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Cicéron (vie et oeuvre)

Avocat et homme politique romain, Cicéron est considéré comme le plus grand orateur de langue latine. Après des revers politique et personnels, il se consacra à la philosophie. Admirateur de Platon et de la philosophie grecque, il est un précurseur de l'humanisme .

VIE

Cicéron fut un grand homme politique, énergique défenseur de la vertu républicaine. Il mourut assassiné pour s'être opposé à la dérive dictatoriale de Rome sous Antoine et Octave. Avec éloquence, il a adapté la philosophie grecque à la morale pratique des Romains.

L'orateur et l'homme politique Marcus Tullius Cicéron est né en 106 av. J.-C. à Arpinum, dans une famille aristocratique. Il étudie la rhétorique et la philosophie. Dès l'âge de 26 ans, il se révèle comme l'un des meilleurs avocats de Rome. Il commence une carrière de magistrat et d'homme politique qui le mènera jusqu'au consulat. Orateur redoutable, il s'illustre dans de nombreux procès impliquant des hommes politiques (Verrès, Catilina).

Le philosophe assassiné A partir de 58, sa fortune politique tourne. Il doit s'exiler plusieurs fois. Partisan de Pompée, il se retire de la vie publique après la victoire de César et se consacre à la philosophie. La mort de sa fille Tullia assombrit son existence. Après la mort de César, il dénonce avec vigueur les ambitions d'Antoine dans ses Philippiques. Parvenu au pouvoir, ce dernier le fait assassiner en 43 av. J.-C.

OEUVRES

Cicéron est surtout connu pour ses plaidoyers, qui restent des modèles de rhétorique latine. Mais ses oeuvres philosophiques, qui examinent les principales doctrines grecques dans une perspective morale et politique, font aussi de lui l'un des grands philosophes romains.

De la Nature des dieux (77-76 av. J.-C.) Cicéron expose et critique les conceptions platonicienne, stoïcienne et épicurienne de la religion. Il penche pour la doctrine stoïcienne, selon laquelle l'existence d'une intelligence divine se déduit de la beauté et de l'harmonie de l'univers. Même si la raison favorise le monothéisme, il ne faut pas contrarier le polythéisme populaire.

La République (54-51 av. J.-C.) Cicéron énonce les principes de l'action politique et présente les différents types de régime. Pour garantir la légitimité morale du pouvoir, il prône l'institution d'un tuteur de l'État, qui veille au respect de la vertu sans porter atteinte aux institutions.

Des Lois (v. 50 av. J.-C.) La loi, comme la morale, est fondée sur le droit naturel, compris comme raison divine gouvernant l'univers. Le droit écrit doit être l'expression de ce droit naturel universel. L'État républicain romain est le meilleur parce qu'il se fonde sur l'équilibre entre l'aristocratie et la démocratie. Le législateur doit veiller au respect des traditions, pour autant qu'elles s'accordent avec l'idéal républicain.

Les Académiques (45 av. J.-C.) Cicéron examine le problème de la connaissance et de la vérité. Il adopte les vues de la Nouvelle Académie, qui concilient scepticisme et platonisme: on ne peut rien savoir, il faut tout mettre en question, mais on peut admettre une connaissance non certaine, pourvu qu'elle soit vraisemblable.

Les Tusculanes (45-44 av. J.-C.) Cicéron rejette l'épicurisme: le souverain bien n'est pas le plaisir, mais un mélange entre les biens de l'âme et les biens corporels et extérieurs. Toutefois, la vertu, bien de l'âme, est primordiale. Quant aux passions, Cicéron pense, comme les stoïciens, que ce sont des erreurs de la Raison trompée par le désir. Toutefois, le sage ne peut pas éviter le chagrin, ni la souffrance qu'inspire la vue du vice, car la sagesse n'est pas indifférence.

Du Destin (44 av. J.-C.) Cicéron tente de concilier la conception stoïcienne du destin avec la liberté humaine. Même si l'homme est mû par ses tendances propres, il est libre au moment de choisir son action.

TEMPS

La fin de la République Cicéron vit dans une époque politique troublée qui voit le déclin de la République. Le pouvoir partagé entre les patriciens et la plèbe est menacé par les ambitions dictatoriales de chefs militaires comme Pompée, César, Antoine ou Octave. Après plusieurs guerres civiles, Octave triomphe. A partir de 27 av. J.-C., il établit l'Empire et règne seul, sous le nom d'Auguste.

De l'éclectisme à l'humanisme A l'époque de Cicéron, la philosophie en vigueur à Rome est surtout celle des grandes écoles grecques (platonisme, stoïcisme, épicurisme, scepticisme). Cicéron examine ces différents courants et tente de retenir ce que chacun a de meilleur. Disciple de ton, il préconise une sagesse humaniste fondée sur l'étude des lettres et sa mise en pratique au service bon gouvernement.

APPORTS

Cicéron a réhabilité le dialogue politique et le doute philosophique. Rejetant tout dogmatisme et tout autoritarisme, il pense qu'une vérité consensuelle surgira de la libre confrontation des opinions. Par sa tolérance et sa considération pour les philosophies anciennes, il annonce l'humanisme .

La recherche du consensus. Cicéron accorde une grande importance à la persuasion, à la discussion et au consensus. Ces principes «démocratiques», appliqués à la philosophie, le poussent à confronter les différentes doctrines afin de dégager les points sur lesquels tout le monde s'accorde. Quand il y a désaccord, il s'efforce de défendre le meilleur point de vue. La méthode de l'exposé contradictoire (présentation du pour et du contre) confère à ses ouvrages une grande clarté.

L'humanisme. Partisan du doute philosophique et de la confrontation d'idées, Cicéron rejette tous les systèmes dogmatiques. Il affirme cependant l'importance d'établir des principes solides en philosophie, en religion, en morale et en politique. En exposant les différents courants de pensée de l'Antiquité, il accorde à la culture une importance nouvelle.

Postérité/actualité. Homme de parole et d'action, politiquement engagé, Cicéron tente de s'inspirer du platonisme pour défendre des principes de morale et d'action politique. Il réaffirme son attachement aux idéaux de tolérance, de solidarité, de liberté. Par sa croyance dans le dialogue et son esprit cultivé, il est le précurseur de l'humanisme . Par sa théorie de la connaissance, il annonce Descartes et la science moderne. Par son génie oratoire, il est considéré, encore aujourd'hui, comme un modèle de rhétorique.

