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CLAUDEL Paul

CLAUDEL Paul. Ecrivain français. Né le 6 août 1868 à Villeneuve-sur-Fère (Aisne), mort à Paris le 23 février 1955. Issu d'une famille de petite bourgeoisie, il passe son enfance en Champagne et vient en 1882 s'installer à Paris où il entre comme externe à Louis-le-Grand. Bien qu'il ait été élevé hors de la fois chrétienne, Claudel est irrité par le kantisme universitaire et déçu par Renan qui le couronne lors d'une distribution de prix. L'atmosphère de cette époque — un « bagne matérialiste » dira-t-il plus tard — lui donne un douloureux malaise. Son baccalauréat passé, il s'inscrit à la Faculté de Droit et suit les cours de l'Ecole des Sciences Politiques; 1886 va être pour lui une année décisive; ce sera, en juin, la découverte des oeuvres de Rimbaud (Claudel écrira que Rimbaud eut sur lui « une action que j'appellerai séminale et paternelle ») et, en décembre, le jour de Noël, près d'un pilier de Notre-Dame, une véritable illumination au cours de laquelle le jeune homme trouve soudain la foi. Il mettra cependant quatre ans encore à vaincre ses puissantes passions et à aller de la pensée à la vie de l'Eglise. Tout en préparant le concours du Quai d'Orsay, Claudel fait ses premières tentatives littéraires; ses maîtres sont Shakespeare, Eschyle, Dostoïevski, Dante, mais il fréquente également les fameux « mardis » de Mallarmé et noue des amitiés spirituelles avec Marcel Schwob et Jules Renard. De cette époque datent les deux drames, Tête d'Or (1890) et La Ville (1893). Reçu premier, en 1890, au concours des Affaires étrangères, il opte pour les consulats et est nommé d'abord consul suppléant à New York, puis vice-consul à Boston, où il écrit L'Échange. Pendant quarante ans, Claudel mènera ainsi de front une existence littéraire et une existence administrative. En 1894, dans ses postes de Changhaï et de Fou-Tchéou, il découvre la Chine, cure de solitude pendant laquelle il traduit Eschyle — v. Les Euménides — et médite la Bible et saint Thomas d'Aquin. Après avoir visité le Japon, Claudel rentre en France, fait un séjour chez les bénédictins de Ligugé et repart en Chine, où il est nommé consul à Tien-Tsin. Au cours d'un nouveau voyage en Europe (1905), il épouse Reine Sainte-Marie-Perrin, fille de l'architecte de Fourvière. En 1909, c'est le retour par le Transsibérien : Claudel, jusqu'à la guerre, ne quittera plus l'Europe, consul à Prague en 1910 et en 1912 à Hambourg, d'ou il est expulsé comme diplomate ennemi en 1914. Pendant les hostilités, après avoir été chargé d'affaires à Rome, Paul Claudel accède à son premier poste d'ambassadeur, à Rio de Janeiro, en 1917. En 1920, il fait partie de la Commission internationale de Schleswig; un an plus tard il est nommé ambassadeur à Tokyo où il assiste au terrible tremblement de terre de 1923, puis à Washington (1924) où il négocie le pacte Briand-Kellog. C'est à Bruxelles qu'il terminera sa carrière diplomatique, en 1935. Un de nos écrivains les plus terriens a ainsi mené une vie d'errant et son oeuvre, de proportions considérables, a été écrite dans les loisirs d'occupations mondaines : L'Échange en Amérique, L'Otage en Chine et à Prague, Le Soulier de satin au Japon. Mais sa vie partagée en trois continents a fait de Claudel un poète « cosmique », au sens le plus matériel du mot. Et l'exil, dont il a souffert, livre peut-être le visage le plus fidèle de sa destinée, en apparence accaparée et encombrée d'affaires et d'honneurs, mais consacrée en profondeur à la poursuite de l'équilibre dans l'éternel. L'oeuvre claudé-lienne apparaît d'abord comme une masse compacte et étrange, échappant aux influences habituelles de notre littérature : à