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Claude Mauriac

Claude Mauriac, né le 25 avril 1914, est le fils aîné de François Mauriac. En 1938, il fait ses débuts de critique. Il est docteur en droit en 1941. De 1944 à 1949, il sera secrétaire particulier du Général de Gaulle. Prix Médicis en 1959 pour son roman Le dîner en ville. Quelques pièces de théâtre. Mais ce sera Le Temps immobile qui lui vaudra une notoriété décisive. On discerne trois « moments » distincts dans l’œuvre de Claude Mauriac. Le dernier, l’actuel, montre à la fois l’unité de l’ensemble et le sens de ce qui précède. Premier moment : critique. Claude Mauriac a consacré un certain nombre d’essais à des écrivains contemporains : Jouhandeau, Cocteau, Gide, Proust, Breton, Malraux... Cette critique a évolué d’une approche de la personne de l’écrivain à un plus grand souci de l’œuvre elle-même. D’une réflexion d’ordre moral à une attention portée à la technique littéraire. Achèvement de cette évolution : L’Alittérature contemporaine » (Beckett, Sarraute, Robbe-Grillet, Leiris, Michaux, Bataille.) Il s’agit ici d’une littérature « purifiée de tout ce qui est faux-semblant, mensonge, prétentions, inflation verbale », dit-il. Ce qui permet de penser que le goût d’une littérature « pure » est encore, chez lui, d’ordre éthique. On trouverait sans doute la même évolution dans la critique cinématographique de Claude Mauriac. Deuxième moment : le romancier. Claude Mauriac s’y montre proche, quant aux aînés de Joyce et de V. Woolf, de Faulkner, et, quand à ses contemporains, de Butor, et de l’école du « Nouveau Roman ». Thèmes majeurs : variations sur la relativité du temps vécu, permanence de la personne présente, variations sur « le roman en train de se faire », sur l’écriture et le travail d’écriture.
« On ne peut nier l’intérêt de la recherche, on ne peut nier non plus la valeur d’approche que présente une telle œuvre devant la confusion et le dérèglement de l’existence. Il reste que cette entreprise, aussi rigoureuse et remarquable qu’elle soit, ne s’ouvre peut-être pas assez, quoi que fasse l’auteur, à l’indétermination de la vie », écrivait Joseph Majault. Mais c’était avant la publication du Temps immobile : synthèse et dépassement des deux « moments » précédents. Claude Mauriac a tenu un journal dès ses premières années. Il publie cette masse énorme de pages, mais en les classant par thèmes, et en superposant (en juxtaposant) des jours vécus à vingt ans d’intervalle, par exemple. Peinture du temps, mais d’un temps immobile. Ce procédé pourrait n’être qu’une froide façon de faire : par lui brûle et brille devant nous une âme singulière. Claude Mauriac, en ce livre, n’est ni le témoin sans visage d’un père illustre, ni un autre écrivain qui ne prendrait son propre visage qu’en refusant le terrible héritage. Le prodige, c’est que le père et le fils, au fil des pages, s’élèvent ensemble, et donnent lieu à cette œuvre unique, « unique, inouïe au sens précis du terme », comme le dit Maurice Clavel. Dans l’espace de ces pages, le jeune Claude Mauriac côtoie Valéry, Gide, Cocteau...; et le Claude Mauriac vieillissant assiste à la rencontre de Sartre et de Foucault. Entre temps : de Gaulle, dont Claude Mauriac fut le secrétaire. Ce temps immobile d’une vie est le temps d’un siècle, d’une époque.
► Bibliographie
Romans :
Le Dialogue Intérieur : I — Toutes les femmes sont fatales, 1957, Albin Michel. II — Le Dîner en ville, 1959, Albin Michel. III — La Marquise sortit à cinq heures, 1961, Albin Michel. IV — L'Agrandissement, 1963, Albin Michel. L'oubli, 1966, Grasset.
Essais :
Introduction à une mystique de l'enfer, 1938, Grasset. Jean Cocteau ou la vérité du mensonge, 1945, Odette Lieutier. Malraux ou le mal du héros, 1946, Grasset. André Breton, 1949, Édition de Flore. Proust par lui-même, 1953, Seuil. L'amour du cinéma, 1954, Albin Michel. L'Allitérature contemporaine, 1958, Albin Michel.
Théâtre :
Théâtre, 1968, Grasset.
Mémoires :
Le Temps Immobile I, 1974, Grasset. II — Les Espaces imaginaires, 1975, Grasset. III — Et comme l'espérance est violente, 1976, Grasset. La Terrasse de Malagar, 1977, Grasset.