Cicéron (Marcus Tullius Cicero, 106-43 av. J.-C.).

1. Les débuts, 106-64 av. J.-C. Orateur et homme d’Etat romain, Cicéron naquit le 3 janvier 106 à Arpinium (Arpino), dans les montagnes des Volsques, à environ 110 km au sud de Rome. Il était l’aîné des deux fils d’un riche chevalier, parent éloigné de Marius. Les qualités dont il fît preuve très jeune le promettaient à une carrière d’avocat et d’homme politique, et il fut envoyé à Rome pour étudier auprès des deux grands jurisconsultes de l’époque, les Scaevola (3 et 4) ; il étudia également la philosophie auprès de Philon, ancien scolarque de l’Académie à Athènes, et du stoïcien Diodote. À dix-sept ans, il fit son service militaire pendant la guerre Sociale, où il servit sous les ordres de Pompeius Strabo, père de Pompée. Ce dernier avait le même âge que Cicéron et c’est probablement à cette époque que les deux hommes firent connaissance. Cicéron allait rester toute sa vie un partisan de Pompée, qui était pour lui le seul homme capable de sauver Rome de ses ennemis à l’extérieur et de l’anarchie intérieure, tout en préservant la légitimité républicaine. Le jeune Catilina servit lui aussi sous les ordres de Pompeius Strabo. Pendant les tumultueuses années 80, Cicéron acheva ses études de droit. Son discours le plus ancien que nous ayons conservé est le Pour Quinctius (81), à propos d’une querelle compliquée entre associés dont on ne connaît pas l’issue, mais où Cicéron avait pour adversaire Horten-sius, le plus grand orateur de l’époque. Cicéron établit sa réputation l’année suivante lorsqu’il défendit avec succès un homme accusé de parricide (Pour S. Roscius d’Ameria). Ces deux affaires comportaient des aspects politiques, et, dans son second plaidoyer Cicéron attaquait courageusement le puissant Chrysogonus, un affranchi de Sylla. Cicéron quitta Rome en 79 pour passer deux ans à l’étranger; il partit pour des raisons de santé et afin d’étudier la rhétorique et la philosophie avec des maîtres grecs. À Athènes, il eut pour condisciple un autre jeune Romain, Titus Pomponius Atticus, qui allait rester son ami pour toujours et devenir son plus précieux correspondant, puisque Atticus passa la majeure partie de sa vie loin de Rome. Cicéron étudia aussi à Rhodes auprès du grand savant et philosophe stoïcien Posidonius. C’est vers cette époque, soit avant son départ pour la Grèce, soit peu après son retour en 77, qu’il épousa sa première femme, Terentia. Le plaidoyer pour l’acteur comique Roscius (Pour S. Roscius le Comédien), un de ses amis, fut peut-être prononcé peu après son retour. En 76, il fut élu questeur alors qu’il atteignait tout juste l’âge minimal requis (trente ans), comme ce fut le cas pour toutes ses autres magistratures, et resta sénateur jusqu’à la fin de sa vie. Il exerça sa questure en 75 à Lilybée (Marsala) dans l’ouest de la Sicile; après son retour à Rome en 74, il ne quitta plus jamais l’Italie volontairement (mais voir 4), refusant d’être gouverneur d’une province après sa préture et son consulat. Les années qui suivirent furent employées dans les tribunaux, où il eut surtout pour clients des chevaliers, affaires rentables tant sur le plan financier que, plus tard, sur le plan politique. Le discours (mutilé) Pour M. Tullius fut peut-être prononcé en 72 ; Cicéron y défend un homme, qui porte le même nom de famille que lui, dans une dispute de bornage avec un vétéran de l’armée de Sylla. Il établit définitivement sa réputation en 70, en entamant, à la demande des Siciliens, une brillante action contre Verrès, gouverneur corrompu de Sicile de 73 à 71. Cicéron eut d’abord à défendre (avec succès) son droit d’être accusateur contre les prétentions de Q. Caeci-lius, qui aurait conspiré avec Verrès (le discours de Cicéron à cette occasion est La Divination). Le défenseur de Verrès était le célèbre Hortensius, mais ce dernier ne fut jamais appelé à prendre la parole: après le premier discours de Cicéron pour l’accusation (actio prima), Verrès abandonna l’affaire et partit en exil à Massilia (Marseille). Toute l’énergie dont fit preuve Cicéron pour réunir les preuves contre Verrès ne fut pas déployée en vain ; il publia non seulement son premier discours mais aussi les cinq longues parties qui devaient constituer l'actio secunda (la seconde «étape» du procès) et qui établirent sa réputation de premier avocat romain et d’ennemi courageux de la corruption. Ce fut la même année (70) que Pompée et Cras-sus, alors consuls, abolirent les lois de Sylla, restituant aux tribuns tous leurs pouvoirs politiques et privant le Sénat de son droit de regard sur la législation et les tribunaux. Dans ses discours, Cicéron exprima clairement son soutien à Pompée et aux réformes. Édile en 69, Cicéron prononça cette année-là deux discours; il s’agit du Pour M. Fonteius (incomplet), où il défendait ce gouverneur de Gaule accusé de concussion, et du Pour Caecina, à propos d’une délicate affaire d’héritage foncier. En 66, il devint préteur à l’âge minimal de quarante ans. La même année, il prononça en public son premier discours purement politique, Pour la loi Manilia, où il défendait, contre une forte opposition des optimales, un projet du tribun Manilius visant à nommer Pompée commandant des opérations contre Mithridate en Orient. Cicéron avait alors quelques motivations égoïstes : le soutien du puissant Pompée servirait ses ambitions politiques. Son autre grand discours de la même année, Pour Cluentius, est un chef-d’œuvre de l’éloquence judiciaire dans lequel il défend un riche chevalier, accusé d’avoir empoisonné son beau-père. De 66 à 63, Cicéron abandonna progressivement ses positions réformistes pour se rapprocher de celles des optimates conservateurs, tandis que des hommes comme Publius Crassus, Jules César, Gaius Antonius et Catilina (les deux derniers furent ses adversaires pour le consulat de 63) œuvraient pour une réforme sociale radicale.