part Rimbaud, elle ignore les courants de la mode et du moderne, cherche son inspiration dans la Bible, avant tout, puis chez Eschyle, puis dans l'ascétisme de l'Asie — v. Connaissance de l'Est, L'Oiseau noir dans le soleil levant — enfin chez les grands dramaturges espagnols, Lope de Vega, Calderôn. Les premières tentatives théâtrales de Claudel restaient cependant largement tributaires du symbolisme, et l'expérience religieuse ne s'y manifestait encore que d'une façon négative, dans le désarroi de l'homme et de la cité privés de Dieu. Comme L'Échange, Partage de midi (1906) pose le problème d'un amour humain impossible à réaliser, mais, dans L'Annonce faite à Marie (1912), la terre et un peuple bâtisseur d'églises communient dans la foi virile du Moyen Age. La représentation de cette oeuvre, par Lugné-Poe, marque une date capitale dans l'histoire de la renaissance du théâtre religieux. Viendront ensuite L'Otage (1914), Le Pain dur (1918), Le Père humilié (1920) et Le Soulier de satin (1919-24), sommet de l'oeuvre claudélienne, qui ne sera joué qu'en 1943 et d'où il faut dater la véritable célébrité de Claudel dans le grand public. Le théâtre de Claudel est inséparable de la vie même de l'auteur, des problèmes de cet homme d'une santé vigoureuse et débordante, fasciné par toutes les concupiscences, mais en même temps affamé de la possession de Dieu. Théâtre essentiellement théocentrique, où Dieu n'intervient pas seulement implicitement, comme chez Corneille ou même Racine, où il est au contraire le principe unique, sans lequel tout deviendrait incompréhensible et informe. Ce Dieu de Claudel est terriblement exigeant : aussi, dans l'oeuvre, reviendra sans cesse le thème de l'indispensable sacrifice et de la grâce souveraine, cette grâce qui semble parfois réduire considérablement la part de la liberté et faire des personnages de simples messagers du poète et de sa foi impétueuse. Claudel ne s'encombre pas en effet d'analyse psychologique. Homme de théâtre, il veut avant tout porter, le plus vigoureusement possible, un témoignage divin. Il n'en reste pas moins poète : de Rimbaud et du symbolisme, il a surtout retenu l'aspiration à un « autre » monde, au-delà des apparences, un monde où la science serait impuissante, où ne joueraient plus les mots et les concepts fatigués par l'habitude, mais où il serait possible de reconnaître une symbolique universelle en relation à la fois avec la Parole divine et avec notre personnalité la plus profonde. Le symbolisme, aux yeux de Claudel, ne peut trouver son accomplissement que dans la conception catholique affirmant l'omniprésence du Verbe divin. La mission de la poésie sera d'être la récitation et l'explicitation du Verbe. Mais parce que le Dieu auquel il croit est incarné, et parce qu'il est lui-même, foncièrement, un homme de la terre, Claudel peut apporter au symbolisme cette sève rustique, cette présence charnelle des choses qui avaient fait cruellement défaut aux poètes des années 1880. Son ambition démesurée s'exprime dans l'identification de la métaphore poétique avec la Parole divine elle-même, inscrite au coeur de la création. La parole du poète, selon Claudel, est comme un sacrement — v. Art poétique — et, sans cette parole, « toute la nature est vaine » — v. les Cinq grandes odes. Les doctrines littéraires de Claudel sont ainsi essentiellement tributaires de sa foi. La poésie, pour lui, est avant tout connaissance : elle doit donc, sous l'impulsion de l'exigence métaphysique et mystique, se créer une forme personnelle, ce fameux « verset », « ce vers qui n'avait ni rime ni mètre » et qui, disait Thibaudet, « fait penser à la traduction d'un texte trop fort pour les cordes humaines ». A partir de 