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COLETTE Gabrielle Sidonie

COLETTE Gabrielle Sidonie. Femme de lettres française. Née à Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne) le 28 janvier 1873, morte à Paris le 3 août 1954. Colette, par la qualité et l'ampleur de son oeuvre — plus de quarante volumes — couvrant près de cinquante années, est assurément un des écrivains les plus importants de la première moitié du XXe siècle. Deux êtres exercèrent sur elle une influence fondamentale : Sido et Willy. De Sido, sa mère bien-aimée, dispensatrice de bonheur pour les bêtes et les gens, dont le souvenir devait l'accompagner jusqu'à sa dernière heure et transparaître dans bien des pages, lui vient son amour de la nature et des animaux, son goût de tout ce qui se touche, de tout ce qui se sent, de tout ce qui se voit. C'est à la grande injonction de Sido : « Regarde ! », à son émerveillement devant tout ce qui vit, que nous devons son propre émerveillement, et, partant, le miracle de son style qui, débanalisant le réel, faisant jaillir la réalité profonde de sa cosse, réussit à nous montrer ce que nous ne savions plus voir, et nous donne les choses mieux que ne le feraient nos propres sens. En dehors de cet amour pour un terroir nourricier et pour une maison toute simple et grise au bord d'une rue caillouteuse (« la maison de Sido »), une autre action devait s'exercer sur Colette, dès le sortir de l'adolescence : celle de Willy, son premier mari. Willy, en effet, fut appelé à avoir une influence décisive sur son art, d'une part en l'incitant à se manifester, d'autre part en lui imprimant une inflexion dont Colette ne pourra se libérer par la suite que grâce à son génie. (On trouvera des traces de cette influence dans le caractère un peu suspect de ses premiers personnages, et dans celui, délibérément libertin, des sujets traités.) « Ma vie de femme commence à ce jouteur », devait-elle dire plus tard. Terrible éducation sentimentale, quand on est l'enfant même de la nature, droite, simple, brutale, que d'être initiée à l'amour par un Willy, c'est-à-dire par un viveur, ne se plaisant qu'aux pavés des villes et aux cénacles mondains. Après treize années de vie commune, Colette, lorsqu'ils se séparèrent, possédait son métier d'écrivain; elle s'était habituée à la discipline du travail (elle nous confiera même qu'elle avait connu quelque chose comme la vraie geôle, et la liberté rendue sous condition de montrer « pages noircies », durant le temps qu'elle écrivait pour son mari des romans qu'il signait de son nom). Mais, parce qu'elle avait aimé ce premier mari et qu'elle avait souffert de son inconstance, elle en gardait une marque ineffaçable. C'est à cette première expérience que nous devons la tonalité de ses romans qui auront tous pour thème — sauf Mitsou et Gigi — l'échec de l'amour. De Vinca et Phii, les jeunes protagonistes de quinze ans du Blé en herbe, de La Chatte à Julie de Carneilhan, en passant par La Seconde, Duo, Chéri et La Fin de Chéri, le cycle de ses romans sera entièrement centré sur les exigences des sens, au détriment du coeur et de la sensibilité, qui conduiront Colette à conclure : « L'amour n'est pas un sentiment honorable. » Mais si l'univers qu'elle nous découvre n'est pas celui des véritables rencontres avec les êtres humains, il est celui de la totale communion avec les bêtes : « Ma féerie ne saurait se passer d'animaux », nous avait-elle confié et, de « la sauterelle à tête de cheval », au chat-huant, « coiffé d'un béguin Marie-Stuart », à la petite truie, toute nue dans la rosée glaciale, à la couleuvre qui, regardant l'homme en face, « interroge la fenêtre de l'oeil », et à l'écureuil du Brésil « qui dispose