2. 63-62 av. J.-C. : le consulat de Cicéron. En 64, Cicéron, homo novus («homme nouveau»), sans privilèges liés à sa naissance, se présenta aux élections pour le consulat de 63 et recueillit la majorité des suffrages en devenant consul prior avec l’âge minimal requis de quarante-deux ans, suo anno, «dans l’année voulue par la loi pour lui». Il devait en partie sa victoire aux optimates, inquiets des visées révolutionnaires de Catilina, qui aurait pu, sinon, être leur candidat. Son collègue au consulat était Gaius Antonius, un allié de Catilina. C’est en tant que consul de 63 que Cicéron prononça les discours Contre la loi agraire (ou Contre Rullus), où il démontra que la loi proposée par P. Servilius Rullus pour distribuer les terres n’était pas valide. La même année, il défendit dans le Pour C. Rabirius un vieux chevalier que le parti populaire (poussé par César ; voir également titus labienus) accusait d’avoir tué, trente-sept ans auparavant, le tribun Satuminus après le vote d’un senatus consultum ultimum par le Sénat. En fait, l’accusation remettait en cause la validité d’une telle résolution et elle attirait l’attention du peuple sur les abus qu’elle pouvait entraîner. Le procès fut abandonné mais Cicéron apparut clairement comme un conservateur modéré, à l’inverse de César et du parti populaire qui avaient engagé l’affaire. Catilina se représenta aux élections de 63 pour le consulat de 62, et il apparut comme le chef naturel de ceux qui réclamaient des réformes économiques indispensables. Il fut à nouveau battu. Il semble avoir attendu un soutien quelconque d’Antonius, le collègue de Cicéron, mais ce dernier gagna Antonius à sa cause en lui offrant le gouvernement de la province de Macédoine, plus avantageux que celui de la Gaule Cisalpine. Catilina comprit alors que seule la force lui apporterait la victoire. Cicéron découvrit ses projets, et, après avoir convaincu le Sénat de l’imminence d’un soulèvement suivi d’un massacre à Rome, il persuada les sénateurs de voter le senatus consultum ultimum. Il n’avait cependant pas encore de preuves solides contre Catilina. Lorsqu’il prononça devant le Sénat, le 8 novembre 63, son discours le plus célèbre, la Première Catilinaire, Catilina assistait à la séance. Il quitta Rome immédiatement après. Le 9 novembre, Cicéron exposa les faits (la Deuxième Catilinaire) devant le peuple. Cinq notables qui avaient entretenu une correspondance séditieuse avec des émissaires de la tribu gauloise des Allobroges furent arrêtés les 2 et 3 décembre. Dans un troisième discours, Cicéron exposa les derniers développements de l’affaire devant le peuple. La Quatrième Catilinaire, discours d’une impartialité étudiée sur le châtiment à réserver aux prisonniers, fut prononcée devant le Sénat le 5 décembre. Le consul désigné, Silanus, proposa la peine de mort ; César était partisan de l’emprisonnement à vie, une nouveauté dans le droit romain. Caton (d’Utique) se prononça de manière éloquente pour la peine de mort et fut suivi par le Sénat. Cicéron fit appliquer la sentence immédiatement. L’armée de Catilina commença de se disperser ; ceux qui restèrent avec leur chef furent mis en pièces un mois plus tard au cours d’une bataille. Les cinq conjurés, arrêtés, avaient été exécutés en vertu d’une décision du Sénat, mais il s’agissait d’une violation du droit des citoyens à un procès régulier et la décision ne fut validée que par le vote d’un senatus consultum ultimum. Cicéron ne douta jamais d’avoir sauvé l’État d’un grave danger et s’en expliqua plus tard, dans ses œuvres en prose comme en vers, en latin comme en grec (voir infra, 8). Durant cette crise, Cicéron fut également appelé à défendre (avec succès) le deuxième consul désigné, L. Murena, victime d’une accusation de fraude électorale portée inopportunément par Caton.

3. De 62 à l'exil de Cicéron en 58. Cicéron n’oublia jamais, et fit en sorte que personne n’oublie, la glorieuse année 63 ; Caton le salua comme le «père de la patrie» (pater patriae). Cependant le parti populaire ne tarda pas à remettre en question la légalité de l’exécution des conjurés. Cicéron pensait pouvoir réaliser l’union de tous les citoyens aisés, respectables et sûrs des classes équestre et sénatoriale, ce qu’il appelait la concordia ordinum, «l’harmonie entre les ordres», mais il apparut en 61 qu’il se trompait. Il avait prononcé deux discours en 62, Pour Sylla et Pour le poète Archias. À la fin de la même année, Publius Clodius, qui allait devenir un des puissants chefs du parti populaire, fut découvert déguisé en femme alors qu’il assistait aux mystères de la Bona Dea. Traduit en justice, il réussit à se faire acquitter grâce à des pots-de-vin, mais Cicéron réunit assez de preuves pour réfuter son alibi, ce qui excita la haine de Clodius contre lui. C’est au même moment que Pompée revint d’Orient. La jalousie et l’hostilité du Sénat mettaient un obstacle à ses ambitions politiques, mais lorsque César revint de son gouvernement d’Espagne en 60 pour entamer son consulat de 59, lui et Pompée formèrent une alliance politique avec Crassus, alliance que les historiens modernes appellent « premier triumvirat ». César aurait invité Cicéron à les rejoindre, mais celui-ci n’acceptait pas les idées anticonstitutionnelles de César, et courageusement, quoique imprudemment, il s’opposa à lui. En 59, il parla en faveur de Gaius Antonius, qui avait été consul avec lui, accusé à présent de malversations dans sa province (voir supra, 2) et se plaignit du climat politique malsain. Le même jour, Clodius fut adopté par une famille plébéienne afin de pouvoir être élu tribun de la plèbe, procédure qui exigeait l’assentiment du pontifex maximus, César en l’occurrence. Le seul discours de Cicéron que nous ayons conservé de cette année est Pour L. Flaccus, plaidoyer pour le préteur d’une de ses provinces, accusé de concussion, et qui avait arrêté les conjurés catiliniens en 63. Cicéron profita de l’occasion pour en appeler au sentiment populaire en sa faveur. César, qui lui avait renouvelé ses propositions, à nouveau refusées, semble avoir laissé les mains libres à Clodius, désireux de se venger. Tribun en 58, Clodius proposa une loi déclarant hors la loi tout citoyen romain qui aurait fait exécuter un autre citoyen sans procès (il visait là Cicéron). Privé de tout soutien, Cicéron céda devant les menaces de Clodius et quitta Rome pour l’exil en mars 58. Clodius fit passer un décret condamnant nommément Cicéron à l’exil et confisquant ses biens. La splendide maison de Cicéron sur le Palatin fut détruite (et une partie en fut consacrée à Libellas, «la Liberté», geste ironique de la part de Clodius) et sa villa de Tusculum fut gravement endommagée. Cicéron passa son exil en 58 à Thessalonique avec le questeur Gnaeus Plancius, et à la fin de l’année il s’installa à Dyrrachium. Ses malheurs l’avaient accablé et il passait son temps à s’apitoyer sur son propre sort. Mais Pompée ne tarda pas à travailler au retour de Cicéron, avec le soutien du tribun Milon, qui usait de la violence aussi librement que Clodius.