MAURIAC François. Écrivain français. Né à Bordeaux le 11 octobre 1885, mort à Paris le 1er septembre 1970. Toute sa vie et toute son œuvre seront marquées par sa province natale, le Bordelais, par les vignes et les Landes : « Province, écrira-t-il, terre d’inspiration, source de tout conflit ! La Province oppose à la passion les obstacles qui crient le drame... La Province nous montre dans les êtres des passions vives et des barrages. La Province nous fournit des paysages... La Province nous enseigne à connaître les hommes. La Province croit encore au bien et au mal : elle garde le sens de l’indignation et du dégoût. » Sur la Lande : « Le vent d’équinoxe, arrêté par l’immense forêt odorante et chaude, ne se décèle qu’au glissement des nuages, qu’au balancement des cimes, à ce bruit de mer qu’elles font dans le ciel. » François Mauriac subira aussi jusqu’à la fin de sa vie l’influence persistante de l’éducation religieuse stricte que lui dispensèrent sa mère, veuve très tôt, et les marianites du Collège de Grand-Lebrun à Caudéran. Enfin, il a été façonné par le milieu de la grande bourgeoisie bordelaise, celle des Chartrons. Toutes ces empreintes se retrouveront dans la majeure partie de ses romans, de ses poésies et de ses essais. François Mauriac y réagira dans sa vie avec passion et elles donneront une coloration dramatique à l’intrigue de ses romans. L’écrivain leur sera encore fidèle dans les dernières lignes qu’il rédigera pour son Bloc-Notes du Figaro Littéraire en juillet 1970, lorsqu’il évoquera les premières années de sa vie. Fils d’un propriétaire de vignobles, le Château Malagar, où il séjournait aux vacances et où il retrouvait régulièrement ses racines chaque année, François Mauriac fut très jeune orphelin de père. Il fit des études à la Faculté des Lettres de Bordeaux, prépara le concours de l’École des Chartes, obtint une licence ès lettres, mais il décida finalement de « monter » à Paris et de devenir écrivain, en dépit des inquiétudes que cette décision suscitait dans sa famille, en particulier chez sa mère. Il fréquenta quelque peu le milieu du « Sillon » de Marc Sangnier et montra quelque penchant pour un christianisme beaucoup plus social que celui, très traditionnel, qu’il avait connu jusqu’alors. Il publia Les Mains jointes (1909), son premier recueil de poèmes, salué avec chaleur dans l'Echo de Paris par Maurice Barrés, qui prédit au jeune poète une grande carrière dans les lettres. Persuadé pendant un temps qu’il était plus doué pour la poésie que pour la prose, François Mauriac publiera trois autres recueils de poèmes; Adieu à l’adolescence (1911), Orages (1925), Le Sang d’Atys (1940) où se révélera une contradiction, majeure dans son œuvre, entre les sens et le péché, contradiction dont il analysera les « vertus » pour un écrivain : « Rien ne pourra faire que le péché ne soit l’élément de l’homme de lettres et les passions du cœur le pain et le vin dont chaque jour il se délecte : puisse au moins la Grâce demeurer présente dans notre œuvre; même méprisée et en apparence refoulée, que le lecteur sente partout cette nappe immense, cette circulation souterraine de l’amour » (La Littérature et le péché, 1938). Pour exprimer ces thèmes, il se servira également de la scène et il fera jouer avec succès trois œuvres dramatiques : Asmodée, Les Mal Aimés et Le Feu sur la terre (représentées respectivement en 1937, 1945 et 1950). Cependant, si l’œuvre de François Mauriac ne se divise pas, si dans ses poèmes comme dans ses drames surgissent les grands thèmes du désir, de la solitude des âmes desséchées par l’absence de Dieu, ou illuminées par sa présence, et des personnages qui tombent dans la fatalité du péché par excès d’amour possessif, c’est surtout dans ses romans qu’on trouve les meilleurs développements de ces regards sur l’âme humaine. Avec L’Enfant chargé de chaînes (1913) et avec La Robe prétexte (1914), François Mauriac, à moins de trente ans, se place déjà parmi les meilleurs romanciers de sa génération. La guerre, qu’il accomplira à Salonique, où il tombera gravement malade, interrompra momentanément sa carrière, mais celle-ci sera confirmée et amplifiée par la publication de Préséances (1921) et surtout celle du Baiser au lépreux (1922) dans lequel, se dessine, à travers le personnage de Noémie d’Artiailh, l’image de l’épouse d’un homme