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CHOSTAKOVITCH Dimitri

CHOSTAKOVITCH Dimitri. Compositeur russe. Né à Saint-Pétersbourg le 25 septembre 1906, mort à Moscou le 9 août 1975. Les incompréhensions et les jugements sommaires semblent avoir pesé sur la carrière de Chostakovitch aussi bien en Europe occidentale que dans son propre pays. Il est donc nécessaire de commencer par rendre compte des hauts et des bas de ta carrière du compositeur pour tenter de comprendre comment les problèmes se sont posés à l'homme et quelle attitude il a prise à leur égard. Chostakovitch a fait des études précoces au Conservatoire de Leningrad, étudiant la composition avec Glazounov. Dès 1926, sa première Symphonie connaît le succès; elle sera même exécutée à Berlin dès 1933, sous la direction de Bruno Walter. Des oeuvres la suivent, que rien ne fait remarquer, deuxième et troisième Symphonie, Concerto pour violon, trompette et orchestre (v. Concertos) Sonate pour violoncelle, recueil de préludes pour le piano. En 1928, son opéra Le Nez, tiré d'une nouvelle satirique de Gogol, lui vaut les louanges de toute la critique. Un second opéra, La Lady Macbeth du district de Mzensk , tiré d'un roman de Leskov, est créé à Leningrad le 22 janvier 1934. A la même époque, il fait jouer un ballet « kol-khosien » Le Clair ruisseau. Les deux oeuvres commencent par recevoir des éloges. Puis, subitement, la critique la plus violente se déchaîne dans les colonnes de La Pravda. Voici quelques extraits des articles en question : « L'auditeur est assourdi par un déluge de sonorités désordonnées et délibérément fausses. Des fragments de mélodies et de phrases musicales s'y noient, remontent à la surface, puis disparaissent dans un concert de grincements, de hurlements et de ululements. Il est impossible de suivre cette « musique » ni d'en garder le moindre souvenir... Chostakovitch prétend faire du moderne à tout prix; il craint, plus que tout, d'écrire des pages qui soient susceptibles d'évoquer, même de très loin, l'opéra traditionnel et la musique symphonique tels que nous les connaissons, d'être clair et explicite... Les élucubrations hideuses de Chostakovitch reposent sur des principes identiques à ceux qui menacent la peinture, la poésie, la science et même l'enseignement dans notre pays. » De tels articles firent d'autant plus de bruit que l'on disait dans les « milieux bien informés » qu'ils avaient été inspirés par Staline lui-même. Lady Macbeth disparut de la scène, et l'auteur renonça à publier sa quatrième Symphonie , jugeant qu'elle était entachée des mêmes défauts. Il en composa, au plus vite, une cinquième à laquelle il donna en sous-titre « Réponse d'un artiste soviétique à de justes critiques ». Ces bons sentiments lui valurent d'être réhabilité et, en 1940, son Quintette pour piano et cordes lui valut un Prix Staline. Les années de guerre virent encore sa réputation monter, et culminer avec la Symphonie n° 7, Leningrad conçue et réalisée pendant le siège de la ville (1942). Les difficultés devaient renaître avec les deux oeuvres suivantes : la Huitième symphonie (1943), dite Stalingrad, et la neuvième (1945) furent accusées dans les milieux officiels de « formalisme » et de « cérébralisme ». La remontée en faveur s'accomplit grâce au Chant des forêts, poème symphonique à la gloire du plan de reboisement et à la musique du film La Prise de Berlin qui valut au compositeur un nouveau prix Staline. Peu après, la déstalinisation vint détendre l'atmosphère. Par ailleurs, la mort de Prokofiev (1953) avait fait de Chostakovitch la plus grande figure musicale de la Russie. Ses dernières symphonies ne semblent pas avoir soulevé de difficultés, même lorsqu'elles s'attaquaient à des problèmes d'actualité, comme la 13e, Babi Yar, sur des poèmes d'Evtou-chenko, où l'on fait allusion aux problèmes de l'antisémitisme soviétique. La Lady Macbeth réapparut, après quelques corrections mineures, sous le nom de Katerina Ismaïlova (1962). Mais l'essentiel de l'oeuvre des dernières années du musicien a été consacré aux quatuors à cordes dont le nombre est passé de quatre à quinze dans les vingt dernières années de sa vie. Chostakovitch est certainement une très forte personnalité musicale, très marqué par son admiration pour Tchaïkovski et pour Mahler, mais c'est aussi un homme qui n'a jamais connu d'autre monde que celui de la Russie Soviétique. Sa conception du rôle de l'artiste dans la société en est imprégnée. Il ne semble pas qu'il puisse lui venir à l'idée qu'un musicien n'a pas une fonction active à assurer dans le processus de « désaliénation des masses ». Le drame est peut-être qu'une oeuvre aussi claire et simple que la cinquième symphonie (celle du retour en grâce) ait pu être commentée par un écrivain de l'importance politique d'Alexis Tolstoï dans les termes suivants : « C'est ici la Symphonie du Socialisme. Elle débute par le largo des masses travaillant sous terre, un accelerando correspond au métro; l'allegro, lui, symbolise le gigantesque appareil de fabrique et sa victoire sur la nature. L'adagio représente la synthèse de la nature, de la science et de l'art soviétique. Le scherzo reflète la vie sportive des heureux habitants de l'union. Quant au final, il est l'image de la reconnaissance et de l'enthousiasme des masses. » On n'échappe pas à un vocabulaire trop souvent répété, surtout lorsqu'on n'en a pas entendu d'autre. Chosta-kovitch, condamné à écrire la musique conservatrice et utilitaire, a réussi à faire bien souvent de la musique « tout court ». Ce qui lui vaut bien notre admiration. ? Presque seul, il représente l'aventure étrange de la musique soviétique sans cesse brisée par l'idéologie. Presque seul, il en a fait surgir une musique qui a une valeur de message universel. Jacques Lonchampt

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