4. 57-45, Cicéron fut rappelé par une loi du peuple le 4 août 57, et rentra à Rome un mois plus tard sous les acclamations de la foule. Il remercia le Sénat et le peuple de l’avoir rappelé, en prononçant les deux discours du Post reditum (Après son retour). Les discours qui suivirent furent dictés par son désir d’obtenir compensation publique des dommages qu’il avait subis (Pour sa maison et Sur la réponse des haruspices) et de soutenir ceux qui l’avaient fait rappeler. C’est ainsi qu’il défendit, en 56, dans le Pour Sestius un tribun qui lui avait rendu beaucoup de services, et qui était accusé de violence par Clodius. Ce discours, où Cicéron s’étend longuement sur ses services et où il essaye de rallier les aristocrates contre les triumvirs, renferme certains des meilleurs passages de l’orateur. Le Contre Vatinius attaquait un des témoins, partisan de César, qui avait essayé de faire condamner Sestius. Grâce au Pour Caelius, il fit acquitter un de ses jeunes amis à la mode, M. Caelius Rufus, accusé entre autres choses d’avoir conspiré pour assassiner un ambassadeur égyptien et tenté d’empoisonner sa maîtresse, Clodia, sœur de Clodius (probablement la « Lesbie » de Catulle). L’invective contre Clodia elle-même est le plus brillant tour de force de Cicéron. Cicéron espérait que les manœuvres politiques de 57 et 56, qui se déroulaient sur fond de guerre civile larvée, provoqueraient l’éclatement du triumvirat, mais, en avril 56, César, Pompée et Crassus renouvelèrent leur alliance : Cicéron dut se résigner et se réconcilier avec César, qui avait toujours fait preuve de générosité à son égard. La capitulation de Cicéron apparaît nettement dans ses discours de 56, tels que Sur les provinces consulaires, où il se prononce pour la prolongation du commandement de César en Gaule, et Pour Balbus, où il défend la citoyenneté que Pompée avait accordée à un riche Espagnol, Balbus, également ami de César. Dans des lettres à ses amis intimes, Cicéron révèle à quel point il fut blessé dans son orgueil. Il tira quelque satisfaction de son discours contre son vieil ennemi Pison (Contre Pison), lorsque ce dernier fut démis de son gouvernement de la Macédoine, en grande partie en raison des attaques que Cicéron lui avait portées dans Sur les provinces consulaires (voir supra). En 54, il défendit son ami Plancius, qui l’avait accueilli lors de son exil macédonien, accusé de manœuvres électorales frauduleuses (Pour Cn. Plancius), ainsi que Rabirius, un partisan de César accusé de concussion (Pour C. Rabirius Postumus)', nous avons, par ailleurs, conservé quelques fragments de son plaidoyer pour M. Aemilius Scaurus, ancien gouverneur de la Sardaigne, accusé lui aussi de concussion. Il connut sa plus pénible humiliation en 54, lorsqu’il fût obligé, à la demande des triumvirs, de défendre ses ennemis, Vatinus (avec succès), accusé de corruption, et (sans succès) l’odieux Ga-binius, accusé de concussion et qui, consul en 58, n’avait rien fait pour empêcher l’exil de Cicéron. Il fut très peiné en 52 d’avoir échoué à défendre Milon, accusé et condamné pour le meurtre de Clodius, et dut se contenter d’envoyer à Milon, exilé, son Pour Milon, qui est peut-être le meilleur de ses discours. C’est un développement de celui qu’il avait essayé de prononcer, avant de perdre son sang-froid, devant un tribunal occupé par les partisans de Clodius et des soldats hostiles de Pompée. On rapporte que Milon s’était félicité que le discours n’eût pas été prononcé, car sinon il aurait été acquitté et n’aurait jamais pu goûter aux excellents fruits de mer qui faisaient déjà, à l’époque, la réputation de Massilia (Marseille). En 53, Cicéron eut la maigre consolation d’être élu augure. Pendant les années 50, il se retira de la politique républicaine en pleine déconfiture, et se consola en rédigeant des ouvrages de rhétorique et de philosophie, argumentant contre ses adversaires littéraires, en particulier César, Calvus, Marcus Brutus et Pollion. Il acheva De l’Orateur à la fin de 55, un traité de rhétorique en trois livres destiné à remplacer un autre de ses ouvrages, De l'invention, écrit alors qu’il n’avait pas même vingt-cinq ans; vint ensuite, peut-être à la fin des années 50, un essai plus court sur la rhétorique, les Divisions de l'Art oratoire, où Cicéron répondait aux questions de son jeune fils sur l’art de l’orateur. C’est aussi de cette période que datent De la République (nous n’en avons que des fragments, dont le Somnium Scipionis) et le Traité des Lois, commencé sans doute en 52 mais qui ne fut pas achevé avant 45 et fut probablement publié après sa mort. Il devait écrire d’autres ouvrages philosophiques entre 46 et 44. Pendant ce temps, il gouverna, sans enthousiasme, la province de Cilicie, de l’été 51 jusqu’à l’été 50, en suivant les nouvelles directives de la loi pompéienne sur le gouvernement des provinces (voir aussi provinces romaines). Il lui déplaisait de quitter Rome, mais il accomplit son devoir honnêtement et efficacement: il remporta la victoire sur les brigands et revint à Rome précédé de licteurs dont les faisceaux étaient entourés de lauriers fanés. Il trouva Rome à la veille de la guerre civile, et lorsque celle-ci éclata il quitta la ville en compagnie de la majorité du parti sénatorial. Pompée avait accepté le commandement des forces républicaines en Italie, mais lorsqu’il partit avec ses troupes en Épire, Cicéron ne sut plus que faire. Il décida de rester en Italie et de rejoindre Pompée plus tard. Après la défaite des pompéiens à Pharsale durant l’été 48 (il n’assistait pas à la bataille pour raisons de santé), il revint en Italie. Une période d’incertitude insupportable se termina en 47 avec le retour de César en Italie et la réconciliation des deux hommes. Cicéron pouvait enfin revenir à Rome. Il resta d’abord à l’écart de la vie politique : il assistait aux réunions du Sénat sans y prendre la parole, considéré d’un œil soupçonneux par les deux partis. Puis il caressa l’espoir qu’une fois la guerre civile définitivement terminée, César s’occuperait peut-être de restaurer le gouvernement constitutionnel. En 46, il prononça son discours le plus important depuis cinq ans, Pour Marcellus, où il remerciait César d’avoir accordé son pardon à M. Marcellus : consul en 51, celui-ci avait proposé de lui retirer son commandement, ce qui avait précipité la guerre civile (voir césar 2). C’est dans ce discours que l’on trouve la fameuse phrase satis diu vel naturae vixi vel gloriae (« J’ai bien assez vécu pour la nature comme pour ma gloire. »). En 45, le Pour Ligarius prenait la défense de Q. Ligarius, jugé comme ennemi de César, discours dont l’éloquence aurait ému César au point qu’il fit acquitter l’accusé; Cicéron prononça la même année Pour le roi Déjotarus, plaidoyer en faveur du tétrarque de Galatie accusé de tentative de meurtre sur la personne de César. Peu de temps après la mort de Caton à Utique, en 46, Cicéron fit son panégyrique (aujourd’hui perdu), à l’instigation de Brutus. Ce panégyrique déplut à César qui y répondit dans l'Anti-Caton, également perdu. Cicéron avait divorcé en 46 de Terentia, qui avait été sa femme pendant trente ans, puis épousé peu de temps après Publilia, qui avait été sa pupille. En 45, sa fille Tullia mourut et Cicéron en fut accablé. Le juriste Sulpicius lui adressa une lettre de consolation restée célèbre (Epistulae ad familiares, iv, 5). Cicéron fut offensé du peu de sympathie que lui témoigna Publilia et ce second mariage se termina lui aussi par un divorce. Ces tracas personnels étaient d’autant plus difficiles à supporter que Cicéron commençait à comprendre qu’il n’entrait pas dans les intentions de César de restaurer la constitution républicaine. Il se consola de son mieux en écrivant.