disgracié, Jean Peloueyre, femme transfigurée par l’abnégation de l’amour. La thématique mauriacienne, qui reviendra avec ses leitmotive tout au long d’une œuvre qui s’étend sur un demi-siècle, est déjà présente dans ce roman : chaleur du climat landais, odeur des pins qui ponctuent la sensualité et les palpitations désordonnées et passionnées d’âmes à la recherche de la vérité et de l’amour, même à travers les fautes, le mal et le péché. Dans chacun de ses romans, François Mauriac développera ce qu’on a appelé un peu abusivement son jansénisme : l’illustration des contradictions entre ceux qui font le mal, mais sont parfois habités par la grâce divine, et ceux qui voudraient faire le bien et qui n’y parviennent pas, dans la privation de la présence divine, et en dépit souvent de leurs efforts, de leur violence ou de leur austérité. Restent les médiocres, que François Mauriac condamne : ceux qui ne luttent pas, avec ou sans Dieu, pour tenter de faire jaillir la lumière au milieu des noirceurs du monde et des fatalités de leurs destins. Cette vision d’un monde dans lequel la domination de certaines âmes sur d’autres âmes est à la fois une volupté suprême et une perdition se trouve fortement exprimée dans Le Désert de l’amour (1925) lorsque le docteur Courrèges, amoureux de Maria Cross, rêve qu’« alors, il saurait adresser à Maria Cross d’autres paroles que des encouragements au bien et que des conseils édifiants. Il serait un homme qui aime une femme et qui la conquiert avec violence. » Les romans de François Mauriac qui paraîtront entre 1923 et 1968 développeront ces ambiguïtés tragiques avec une ampleur de plus en plus envoûtante. Avec Génitrix (1923) apparaît la figure terrible d’une mère possessive et abusive, avec Thérèse Desqueyroux (1927) et la suite de ce roman La Fin de la nuit (1935), les détours de l’âme d’une empois-sonneuse, avec Le Nœud de vipères (1932) où le narrateur, après une confession méchante et cruelle sur ses turpitudes et ses monstruosités morales, est frappé, au moment de sa mort, par l’amour et l’espérance de la foi, avec La Pharisienne (1941) où Brigitte sait, au soir de sa vie, « que ce n’est plus de mériter qui importe, mais d’aimer », avec Le Sagouin (1951), petit enfant brisé, jusqu’à en mourir avec son père, par une mère indigne bien que pathétique, avec Galigaï (1952), avec L’Agneau (1954) où un adolescent semble apparemment sacrifié aux malédictions qui frappent son entourage, et jusqu’au dernier roman que François Mauriac écrivit, octogénaire, Un adolescent d’autrefois (1969) que les critiques et les lecteurs s’accordèrent à trouver particulièrement réussi. Sous la forme d’une épure, rédigée avec une jeunesse de pensée et d’écriture tout à fait exceptionnelle, se retrouvait, intacte, toute la mythologie mauriacienne, c’est-à-dire toutes les réalités intérieures et extérieures d’une intrigue où l’âpre nature landaise, souvent écrasée par les incendies et les orages, fait écho aux âmes enflammées par des passions dévorantes. Dans cette œuvre romanesque, dont l’écriture sait capter le mot dans toute sa force et toute sa plénitude, grâce à une syntaxe efficace qui exprime la tension des corps et des esprits, il existe une sorte de plage où le romancier semble s’être quelque peu reposé, attendri, après la dureté que lui imposait sa critique du milieu provincial : c’est Le Mystère Frontenac (1933), peut-être le plus autobiographique de tous les romans de François Mauriac — mais ils le sont tous à des degrés divers — et celui qui porte en lui une fraîcheur et une sérénité tout à fait particulière dans l’œuvre de l’écrivain. Plusieurs essais soulignent l’œuvre romanesque par les éclairages religieux qu’ils lui apportent : La Vie de Jean Racine (1928), Souffrance et bonheur du chrétien (1930), La Vie de Jésus (l937), Blaise Pascal et sa sœur Jacqueline (1931), Fils de l’homme (1958), Ce que je crois (1963). Par ces ouvrages de méditation, François Mauriac précise comment il vit le christianisme et le catholicisme, de même que dans Le Romancier et ses personnages (1933), il indique de quelle manière l’écrivain peut concilier — difficilement il est vrai — sa foi et sa façon de « singer Dieu » en créant des personnages. Créateur de personnages romanesques qui n’ont rien de tiède, et qui sont pris dans les rets d’une condition contre laquelle ils se