mondiale ou système baroque?

Communication-monde - Culture mondiale ou système baroque? Le développement des médias et plus largement des réseaux de communication annonce-t-il l'avènement d'une "culture mondiale", uniformisatrice, ou est-il, paradoxalement, le prélude à une fragmentation culturelle de la planète? La question de l'homogénéisation des cultures date de la fin du siècle dernier. La culture de masse amorçait à peine sa trajectoire (littérature de gare en Grande-Bretagne, feuilletons dans les journaux en France, comics- bandes dessinées - aux États-Unis). L'un des premiers à s'être interrogé sur l'"uniformisation" culturelle du monde sous l'effet de la multiplication des réseaux techniques a été le romancier anglais H.G. Wells (1866-1946), l'auteur de La Guerre des mondes. Le problème de l'uniformisation des cultures au siècle, avait-il prédit, serait celui de l'issue d'un "conflit entre les langues"; son théâtre majeur, l'industrie du livre. En effet, le mouvement vers l'unité de la planète - il avait déjà diagnostiqué la fin des systèmes sociaux locaux - continuerait de tolérer les croisements, la complexité des jeux et des combinaisons entre les cultures mais deux langues rassembleraient l'humanité: le français et l'anglais. Le premier, de par la qualité et la diffusion de ses publications, aurait l'avantage sur un anglais au service d'écrits de moindre intérêt et en attente de la "renaissance culturelle" de la Grande-Bretagne. Dans leur principe, ces anticipations de H.G. Wells ne paraissent plus à discuter à un moment où les outils de l'hégémonie culturelle ont changé du tout au tout au bénéfice des produits d'une culture de plus en plus soumise aux lois du marché. Théorie et réalité de l'"américanisation" Les années vingt on vu de nombreux penseurs européens s'inquiéter de la montée de ce que le dramaturge italien Luigi Pirandello dénommait déjà l'"américanisme" ou l'"américanisation de la culture". Que l'on pense également aux analyses de l'historien et philosophe allemand Oswald Spengler sur la "fin de la culture" et le "déclin de l'Occident", succombant aux assauts de la civilisation de la technique, ou bien encore aux réflexions de l'Espagnol Ortega y Gasset s'insurgeant contre la culture exportée par une Amérique soumise aux seules lois de la production-distribution de masse et de la technologie. Il voyait cette "pseudo-culture" comme en opposition irrémédiable avec la haute "culture des Lumières" (XVIIIe siècle) dont le Vieux Continent était le berceau et le garant. Ce n'est toutefois qu'à la fin des années quarante que l'idée selon laquelle l'homogénéisation par voie de standardisation des produits et des comportements de leurs consommateurs est inhérente à la culture médiatique a pris son envol, c'est-à-dire dès la formulation de la première théorie critique - philosophique - de la culture de masse sous l'égide de l'école de Francfort, avec Theodor Adorno et Max Horkheimer, qui ont créé la notion d'"industrie culturelle". Pendant plus de deux décennies, cette idée d'uniformisation a hanté les références critiques. La domination sans partage des industries culturelles en provenance des États-Unis sur les marchés internationaux a contribué à rendre crédible le postulat qui voulait qu'on assistât à une phase ultime de l'"impérialisme culturel", une uniformisation du monde par l'entremise de l'"américanisation". Cette représentation prenait toute sa force dans un contexte de mobilisation politique intense, exacerbée par les bipolarités Est-Ouest et Nord-Sud. De ces visions de l'uniformisation était absent le "sujet consommateur". Sa réhabilitation s'est faite à la fin des années soixante-dix. Dès lors, on a commencé de le percevoir autrement que comme un récepteur passif répondant à un stimulus dans le sens prescrit. Ce bouleversement des perspectives théoriques a permis de réintroduire l'analyse des différenciations culturelles, de relativiser à partir de l'interaction produit culturel-public l'"effet" uniformisant du premier. En bref, on a découvert qu'on ne voyait pas de la même façon une même série de télévision selon que l'on se trouvait à Alger, à Moscou ou à Londres. Corollairement, côté émission, même si les logiques de l'internationalisation ont travaillé de plus en plus les télévisions nationales, les modes de programmation sont décidément restés une question nationale. Cette relativisation en aval s'est trouvée renforcée en amont par la réalité de la multiplication des acteurs des industries culturelles sur le marché international. Qui aurait pu imaginer quelques années plus tôt, que les telenovelas (séries) mexicaines feraient pleurer dans les chaumières russes en 1993? Des universaux culturels bien relatifs La logique contraire travaille pourtant également, et de plus en plus, le monde. A preuve, le glissement qui s'est opéré dans les années quatre-vingt dans les concepts qui en rendent compte: de l'internationalisation à la globalisation. Qui peut nier que nos sociétés sont de plus en plus connectées avec des produits et des réseaux de communication appelés à fonctionner à l'"universel"? L'idée de "culture globale" a structuré les discours de légitimation des stratégies d'expansion des grandes entreprises, au premier chef, ceux des groupes multimédias et des grands réseaux d'agences publicitaires, tous à caractère transnational sur la global marketplace (marché global). Les doctrinaires d'une globalisation à tout crin, hic et nunc, se sont opposés à ceux pour qui l'évolution de l'économie mondiale était loin de se résumer à la seule logique de l'homogénéisation des marchés, des produits, des goûts et des besoins, pour qui aussi l'idée de la segmentation des marchés et des "cibles" paraissait tout aussi importante que celle de la standardisation. Au niveau des stratégies de construction de l'économie-monde, le dilemme standardisation/segmentation s'est révélé ne pas en être un, les deux termes étant les deux faces complémentaires d'un même processus, l'un n'allant pas sans l'autre. Le bilan de cette décennie mégalomane, où tout comme la sphère financière, la sphère communicationnelle a fonctionné dans une bulle, est venu mettre un bémol à cette quête d'une culture globale et à la chasse aux "universaux culturels" au service du marché. L'échec de nombre de stratégies de diversification et d'expansion - telle celle, retentissante et symbolique du magnat de la presse britannique Robert Maxwell en 1991 -, la lenteur de la mise en place du marché unique qui pour une grande part avait encouragé, notamment, la tendance à lancer des campagnes publicitaires et des chaînes de télévision paneuropéennes ne sont que quelques facteurs et exemples parmi d'autres expliquant le déclin du discours triomphaliste de la conquête de la culture globale. Les années quatre-vingt ont aussi été celles de la revanche des cultures singulières. La tension et les décalages entre la pluralité des cultures et les forces centrifuges de l'universalisme marchand a révélé la complexité des réactions à l'émergence d'un marché à l'échelle du monde. D'autant plus que la tendance de la globalisation à fonctionner selon une logique de ghettos et d'exclusion, ne travaillant qu'à partir des 20% de l'humanité qui concentrent 80% des pouvoirs d'achat et d'investissement s'est dangereusement accentuée. Fait significatif: de nouveaux concepts sont apparus qui tentent d'approcher en des termes moins manichéens la rencontre des cultures dans le contexte - toujours bien présent - de l'échange inégal et des rapports de force. Ils ont nom "créolisation", "hybridation", "appropriation". Plutôt donc que de continuer à ressasser les prêts-à-porter idéologiques des visions du monde comme "système global", et autre "village global", faudrait-il mieux, à l'instar du philosophe français Maurice Merleau-Ponty, continuer à penser que la planète est toujours un "système baroque" et le restera sans doute encore longtemps, malgré les discours contraires de la World Business Class (classe mondiale des affaires), en voie de formation et qui a trop tendance à prendre la "culture des affaires" pour la "culture du monde"?

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