5. Les ouvrages philosophiques et littéraires. Entre 46 et 44, Cicéron écrivit Brutus, une histoire de l’éloquence romaine, L’Orateur, un portrait de l’orateur accompli, et d’autres livres de rhétorique : les Topiques (sur les lieux communs), traitant des différentes sortes d’arguments et qui seraient inspirés de l’ouvrage du même nom d’Aristote; Du meilleur genre d’orateurs (qui date peut-être de 52), dont seule une partie a été conservée ; une préface à ses traductions (perdues) de deux discours grecs, Sur la couronne de Démosthène et Contre Ctésiphon d’Eschine (la traduction de ce second discours n’était peut-être pas de Cicéron). En 45 il écrit la Consolation, sur la mort des grands hommes, dont nous n’avons que des fragments, rédigée à l’occasion de la mort de Tul-lia; Hortensius (aujourd’hui perdu), un plaidoyer pour l’étude de la philosophie, qui eut une profonde influence sur saint Augustin; les Académiques, un ouvrage sur les opinions de la « Nouvelle » Académie d’Athènes et sur celles de Carnéade en particulier ; Des termes extrêmes des Biens et des Maux, enfin, sur les différentes conceptions du « souverain bien » selon les philosophes. Viennent ensuite pendant les années 45 et 44 les Tusculanes, sur le bonheur, qui est son ouvrage philosophique le plus personnel ; De la nature des dieux, où il passe en revue les opinions des différentes écoles philosophiques ; le Traité du Destin (mutilé), une étude sur le libre arbitre ; les deux charmants essais L’Amitié et De la vieillesse; De la divination, où il examine la doctrine stoïcienne du destin et de la prédiction, publié peu après le meurtre de César ; en novembre 44, il termine son dernier ouvrage de philosophie morale, Les Devoirs, qu’il écrivit à l’intention de son fils. En résumé, ce fut une production remarquable sur une période relativement courte. Cicéron philosophe disait se rapprocher de la «Nouvelle» Académie de Carnéade; selon ce dernier, la connaissance certaine était impossible, tout au plus pouvait-on parvenir à une conviction pratique fondée sur le vraisemblable. S’il suivait dans leurs grandes lignes les enseignements de la Nouvelle Académie, Cicéron était éclectique dans la mesure où il n’adhérait à aucune école mais choisissait dans les différentes doctrines grecques celles qui s’imposaient à sa raison; sur le plan de la morale, il était enclin à accepter les éléments positifs de la doctrine stoïcienne (p. ex., dans Des termes extrêmes, les Tusculanes et Les Devoirs). Il croyait en l’existence d’un être divin et affirmait qu’il était sage de conserver les rites et les cérémonies traditionnels. Dans son Traité du Destin, enfin, il faisait part de sa croyance au libre arbitre contre le fatalisme stoïcien. Plusieurs de ses ouvrages, tels que De la vieillesse, L’Amitié, Les Devoirs, les Tusculanes et le Somnium Scipionis (isolé de la République, définitivement perdu), exercèrent une influence considérable sur les premiers Pères de l’Église : saint Jérôme (malgré ses doutes), saint Ambroise (dont le De officiis, « Sur les devoirs des ministres sacrés », était calqué sur l’original cicéronien) et saint Augustin. Les hérétiques pélagiens s’inspirèrent également de Cicéron. Au Moyen Âge, alors que l’on n’avait pas encore redécouvert ses œuvres politiques et ses discours (voir textes antiques, transmission des), ces ouvrages firent l’objet d’études approfondies et contribuèrent à faire connaître en Europe la philosophie grecque, alors inaccessible autrement.