1930, Claudel abandonna d'ailleurs à peu près complètement la création littéraire proprement dite. L'essentiel de son oeuvre consista désormais en commentaires bibliques — v. Un poète regarde la Croix, Emmaüs — où l'écrivain, avec un mépris superbe de l'exégèse scientifique moderne, renouait, comme avant lui Léon Bloy, avec les procédés allusifs et symboliques du Moyen Age mystique — cf. Introduction au livre de Ruth. C'est bien en effet le Moyen Age qui semble avoir été la vraie patrie de ce chrétien fier, impérieux, orgueilleux même, plus prophète qu'apôtre, intraitable, sinon insensible aux doutes et aux faiblesses des âmes qu'il désirait convertir et qu'il eût aimé emporter d'assaut, avec un prosélytisme guerrier dépourvu de patience et souvent même tout simplement de psychologie — ses relations avec Gide l'ont assez montré — v. leur Correspondance. Même intransigeance dans ses jugements littéraires : il traite Corneille comme un médiocre, Goethe ou Renan sont pour lui des malfaiteurs, Michelet et Hugo des « infâmes ». Ce fut la faiblesse de cette puissante personnalité de ne point se mettre à l'écoute frémissante de ses contemporains. Son oeuvre a été construite dans l'ignorance magnifique de l'époque, dans une atmosphère de foi totale — et totalitaire. Claudel paraît vraiment d'un autre âge, de la race des hommes du Siècle d'Or espagnol. Longtemps méconnu (en 1935; il se voyait encore refusé à l'Acadé- ‘ mie Française), resté toute sa vie étranger aux milieux littéraires, il échappe aussi à tout classement dans la tradition intellectuelle française. Son oeuvre peut paraître touffue et encombrée. Elle est naturellement fort inégale. Mais peut-être, un instant, par-déjà plusieurs siècles de rationalisme, aura-t-elle remis l'esprit français en communion avec les puissances élémentaires, avec une mystique de la terre et du Ciel qui paraît plus puissante que celle d'un Péguy. Parmi ses oeuvres principales, citons encore : Cantate à trois voix (1913), Corona Benignitatis Anni Dei (1915), Feuilles de saints (1915-25), La Messe là-bas (1919), Positions et propositions (1928), Figures et Paraboles (1936), Les Aventures de Sophie (1937), Jeanne au bûcher (1937-38), L'Ëpée et le miroir (1939), etc. JACQUES PATRY. ? «Je n'attache absolument aucun prix à la valeur littéraire de mon oeuvre. C'est Frizeau le premier qui, ramené à Dieu par mes drames et sachant y voir la religion dominer tout, me fit penser : je n 'ai donc pas écrit en vain. La beauté littéraire de mon oeuvre n'a pour moi d'autre importance que celle qu'y peut trouver un ouvrier qui a conscience d'avoir bien fait sa tâche » Paul Claudel, d'après le Journal d'André Gide. ? « Claudel est redoutable et cruel; il se jette sur nous avec la même impétuosité que son Dieu... Ce n'est pas l'assentiment de notre goût qu'il désire; mais il exige notre âme, afin de l'offrir à Dieu. » Jacques Rivière. ? « Cet homme donne à chaque instant la preuve qu'il est l'égal des plus grands, encore qu'on ne le puisse comparer longuement et utilement avec aucun. Qu'il inquiète, qu'il enthousiasme ou qu'il déconcerte, il possède cette vertu suprême de s'emparer de l'âme et de faire, pendant la minute suffisante, oublier qu'il y a un autre monde que le sien, oublier qu'il y a d'autres personnes, et qui écrivent. » Georges Duhamel. ? « Paul Claudel est le grand, le seul poète de notre temps. » Léon Daudet, 1914. ? «Je déplore une chose qui ne peut nullement être imputée à M. Claudel en personne : le caractère, la direction antifrançaise des influences qui ont dominé sa jeunesse et décidé de l'orientation de son goût. » Pierre Lasserre, 1919. ? « M. Paul Claudel est très certainement, parmi les écrivains d'aujourd'hui, un des plus