Databac

CHAR René. Poète français

CHAR René. Poète français. Né à L'Isle-sur-Sorgue (Vaucluse) le 14 juin 1907. En 1918, il entre au Lycée d'Avignon, fait en 1924 un séjour en Tunisie, entre à l'Ecole de commerce de Marseille, accomplit deux années de service militaire à Nîmes. Il entre alors en contact avec le surréalisme. Il publie en 1928 ses premiers poèmes, Les Cloches sur le Coeur. Ses vrais débuts datent de Arsenal (1929). Eluard vient alors le voir à L'Isle-sur-Sorgue. René Char se rend à Paris et rencontre Aragon, Breton... Il collabore au numéro 12 de La Révolution surréaliste , figure avec Bunuel et Dali parmi les jeunes membres du groupe surréaliste entre 1930 et 1934. En 1930, il publie Ralentir travaux, écrit en collaboration avec Eluard et Breton. En 1934, il regroupe un certain nombre de ses poèmes dans Le Marteau sans maître et s'éloigne du surréalisme. Il dédie Placard pour un chemin des écoliers (1937) aux enfants espagnols morts pendant la guerre civile et poursuit sa quête poétique dans Dehors la nuit est gouvernée (1938) et Le Visage nuptial Mobilisé en 1939, il entre dans la Résistance en 1940 — où il va devenir le capitaine Alexandre. Période qui se reflète dans Feuillets d'Hypnos (1946), écrits dans le maquis. Le recueil Seuls demeurent est publié en 1945. René Char se retire à L'Isle-sur-Sorgue, mais il n'hésite pas à l'occasion à manifester son indignation, notamment lorsqu'il s'élève contre l'installation de fusées sur le plateau d'Albion (1966). Mais c'est à la poésie qu'il se consacre avant tout. Les recueils se succèdent : Les Matinaux (1950), A une sérénité crispée (1951), Le Soleil des eaux (spectacle pour une toile de pêcheurs, 1951), Lettera amorosa (1953), Recherche de la base et du sommet (1955), La Bibliothèque est en feu (1957), La Parole en archipel (1962), Retour Amont (1966), Aromates chasseurs, Chants de la Balandrane (1977). Poésie, éthique, poétique, tels sont les trois vocables autour desquels s'articule l'oeuvre de René Char. Dans Partage formel, il repousse l'image surréaliste au profit d'un « âpre ascétisme allégorique, la conquête des pouvoirs extraordinaires dont nous nous sentons profusément traversés mais que nous n'exprimons qu'incomplètement faute de loyauté, de discernement cruel et de persévérance ». Le rêve, l'écriture automatique, l'inconscient peuvent fournir des poèmes. Mais gare aux stéréotypes, aux contrefaçons. Etre poète, c'est faire, agir. Certains tiennent René Char pour un grand poète politique qui a « le plus pathétiquement réagi a notre histoire depuis 1945 » (Georges Mounin). Mais les fragments de Feuillets d'Hypnos ne peuvent être considérés comme des textes de circonstance : ils justifient une lutte, un refus permanent. René Char nous le dit dans Recherche de la base et du sommet, il s'est élevé dans la Résistance contre tout ce qui plaquait « sur les gerçures de mon visage une gifle de fonte rouge ». Au poète de préparer ensuite l'avenir pour que les monstres ne reparaissent pas. Cette poésie de la « fureur » et du « mystère » se retourne alors sur elle-même pour retrouver la fraîcheur de son origine, la violence de son surgissement. Ici, plus d'éloquence, le mot sorti du silence et qui y retourne, l'aphorisme qui explose et retombe dans son obscurité première. Par là, René Char fait penser à Héraclite dont les fragments ont une concision qui résulte de « cet effort qu'a dû faire l'expression pour parvenir à se situer entre le « tout » et le « rien » ; elle s'est déprise du silence mais, ne pouvant tout dire, elle s'est rattachée à ce Sens qu'elle n'épuise pas dans les mots qui en proviennent » (Jean Brun, Les Présocratiques). Union de la poésie et de la pensée que René Char célèbre, comme l'a reconnu Heidegger. Mais la poésie est première, attente de la pensée et de la parole. Il en résulte des textes difficiles, d'une richesse inépuisable : ancrée dans les richesses du monde, notamment celles du paysage vauclusien où vit le poète. Dépouillement, rigueur. La poétique est une éthique, une recherche du court-circuit d'images qui provoque le contact entre des mots et des règnes (végétal, animal...) qui s'opposent. « Je m'inquiète de ce qui s'accomplit