6. Les Philippiques et la mort de Cicéron, 44-43. Lorsqu’un rassemblement hétérogène de Romains, que seul unissait le désir de mettre un terme au despotisme, assassina César en 44, Cicéron ne fut pas invité à se joindre à eux, encore qu’il ait accueilli la nouvelle avec plaisir. Il resta plusieurs mois à l’écart de la vie politique mais appelait de ses vœux le rétablissement de la République. Tout reposait alors sur la personne de Marc Antoine, allié et collègue consulaire de César; essayant de restaurer l’ordre public tout en conservant son pouvoir, il était prêt à combattre Brutus et Cassius pour arriver à ses fins. L’importance grandissante prise par le petit-neveu de César, Octave, qui rallia les césariens d’Antoine, représentait une autre menace pour ce dernier. Lorsque les camps politiques furent bien définis, après plusieurs mois de confusion et alors qu’Antoine était en Gaule Cisalpine, où il assiégeait les républicains de Decimus Brutus à Mutina (Modène), Cicéron prit la tête du parti sénatorial ou de ce qu’il en restait. Il donna libre cours à sa haine de la tyrannie césarienne dans quatorze discours contre Antoine qu’il intitula les Philippiques, d’après les discours de Démosthène contre Philippe II de Macédoine. En fait, la Première Philippique fut prononcée le 2 septembre devant le Sénat, avant le départ d’Antoine pour la Gaule Cisalpine, et Cicéron y gardait un ton relativement conciliateur malgré ses critiques contre le comportement récent d’Antoine. Mais la réponse de ce dernier le poussa à rédiger la Deuxième Philippique qu’il publia en décembre, après le départ d’Antoine; c’est un chef-d’œuvre d’invective politique contre celui qui avait voulu octroyer la royauté à César. Dans la Troisième Philippique (20 décembre), il expose sa politique au Sénat : soutien à Decimus Brutus et à Octave contre Antoine. Cicéron avait accepté les ouvertures d’Octave, sans voir que celui-ci ne se réconcilierait jamais avec les meurtriers de César, les républicains Marcus Brutus et Cassius qui remportaient des victoires en Orient. La Cinquième Philippique fut prononcée le 1er janvier 43 ; après avoir mentionné le 20 décembre comme le jour où il avait commencé à restaurer la République, Cicéron proposa d’accorder à Octave les pouvoirs de propréteur. La Quatrième et la Sixième Philippique furent prononcées devant le peuple, respectivement le 19 décembre 44 et le 4 janvier 43. Cicéron se posa en chef de l’Etat et encouragea les consuls Hirtius et Pansa à envoyer une armée à Mutina pour en finir avec Antoine et restaurer le gouvernement constitutionnel. Quatorze Philippiques sont ainsi composées, la Quatorzième étant le dernier des discours conservés de Cicéron, où il salue la défaite d’Antoine à Mutina. Toutefois, il se réjouissait un peu trop tôt : les deux consuls furent tués, Antoine reforma son armée et reçut le renfort de Lépide et de Pollion, qui firent défection avec leurs légions pour se joindre à lui. Cicéron crut à tort qu’Octave avait l’intention d’en finir avec Antoine, mais Octave marcha sur Rome avec ses légions pour réclamer le consulat, qu’il obtint le 19 août 43. Il fit ensuite la paix avec Antoine, annula les décisions qui mettaient Antoine et Lépide hors la loi, et à la fin d’octobre, les trois hommes se réunirent et convinrent d’un partage tripartite du pouvoir, le deuxième triumvirat. Ils poursuivirent la guerre contre Brutus et Cassius en Orient, obtinrent de l’argent et des terres pour leurs armées et réglèrent leurs comptes par des proscriptions à grande échelle. Dans la première liste qu’Antoine envoya à Rome figurait le nom de Cicéron. Celui-ci, qui essayait de s’échapper par mer, fut arrêté par les soldats d’Antoine le 7 décembre 43, et accepta courageusement son exécution. Sa tête et ses mains furent exposés à Rome sur les Rostres. Son vieil ennemi Verrès, toujours en exil à Massilia, apprit sa mort avant d’être lui-même proscrit par Antoine, qui convoitait ses œuvres d’art. Marcus, le fils de Cicéron, lui survécut.

7. La Correspondance. Par une ironie du sort, c’est peut-être à son détriment que nous connaissons Cicéron mieux que tout autre personnage de l’Antiquité, cela grâce à sa volumineuse correspondance des années 68-43. Nous avons conservé plus de huit cents lettres, où il notait avec candeur, et sans penser à une quelconque publication, ses états d’âme et ses gestes. Le premier signe d’une éventuelle publication apparaît en juillet 44, lorsqu’il parle de constituer un petit recueil de sa correspondance à Tiron et à Atticus (voir aussi supra, 1). Ses lettres constituent une source historique inestimable parce qu’il fut mêlé aux événements politiques d’une période mouvementée et qu’il entretenait une correspondance avec des hommes d’horizons politiques très divers, ainsi qu’avec les membres de sa maison. Ces lettres nous sont parvenues sous la forme de quatre recueils, comprenant certaines lettres de ses correspondants : les lettres envoyées à Atticus (ad Atticum), entre 68 et 43 ; les lettres écrites à plus de quatre-vingt-dix amis et relations (ad Familiares), publiées par Tiron ; les lettres à son frère Quintus (ad Quintum fratrem), écrites lorsque les deux frères étaient séparés, principalement entre 59 et 54 ; enfin, les vingt-cinq lettres à Marcus Brutus (ad Brutum), qui datent toutes de 43. Nous n’avons aucune lettre datant de son consulat (63) ou de l’année précédente.

8. Les poèmes. Les premières poésies de Cicéron ont disparu, mais nous avons conservé une bonne partie des Aratea (un ensemble de 469 hexamètres et quelques fragments) et sa traduction des Phénomènes d’Aratos, poème grec didactique; ses ouvrages philosophiques renferment des bribes d’Homère et des tragiques grecs, dans sa propre traduction latine, et nous avons conservé quelques vers de son épopée, Marius. Ses poèmes les plus célèbres sont les pièces autobiographiques où il célèbre sa propre gloire : trois livres écrits en 60, Sur son consulat, et trois autres écrits cinq ans plus tard, Sur ses vicissitudes (De temporibus suis). Nous n’en avons conservé qu’un passage de soixante-douze vers sur son consulat et les deux vers célèbres qui lui attirèrent les railleries de ses contemporains, à cause de leur sonorité et de leur vanité : Cedant arma togae, concedat laurea laudi (ou linguae) («Aux armes de s’effacer devant la toge, au laurier de s’incliner devant l’estime » ou « la parole »), et O fortunatam natam me consule Romam («O Rome fortunée, née sous mon consulat ! »). Malgré les défauts de sa poésie, Cicéron contribua au développement de l’hexamètre latin et il eut une certaine influence sur Lucrèce et, peut-être, sur Catulle.

