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CERVANTÉS Y SAAVÉDRA Miguel de

CERVANTÉS Y SAAVÉDRA Miguel de. Né à Alcalà de Hénarès au début d'octobre 1547, mort le 23 avril 1616 à Madrid. Il était fils d'un médecin mal qualifié et besogneux, Rodrigo de Cervantès, et de l'épouse de celui-ci, Leonor de Cortinas. La famille vivait sinon dans la misère, du moins en proie aux difficultés d'argent. Miguel était le second des fils et le quatrième des enfants. On le baptisa le 9 octobre 1547, en l'église Santa Maria. Son père exerçant son métier hasardeux au cours de fréquentes errances, Miguel reçut sans doute une éducation assez peu méthodique en même temps qu'un certain penchant à l'instabilité. Il semble pourtant qu'il ait fréquenté les Universités d'Alcalà et de Salamanque, car, de même que Quevedo, il a souvent décrit la vie pittoresque des étudiants : « Les souffrances de l'étudiant viennent par-dessus tout de la pauvreté... Oh, pauvreté ! Je ne sais, moi, quel motif poussa le grand poète de Cordoue à t'appeler présent béni dont on ne connaît pas le prix ! » Le goût de la lecture s'empara de lui de très bonne heure : « J'aime beaucoup à lire, dit-il, quand ce ne serait que des chiffons de papier jetés à la rue. » Philippe II avait succédé à son père Charles Quint, lors de la retentissante abdication de 1556. Le roi d'Espagne avait épousé en troisièmes noces Elisabeth de Valois, fille de Henri II. Quand elle mourut, en 1568, les poètes s'évertuèrent à chanter ses louanges. Le premier maître de Cervantès, Lôpez de Hoyos, disciple d'Erasme, dut quelque célébrité à son récit des obsèques de la reine. Miguel lui-même est cité, dès cette époque, comme ayant composé un sonnet, cinq « quintilles » et une élégie sur le trépas prématuré de Sa Majesté. Dès ses années de jeunesse, il avait été pris de passion pour le théâtre, au moment ou des comédiens ambulants jouaient dans les villes et les villages les pièces de Lope de Rueda ou de Torrès Naharro. Vers 1564-1570, Cervantès, en dépit de ses goûts littéraires, cherche fortune dans les armes. Il s'engage dans une compagnie de soldats, puis devient camérier du cardinal Acquaviva, légat du pape Pie V auprès de Philippe II. Il suit son patron en Italie, la vie de la mer et des grands ports méditerranéens frappe son imagination. Mais la carrière de secrétaire ne le retiendra pas longtemps : peu après nous le voyons prendre rang dans les régiments ou tercios d'Italie, et fl peut méditer sur la guerre et sur la condition du soldat. On l'entendra plus tard vitupérer contre la diabolique invention de l'artillerie. Les hasards de la vie militaire l'entraînent dans toute l'Italie : Naples, Messine, Lorette, Ancône, Venise, Parme, Plaisance, Asti. Il a consigné le souvenir heureux de ces différents séjours dans le Licencié Vidriera, et s'il a pu admirer les cheveux blonds des Génoises, savourer la suavité du Trebbian, la vertu du Montefiascone, des vins de Candie ou de Samoa, Rome surtout éveilla son enthousiasme : il eut le loisir de visiter la ville en touriste attentif. Cependant, il complète son éducation littéiaire, il lit les auteurs anciens, Apulée, Héliodore, Horace, Virgile, autant que les écrivains italiens contemporains; l'Arcadie de Sannazar, l'Aminta du Tasse, le Pastor fido de Guarini, le Parfait courtisan de Baldassare Castiglione, sont ses livres de chevet, avec les oeuvres de Pulci, de Boardo, ou de l'Arioste. Or, en 1570, le sultan Sélim attaque l'île de Chypre et s'empare de Nicosie. Cervantès parle de cet événement en témoin oculaire, dans la nouvelle de l'Amant généreux - v. Nouvelles exemplaires. Il est alors enrôlé dans la compagnie du capitaine Diego de Urbina, dans le tercio de Miguel de Moncada. Puis il passe l'hiver de 1570 à Naples, en permissionnaire oisif. On le suit aussi à Luc-ques où, dit-il, les Espagnols sont accueillis mieux que nulle part ailleurs, en dépit de leur naturel, que l'on dit arrogant... Le 7 octobre 1571 est la date capitale de sa vie héroïque. C'est celle de la fameuse bataille de Lépante. La flotte, commandée par Don Juan d'Autriche, fils naturel de Charles Quint, qui réunit sous son pavillon les vaisseaux du pape, de Venise et de l'Espagne, est victorieuse des Turcs, dans le golfe de