débattent, en vain pour certains, on comprend que François Mauriac ait engagé son existence dans des combats politiques, notamment lorsqu’à ses yeux une certaine éthique de l’homme était remise en cause par les totalitarismes, qu’on faisait ainsi injure à Dieu, et qu’on méprisait la charité et la fraternité évangéliques. C’est pourquoi l’écrivain, souvent en rupture avec son milieu et même avec ses confrères d’obédience catholique, participera aux mouvements antifascistes avant la Seconde Guerre mondiale, soutiendra par la plume les républicains espagnols, en dépit de la « croisade catholique » que prétendaient servir les franquistes. Il participera à la Résistance et fera paraître dans la clandestinité aux « Editions de Minuit » sous le pseudonyme de Forez un journal où il dit son horreur du nazisme et ses exigences pour que renaisse un humanisme chrétien. C’est dans le même esprit de tolérance que François Mauriac s’insurgera, à la Libération, contre les abus de l' « épuration » et qu’il sera de ceux qui demanderont la grâce de Robert Brasillach, condamné à mort pour faits de collaboration avec l’occupant. Il reste ensuite à la pointe du combat politique, prenant position contre la déposition du sultan du Maroc en 1953, contre les guerres coloniales, celle d'Indochine puis celle d’Algérie où se pratiquaient des tortures qui défiguraient (au moral comme au physique) la personne humaine, faite à l’image de Dieu, selon le credo chrétien. Toutes ces prises de position politiques, ainsi que ses réflexions sur sa propre vie et celle du monde tout entier, François Mauriac les consigna d’abord dans son Journal en quatre volumes (1934-1951), puis dans ses célèbres Bloc-Notes donnés à L'Express puis au Figaro Littéraire, dans ses Mémoires intérieurs (à partir de 1959), dans ses Mémoires politiques. Il y fait preuve d’un talent de polémiste reconnu de tous, d’une ironie mordante et d’un humour cruel dont souvent ses adversaires se relevèrent mal. Après le retour au pouvoir du général de Gaulle sur lequel il composera un ouvrage (1964), François Mauriac se ralliera à la Ve République et la soutiendra dans ses articles hebdomadaires, reprochant à la gauche de ne pas supporter que de Gaulle applique la politique qu’elle avait si souvent rêvé de faire et qu’elle avait été incapable de mettre en œuvre sous la IVe République. A la fin de sa vie, l’écrivain prenait de la distance, évoquait la nostalgie des temps et des amis disparus, en homme qui, comme il le disait souvent, sait que la copie est remise et qu’on ne peut rien y reprendre. Les honneurs ne manquèrent pas à François Mauriac : dès 1933, il était entré à l’Académie Française, en 1952 le Prix Nobel de littérature lui fut attribué.
♦ « Mauriac est un romancier né : il a le don de créer des êtres qui vivent, d’ajouter des individus à ce peuple de personnages réels que nous ont laissé les grands créateurs. » Roger Martin du Gard.
♦ « Pourquoi cet auteur sérieux et appliqué n’a-t-il pas atteint «on but ? C'est péché d'orgueil, je crois... M. Mauriac s’est préféré. Il a choisi la toute-connaissance et la toute-puissance divines. Mais un roman est écrit par un homme pour des hommes. Au regard de Dieu, qui perce les apparences sans s'y arrêter, il n'est point de roman, il n'est point d'art, puisque l'art vit d'apparences. Dieu n'est pas un artiste, M. Mauriac non plus. » Jean-Paul Sartre.
♦ « Le style de Mauriac, avec ces mots percutants et ces images précipitées de haut, c'est l'éclair de son orage intérieur. » Jacques de Lacretelle.


MAURIAC, François (Bordeaux, 1885-Paris, 1970). Écrivain et journaliste français. Chrétien d'éducation et de conviction, Mauriac composa une oeuvre marquée par un spiritualisme amer et angoissé. Il fut l'auteur de romans sur la vie provinciale {Génitrix, 1923 ; Thérèse Desqueyroux, 1927 ; Le Noeud de vipères, 1932) et de pièces de théâtre {Asmodée, 1938 ; Les Mal-Aimés, 1945). Mauriac fut aussi un journaliste et un polémiste de talent. Il se dressa contre le franquisme, l'occupatiom allemande, les excès de l'épuration et la guerre d'Algérie et défendit les idéaux gaullistes. Ses articles et notes ont été consignés dans Journal (1934-1951), Le Cahier noir écrit durant la Résistance et le Bloc-Notes (1958 et 1961). Membre de l'Académie française en 1933, il reçut le prix Nobel de littérature en 1952.