9. L'influence de Cicéron sur la littérature et la pensée. Cicéron était un esprit qui s’intéressait à tout. Le succès politique durable lui échappa parce qu’il avait soutenu une cause qui allait se révéler perdue. Son consulat de 63 resta célèbre. Quiconque désirait s’imposer sur la scène politique devait prendre en compte son influence. Son dévouement pour son pays était désintéressé et ne fut jamais mis en doute. Mais l’immense succès de son consulat lui donna une idée exagérée de ce qu’il pouvait accomplir sur le plan politique, et son enthousiasme pour la restauration de l’ancienne forme républicaine témoignait d’un manque tragique de réalisme ; pas plus que d’autres il ne fut capable de s’attaquer aux graves problèmes économiques et sociaux qui sous-tendaient les conflits politiques de l’époque, et on a souvent noté son insuffisance de jugement et de résolution. Sa grandeur réside dans sa maîtrise exceptionnelle de la langue latine. Il fut le plus grand orateur que Rome ait jamais produit. Ses traités et ses discours sont rédigés dans un latin clair et sans affectation, avec des périodes complexes, logiques et cohérentes, rythmées et mélodieuses. Sa prose devint un modèle pour les auteurs latins qui lui succédèrent, et elle contribua à former le style de beaucoup d’écrivains européens de l’époque moderne. Ses discours judiciaires, pour la plupart des plaidoyers, montrent son habileté à choisir les aspects d’une affaire qui lui permettaient de parler à l’avantage de son client, à rapporter un récit passionnant propre à faire avancer sa cause, à atteindre les sommets de l’émotion lorsqu’il le fallait et à utiliser ses facultés considérables d’esprit, d’ironie et de sarcasme. Il se distingua également par sa capacité à exposer les principes de son art dans plusieurs traités de rhétorique importants. Il était l’illustration vivante de son propre précepte : l’orateur doit posséder de vastes connaissances, que lui donnent l’étude et la lecture continuelles, notamment dans le domaine de la philosophie grecque. Avant lui, le latin se prêtait mal à l’expression d’idées philosophiques générales et ne disposait pas d’un vocabulaire approprié. Cicéron réussit à exposer les systèmes philosophiques grecs en introduisant dans la langue latine des mots nouveaux propres à exprimer les concepts philo sophiques. Ceux-ci ne se présentaient pas sous la forme de théories arides, mais, adaptés à l’environnement et à la mentalité romains, ils confirmèrent les qualités pratiques de Cicéron. Bien qu’il ait fini par ne plus croire aux dieux, il était néanmoins convaincu de la justesse de l’opinion des stoïciens, pour qui tous les hommes possèdent en eux une étincelle divine, qui lie les individus entre eux et impose le respect mutuel. La gloire de Cicéron perdit quelque peu de son éclat pendant les deux siècles qui suivirent sa mort ; ses opinions sur l’enseignement de la rhétorique eurent peu d’écho, et la prose latine eut tendance à éviter la plénitude et l’équilibre cicéroniens au profit d’un style vigoureux et concis. Ses lettres furent sans doute publiées au cours du Ier siècle apr. J.-C., mais elles n’excitèrent pas la curiosité, et ses œuvres philosophiques étaient peu lues. Certains chrétiens virent en lui le symbole d’une culture païenne qu’il fallait rejeter, mais en raison de son bon sens et de son style il fut étudié par les apologistes chrétiens, qui recherchaient une langue appropriée pour exposer leurs croyances devant un public païen, et se trouvaient aussi parfois en mal d’arguments. C’est ainsi que Minucius Félix, au IIIe siècle, s’inspira du De la nature des dieux de Cicéron pour son Octavius, et que Lactance était réputé pour son «éloquence cicéronienne » (voir aussi supra 5, in fine). Certains ouvrages qui semblaient préfigurer ou évoquer la sagesse chrétienne occupèrent une place de choix dans les lectures et l’éducation chrétiennes : le Somnium Scipionis, Les Devoirs, L’Amitié, De la vieillesse. Depuis les débuts du Moyen Âge jusqu’au xixe siècle, Cicéron eut une influence profonde sur la littérature et les idées. Pétrarque (1304-1374), qui voyait en lui l’exemple d’une vie bien remplie, traqua les manuscrits cicéroniens et redécouvrit certains discours et la correspondance avec Atticus (voir supra, 7). Le Pour le poète Archias, découvert à Liège en 1333, lui procura un grand plaisir par son éloge de la poésie; quant aux Epistulae ad Atticum, trouvées à Vérone en 1345, ce qu’elles révélaient de la personnalité de Cicéron le heurta d’abord puis l’incita à rédiger ses fameuses lettres de reproches au fantôme de Cicéron. Les Epistulae ad Familiares furent découvertes cinquante ans plus tard. Alors qu’une nouvelle lumière venait éclairer Cicéron, nombreux furent ceux qui révisèrent leur attitude envers l’action politique et même envers l’éducation de l’homme d’État. Les humanistes de la Renaissance admirèrent et imitèrent sa langue et son style, mais surtout virent en lui l’idéal de l’homme civilisé, brillant, humain, civique, et goûtant des loisirs raffinés. Érasme tourna en ridicule ceux qui imitaient Cicéron à la lettre sans s’imprégner de son esprit. La langue de Cicéron perdit de son attrait vers la fin du xvie siècle, lorsque Sénèque et Tacite furent au goût du jour ; cependant les différentes langues vernaculaires s’imposèrent comme instruments d’expression respectables, très influencées par le style cicéronien. Dans l’Angleterre du xviie siècle, la langue de Milton et de la Bible de 1611 témoignent de leur dette envers Cicéron. Le xviiie siècle, rationaliste, ressentit une affinité particulière avec Cicéron, et l’éthique et le style de David Hume lui doivent beaucoup. Les politiciens anglais connaissaient bien ses œuvres. Edward Gibbon lui vouait une grande admiration ; en France (et en Amérique), son indépendance par rapport aux dogmes et sa largesse d’esprit trouvèrent une résonance chez les futurs révolutionnaires. Durant chacune de ces époques, les individus cultivés avaient lu quelque chose de ses écrits philosophiques. Au xixe siècle, sa réputation d’homme d’État se ternit, pour une bonne part à cause des critiques de l’historien Theodor Mommsen, qui avait peu de sympathies pour le républicanisme; ses ouvrages philosophiques aussi perdirent de leur influence et semblèrent pécher par manque d’originalité et excès de moralisme; l’intérêt se porta sur leurs sources grecques. Néanmoins, «l’humanisme» cicéronien demeure l’idéal qui sous-tend pour une bonne part la civilisation moderne.

cicéronienne, époque. Employée à propos de la littérature latine, cette expression désigne la période correspondant à l’âge adulte de Cicéron et à la fin de la République, entre 70 et 30 av. J.-C. Outre Cicéron, ses principaux représentants sont Lucrèce, Catulle, Salluste et Varron. Virgile appartient au siècle d’Auguste, bien que les Bucoliques et les Géorgiques aient été terminées en 30 av. J.-C.