sur son dos sa queue en point d'interrogation », il est peu d'animaux qui ne puissent prétendre à une large place dans ce bestiaire de la tendre compréhension, et ne jouissent d'un mystère et d'une complexité qu'elle a refusés à l'espèce humaine. Mais le principal personnage de l'oeuvre de Colette, c'est Colette elle-même. Non pas tant par le récit (toujours très discret et pudique) qu'elle nous fait de tel épisode de sa vie, que par les jugements, les réactions dont elle a parsemé ses écrits, et qui sont autant de révélations sur son être profond. N'est-ce pas quelque chose comme ses Essais qu'elle poursuit, à la façon de Montaigne, de livre en livre ? Au fur et à mesure qu'elle avance en âge, on dirait qu'elle s'approche davantage de nous. C'est Colette elle-même que nous avions déjà entr'aperçue dans La Vagabonde, c'est la méditative qui s'était dévoilée à nous dans La Naissance du jour, et enfin, ce sera la stoïcienne, acceptant la maladie et la vieillesse, qui s'adressera directement à nous, en assumant pleinement le rôle de la première personne, dans L'Etoile Vesper et Le Fanal bleu. Ces dernières oeuvres nous introduisent au coeur d'un courage et d'une vitalité que ni l'âge ni la souffrance n'ont pu tarir. Absolument dépourvue de mysticisme et sans l'aide d'aucune croyance, celle qui avait été si bien douée pour les seules réalités de la terre, gardant jusqu'au bout intacte et jeune sa curiosité de vie, fait preuve d'un courage exemplaire. De sa chambre ouvrant sur le tranquille jardin du Palais-Royal, du fond de son fit où la tient immobilisée une douloureuse arthrite, elle semble se prêcher elle-même : « Que nos précieux sens s'émoussent, par l'effet de l'âge, il ne faut pas nous en effrayer plus que de raison. Au lieu d'aborder des îles, je vogue vers ce large où ne parvient que le bruit solitaire du coeur, pareil à celui du ressac. Rien ne dépérit. C'est moi qui m'éloigne. Rassurons-nous. » La pudeur, la simplicité toute familière avec lesquelles Colette accepte ce « dérivement », au hasard d'une mer dont on n'atteint pas l'autre bord, forcent l'admiration. Devant cette résignation aux yeux grands ouverts, ce paisible acquiescement à l'inexorable loi de la nature, on est saisi de respect. Tout a été logique dans l'évolution de cet être, tout a été assumé sur le mode de la sérénité du destin, à son avis sans lendemain, de l'homme. Son père, Jules Colette, officier de carrière, fut amputé durant la campagne d'Italie de 1859. Sa mère, Sidonie Landoy (dont le père, surnommé « le Gorille », était quarteron) eut deux enfants d'un premier mariage avec Jules Robineau : Achille et Juliette; et de son union avec le capitaine Colette, un fils : Léo, et une fille : Colette. 1889 — Brevet élémentaire à Auxerre — les péripéties en seront rapportées dans Claudine à l'école. 1893 — A vingt ans, épouse Henry Gauthier-Villars (Willy), de quinze ans son aîné. De 1900 à 1904 — Sur l'instigation de son mari, Colette fait paraître les quatre Claudine — Claudine à Paris, Claudine en ménage, Claudine s'en va — signées sous le seul nom de Willy. (Trente ans plus tard, dans Mes apprentissages, Colette traitera de cette partie de son existence.) 1904 — Sept dialogues de bêtes. Premier livre paru sous la signature de Colette. 1906 — Divorce de Colette. Dans l'obligation de gagner sa vie, elle devient mime sous la direction de Georges Wague et débute au Moulin Rouge (période de vie décrite dans La Vagabonde et L'Envers du music hall). 1912 — Colette épouse en secondes noces Henry de Jouvenel (rédacteur en chef du Matin) dont elle aura en 1913 une fille : Bel Gazou. 1924 — Second divorce. 1935 — Colette se remarie avec Maurice Goudeket. 