puissamment doués de génialité, sinon de génie... On peut faire plus ou moins de cas de l'intelligence discursive et de l'esprit critique, mais le moins, semble-t-il, qu'on puisse dire de ces facultés, c'est au'il n'y a pas de génie achevé sans elles. Or, M. Claudel est incroyablement dépourvu de l'une et de l'autre. » René Gillouin. ? « Son oeuvre, comme le grondement pathétique de l'orgue, crée une atmosphère de vigoureuse et suprême noblesse. » Anna de Noailles. ? « Le plus gros paquet de mer poétique que nous ayons reçu depuis Hugo. » A. Thibaudet. ? « Catholique intégral ayant depuis près d'un demi-siècle fait en lui l'unité du chrétien, de l'homme et du poète, Claudel, dans la littérature française, est celui qui a consacré la parole humaine. » Charles du Bos. ? « Il y a du barbare chez Claudel — on l'a dit avec raison — mais, comme la littérature moderne est en train de se tromper, en grande partie du moins, sur le sens de la civilisation, il est salutaire de se renouveler par cette barbarie-là. » Gaëtan Bemoville. ? « Claudel s'est prit lui-même pour un homme de Dieu et pour un défenseur du christianisme... Ce que l'on sait des actes de cet écrivain n'est pas marqué du caractère d'une existence chrétienne. En admettant que nous soyons mal renseignés sur le sujet de sa vie privée, il resterait que le théâtre de Paul Claudel ne fait pas de lui un homme de Dieu et un guérisseur, loin de là... J'invite le lecteur qui douterait de ce jugement à lire en particulier Le Partage de midi et le Pain dur. Dans ces deux drames, l'immoralité est déchaînée. Il n'y a là-dedans plus un seul personnage qui soit absolument propre. Et le plus singulier est que l'auteur n'a pas l'air fâché de cette bassesse... Tout le théâtre de Claudel est un peu monstrueux. » Alfred Wild. ? « Je l'aime et le veux ainsi, faisant la leçon aux catholiques transigeants, tièdes et qui cherchent à pactiser. Nous pouvons l'admettre, l'admirer; il se doit de nous vomir. Quant à moi. je préfère être vomi que vomir. » André Gide. ? « C'est l'Orage et Tête d'or que j'ai préférés... Dès les premiers versets, j'étais bouleversé comme à l'approche d'une tempête sublime. Plus tard, j'ai réagi contre l'emphase et l'affectation d'un langage qui me semblait aussi éloigné du naturel que l'argot inventé du distingué Rictus. » Marcel Jouhandeau. ? «Je ne vois pas d'écrivain de notre temps, si l'on fait exception pour Ramuz, qui ait, au même point que Paul Claudel, consenti au monde entier, qui l'ait assumé pour nous, qui se soit efforcé de nous le rendre, et qui ne sente enfin que pour connaître... Il était la plénitude, il était aussi la modestie dans la plénitude. » Jean Paulhan. ? « Toute la vie de Claudel n'a été qu'un long, patient et douloureux effort pour se rendre lui-même praticable au souffle. Chaque drame porte la trace d'un obstacle vaincu et dépassé. Successivement, la volonté de puissance, le désir d'une liberté sans frein, le refus de la loi, l'amour de la femme, les liens du sang et de la race, la passion même de l'univers ont été laissés derrière nous, car la route nous invitait à continuer. » Jacques Madaule.

CLAUDEL, Paul (Villeneuve-sur-Fère, 1868-Paris, 1955). Dramaturge et poète français. Diplomate en poste aux États-Unis, en Chine puis au Japon, il a été l'auteur d'une oeuvre poétique et théâtrale marquée par une foi profonde. Il consacra la fin de sa vie à l'étude de la Bible. Parmi ses pièces de théâtre, on peut citer Tête d'or (1889), Le Partage de midi (1905), L'Annonce faite à Marie (1912) et Le Soulier de satin (1943). Ses séjours à l'étranger lui inspirèrent Connaissance de l'Est (1895-1905). Paul Claudel était le frère de Camille Claudel, sculpteur et amie de Rodin.