De la divination (De divinatione). Dialogue de Cicéron conçu comme un complément à De la nature des dieux, et publié en 44 av. J.-C. peu après le meurtre de César. Il passe en revue les croyances stoïciennes sur le destin et la possibilité de la prédiction. Cicéron y montre peu de sympathie pour les doctrines stoïciennes mais affirme sa croyance en un être divin. Le dialogue, dont les protagonistes sont Cicéron et son frère Quintus, a pour cadre la villa de Cicéron à Tusculum. Quintus explique à l’aide d’abondants exemples et citations tirés des stoïciens (puisant y compris dans les écrits de Cicéron) pourquoi il croit à certaines formes de divination. Cicéron critique la croyance en la divination en général en posant le dilemme suivant : soit les événements futurs dépendent du hasard, soit ils sont prédéterminés par le destin. Dans le premier cas, personne, pas même un dieu, ne peut les connaître à l’avance; dans le second cas, il ne sert à rien de se livrer à la divination (c.-à-d., tenter de connaître l’avenir afin d’éviter les événements désagréables), parce que ce qui a été déterminé à l’avance est inévitable. Cicéron pense que la divination des augures sur les affaires de l'État doit être conservée pour des raisons de prudence, mais tourne en ridicule ses absurdités, citant au passage Caton le Censeur qui se demandait comment un devin {haruspex) pouvait regarder un autre devin sans rire. Cicéron reconnaît un art de l’augure mais nie la science de la divination. Il réfute également d’autres méthodes de prédiction fondées sur les rêves, les signes, l’astrologie et la prophétie «inspirée». C’est dans cet ouvrage que l’on peut lire la fameuse phrase nihil tam absurde dici potest quod non dicatur ab aliquo philosophorum (« il ne se peut rien dire de si absurde que quelque philosophe ne l’ait dit»).




[…] À l’âge de dix-neuf ans, il découvre la philosophie dans un ouvrage de Cicéron. Mais il a le goût de la réussite sociale et rejoint les manichéens, […]



[…] du latin : droit naturel. Le jusnaturalisme classique, celui de Cicéron dans l’Antiquité romaine par exemple, considère qu’il existe une loi […]



Marcus Tullius Cicero, orateur, philosophe, homme d'Etat romain, né à Arpinum (10643 avant J.-C.), sauve pendant son consulat (56 avant J.-C.) la république menacée par la conjuration de Catilina et est proclamé « Père de la Patrie » ; il est exilé, puis rappelé ; il embrasse alors le parti de Pompée contre César, et ensuite celui d'Octave contre Antoine, qu'il attaque violemment dans ses Philip-piques. Antoine s'en venge en le faisant proscrire lors de la formation du triumvirat ; il périt assassiné près de Formies à l'instigation d'Antoine. Grand écrivain, grand orateur, Cicéron est aussi un philosophe éclectique, mais surtout pratique, qui se rapproche des stoïciens dans ses ouvrages de morale, des académiciens dans ses œuvres de philosophie pure.



Cicéron (Marcus Tullius Cicero, 106-43 av. J.-C.) Orateur et homme politique romain, qui fut le véritable créateur d'une prose philosophique latine, tout en étant conscient de la nécessité, pour un Romain prétendant philosopher, de commencer par transposer l'enseignement des Grecs dans sa langue. Dans ses traités La République et Les Lois, il s'inspire de Platon, qu’il essaiera de concilier avec le stoïcisme (il est hostile à l'épicurisme) pour mettre au point une morale quotidienne tenant compte des exigences de la vie civique. On lui a fréquemment reproché son éclectisme, mais la forme dialoguée qu'il a volontiers donnée à sa réflexion le montre plutôt soucieux d'éprouver la validité des différents systèmes auxquels il s'intéresse par une véritable confrontation. Autres œuvres : Les Tusculanes ; De la nature des dieux ; Les Devoirs ; L'Amitié, etc.



CICÉRON

(Arpinum, 106-Formies, 43 av. J.-C.). Homme politique et orateur romain. Issu d'une famille aisée de rang équestre, grand avocat, il voulut sauver la République romaine menacée par les ambitieux en tentant de rapprocher la nobili-tas (noblesse) et l'ordre équestre en une grande coalition des possédants : ce fut la concordia ordinum (ou réconciliation des ordres). Questeur en Sicile (76), il défendit les habitants contre leur ancien gouverneur Verrès qu'il fit condamner et, consul en 63 av. J.-C., il déjoua la conjuration de Catilina. Exilé en Grèce (58 av. J.-C.) au temps du premier triumvirat (César, Crassus, Pompée), puis rappelé à Rome (57 av. J.-C.), il suivit Pompée puis se rallia à César après sa victoire de Phar-sale (48 av. J.-C.). Après l'assassinat du dictateur (44 av. J.-C.), il attaqua violem ment Antoine, en l'opposant au jeune Octave. Mais lorsque ces deux hommes formèrent avec Lépide le second triumvirat, Cicéron fut proscrit et assassiné sur l'ordre d'Antoine. Grand écrivain, il a porté à son apogée l'art oratoire latin dans ses plaidoyers et dans ses harangues politiques. La composition de ses discours servira de modèle à toute la rhétorique latine. Dans ses traités philosophiques et politiques {De Re publica, De legibus), il s'est efforcé de dégager l'idéal d'un gouvernement modéré et sa vaste correspondance (dont une grande partie est perdue) nous donne de précieux renseignements sur la vie politique et sur la société romaine à la fin de la République. Ses plaidoiries {Pro Caecina, Pro Sestio, Pro Milone) sont aussi révélatrices de son art oratoire et des grandes « affaires » de son temps. Voir Rostres.

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