1936 — Elle est reçue à l'Académie Royale de Belgique (son discours de réception est consacré a Anna de Noailles). 1944 — Membre de l'Académie Goncourt. 1948 — Publication des « oeuvres complètes ». A partir de 1949, Colette est presque complètement immobilisée par une douloureuse arthrite des jambes. 1953 — Grand Officier de la Légion d'honneur. 1954 — Le gouvernement fait à Colette des obsèques officielles civiles au Palais-Royal. A citer parmi les ouvrages de Colette : Les Egarements de Minne, La Retraite sentimentale, Les Vrilles de la vigne (1908), L'Ingénue libertine (1909), L'Entrave (1913), La Maison de Claudine (1922), L'Enfant et les sortilèges (1925), Sido (1929). ? « Un détachement vraiment nietzschéen, un arrachement au bonheur par amour de la liberté, où se lit la philosophie la plus haute, la plus féminine et la plus vraie... Nulle pudeur et pourtant toute la sensibilité de la femme. » Rémy de Gour-mont. ? « Colette, seule de son sexe, sait qu'écrire est un art, le possède et confond quantité d'hommes qui l'ignorent. » Paul Valéry. ? « II y a là bien plus que du don : une sorte de génie très particulièrement féminin et une grande intelligence. Quel choix, quelle ordonnance, quelles heureuses proportions... Quel tact parfait, quelle courtoise discrétion dans la confidence... pas un trait qui ne porte et qui ne se retienne, tracé comme au hasard, comme en se jouant, mais avec un art subtil, accompli. J'ai côtoyé, frôlé sans cesse cette société que peint Colette et que je reconnais... factice, frelatée, hideuse... Il ne me paraît point que Colette, malgré toute sa supériorité, n 'en ait pas été quelque chose peu contaminée. » André Gide. ? « Elle n'a voulu parler que de ce qu'elle aimait, tout simplement... Songez à tout ce qu'elle nous aida à connaître, à toutes les joies sensuelles qu'elle nous a accordées. Elle a nommé les objets et les bêtes, comme Adam dans le premier jardin. » R. Brasillach. ? « Colette, le plus grand écrivain français naturel : son style, d'un naturel admirable, et très au-dessus, selon moi, de Gide et de Valéry, est tout le contraire de celui des alambiqués, des laborieux, des pasticheurs... Jamais, sous sa plume, je n'ai surpris une bêtise... Colette est, je crois, la seule personne à propos de qui j'ai parlé de génie. » H. de Montherlant. ? « Vous n'êtes pas du tout une femme convenable, Madame Colette — ... vous êtes la fière impudeur, le sage plaisir, la dure intelligence, l'insolente liberté : le type même de la fille qui perd les institutions les plus sacrées et les familles.» Jean Anouilh. ? «C'était notre meilleure journaliste qui s'était égarée dans le roman. » Jean Paulhan. ? « Elle représente quelque chose d'unique. C'est la première femme qui ait vraiment écrit en femme. George Sand, elle, écrivait sur des sujets d'homme.» André Maurois. ? «J'insiste bien, et n'insisterai jamais assez, sur ceci que la grandeur de Madame Colette vient de ce qu'une inaptitude à départir le bien et le mal la situait dans un état d'innocence auquel il serait indigne de substituer une pureté volontaire, artificielle, conventionnelle, sans le moindre rapport avec l'effrayante pureté de la nature que l'homme abîme par le désordre de son ordre et par les verdicts absurdes de son tribunal. » Jean Cocteau.


COLETTE, Sidonie Gabrielle (Saint-Sauveur-en-Puisaye, 1873-Paris, 1954). Romancière française. Peintre raffinée de l'âme féminine et de la nature (souvenirs d'une adolescence passée en Bourgogne), Colette fut l'auteur de la série des Claudine (1900-1903) qu'elle signa du nom de son premier mari et qui eut un succès « scandaleux », puis de nombreux autres ouvrages publiés sous son nom, notamment La Vagabonde (1910), Le Blé en herbe (1923) et Gigi (1944).