sur cette terre, dans la paresse de ses nuits, sous son soleil que nous avons délaissé — Je m'associe à son bouillonnement. » Cette poésie prend ainsi en charge des expériences multiples, des instants de beauté menacés par l'Apocalypse. Lors de la publication de Dans la pluie giboyeuse, René Char déclare : « Etant un peu plus encore délivrés de l'espérance, nous nous approchons d'autant d'une nouvelle liberté-vérité du monde de l'homme. » Poésie, éthique, poétique sont orientées vers un but unique : créer de la beauté vécue dans l'exaspération des contradictoires, « sur la ligne hermétique de partage de l'ombre et de la lumière. Mais nous sommes irrésistiblement jetés en avant. Toute notre personne prête aide et vertige à cette poussée ». Beauté qui se manifeste pour René Char aussi bien dans la poésie que dans le théâtre, la critique et parfois même le ballet. Il est significatif qu'un musicien aussi exigeant que Pierre Boulez, dans sa première période créatrice, ait donné une version musicale à plusieurs textes de ce poète, saluant « la violence taillée de ses paroles, son paroxysme exemplaire, sa pureté ». Beauté intransigeante qui ne suppose aucune compromission avec les mots d'ordre sociaux, avec ce qui viole l'ordre mystérieux de la terre. Beauté active, convulsive et contrôlée à la fois, où tous les hommes, s'ils ont la patience d'écouter le poète, pourront se retrouver au sein d'une Commune présence — titre d'un choix de poèmes paru en 1964 et augmenté en 1978. La poésie, par des chemins escarpés, cherche à rassembler les hommes. Ce que René Char disait dans la dédicace de la première partie de Recherche de la base et du sommet fut et demeure son intention avouée : « Pauvreté et privilège est dédié à tous les désenchantés silencieux, mais qui, à cause de quelque revers, ne sont pas devenus pour autant inactifs. Ils sont le pont. Fermes devant la meute rageuse des tricheurs, au-dessus du vide et proches de la terre commune, ils voient le dernier et signalent le premier rayon. Quelque chose qui régna, fléchit, disparut, réapparaissant devrait servir la vie : notre vie des moissons et des déserts et ce qui la montre le mieux en son avoir illimité. On ne peut pas devenir fou dans une époque forcenée bien qu'on puisse être brûlé vif par un feu dont on est l'égal. » Le poète est celui qui commence et qui rassemble. Et moins que jamais il n'est question de s'accommoder du chaos et de la violence — celle de l'Histoire entre autres. Dans Aromates chasseurs, il est dit : « Il y a ceux qui ont bu l'eau de la baignoire de Marat, et nous qui avons frissonné à l'horizon de Saint-Just et de Lénine. Mais Staline est perpétuellement imminent. On conserve avec des égards la mâchoire de Hitler... » Dans ce poème, Orion, chasseur aveugle, chemine entre les formes mythologiques qui parsèment le ciel et les senteurs de la terre. Le poète a-t-il trouvé une sérénité qui n'a plus rien de crispé ? Non, l'éclair continue à jaillir. Mais René Char se tient désormais dans les profondeurs du temps dont il tamise l'or. « Je voudrais que mon chagrin si vieux soit comme le gravier de la rivière : tout au fond. Mes courants n'en auraient pas souci. » Solitude qui n'est pas isolement mais incitation pour les hommes à « regarder la terre sur laquelle ils vivaient et à la tutoyer en baissant les yeux ». GUY LE CLEC'H. ? « Une part de sa grandeur, celle qui le rend sans égal en notre temps, vient de ce que sa poésie est révélation de la poésie, poésie sur la poésie, et, comme dit Heidegger à propos d 'Hölderlin, poème de l'essence du poème. » Maurice Blanchot. ? « Il n'y a ici aucune éloquence, aucune exagération pathétique — mais le poète donne spontanément à tout ce qu'il voit et à tout ce qu'il dit une valeur incommensurable, une grandeur sacrée. Le sentiment de ce qu'il y a de sacré dans l'homme, le monde et la parole du poète : voici ce qui nous exalte chez René Char. » Gaétan Picon. ? « René Char incarne aujourd'hui, par ses ambitions, son sens du mystère poétique, son attitude intransigeante, la poésie moderne dans la victoire qu'elle a fini par remporter sur tout ce qui se pare plus ou moins frauduleusement de ce nom. » Maurice Nadeau.