Patras. Cervantes, à bord de la Marquesa, prend part au combat. Il reçoit trois coups d'arquebuse, deux dans la poitrine, et un troisième dans le bras gauche. Il devient « le Manchot de Lépante », tandis que ses compagnons s'emparent de l'étendard royal d'Égypte. Il a su décrire les combats navals en homme qui y a pris part, et qui en tire avec quelque rancoeur un juste orgueil : « Comme si mon état de manchot, s'écrie-t-il, à l'adresse de railleurs impudents, avait été contracté dans quelque taverne, et non pas dans la plus grande affaire qu'aient vu les siècles passes et présents, et que puissent voir les siècles à venir ! » Mutilé, il passe sa convalescence à Messine, où l'Armada est reçue en triomphe. En 1572, il combat encore contre les Turcs à Navarin et à Modon. La Loba capture la galère turque la Presa, commandée par le fils du corsaire Barberousse. La flotte rallie Naples et gagne Messine. Cervantes est de nouveau en garnison en Italie et en Sicile et profite de ses loisirs pour nourrir son esprit d'impressions recueillies au jour le jour. Le 8 octobre 1573, lors de la prise de Tunis, il figure dans le tercio de Figueroa, mais les Turcs reprennent la Goulette en 1574 : « Enfin la Goulette fut prise, puis le fort. Dans ces deux places il y avait jusqu'à soixante mille Turcs mercenaires et plus de quatre cent mille Mores et Arabes... Ce fut la Goulette qui tomba la première, elle qu'on avait cru jusqu'alors imprenable. » Le 20 septembre 1575, Cervantès obtient un congé d'un an et prend passage avec son frère sur la galère El Sol, qui cingle vers l'Espagne. Son destin va se nouer. Sur les côtes de France, en vue des Saintes-Maries-de-la-Mer, la galère est attaquée et capturée par trois bâtiments turcs commandés par le renégat Amaute Mami. Cervantès est fait prisonnier et conduit à Alger. Il a donné le récit de sa mésaventure dans l'Espagnole-Anglaise — cf. Nouvelles exemplaires — et longuement décrit les misères du bagne dans le Récit du Captif inséré dans le Don Quichotte. Le Manchot était un « esclave de rachat », c'est-à-dire un de ceux dont on escomptait une forte rançon. Échappant aux mauvais traitements que subissaient souvent ses camarades, le démon littéraire ne l'abandonnait pas : c'est dans ces pénibles circonstances qu'il commença la Galatée. Il adresse une supplique à Mateo Vâsquez, le secrétaire de Philippe II, et tente de s'évader vers Oran. Repris et en butte à des représailles, employé aux carrières et aux fortifications du port, sous les murs de Bab el-Oued, il cultive les jardins de son maître Hassan, puis s'abouche avec le renégat El Dorador. Sur ces entrefaites, les pères rédemptoristes arrivent à Alger. Radrigo, frère de Cervantès, est libère moyennant une forte rançon fournie par sa famille. Quant à Miguel, il ne lui reste qu'à préparer à nouveau son évasion. Il se réunit avec ses amis dans une grotte proche du rivage, mais Il est trahi par El Dorador. Tandis que le vice-roi le rachète à son maître pour 500 écus d'or, la famille s'emploie toujours à réunir les fonds nécessaires a son rachat. En 1579, nouvelle tentative d'évasion, de complicité avec le renégat Giron et un marchand de Valence, Onofre Exarque. Cervantès, trahi cette fois par un dominicain renégat, Fray Blanco de Paz, est condamné à cinq mois de réclusion. Enfin, l'année suivante, un vaisseau Appareille à Valence et amène à Alger les trinitaires Juan Gil et Antonio de la Bella. Cinq cents captifs sont libérés par leur entremise. Fray Jorge de Olivarès, de l'ordre de la Merci, demeure en otage pour sept mille autres. Bref, au moment même où Cervantès était à bord du vaisseau qui emmenait à Constantinople Hassan Pacha avec tous ses esclaves, il est remis à terre, libéré, en vertu d'un acte de rachat passé devant le notaire Pedro de Ribera. Il s'embarque le 24 octobre 1580, et arrive à Dénia, d'où il gagne Valence, en quête de moyens d'existence. En 1583, la Galatée est achevée; elle paraîtra en 1584, imprimée par Blas de Robles. Cervantès se rend à Madrid, puis à Tolède; il se lie avec une comédienne, Anna Franca, qui lui donne une fille, Isabelle. Le 12 décembre 1584, il convole en justes noces avec Dona Catalina de Palacios y Vozmediano, fille d'un propriétaire d'Esquivias. Mais il quitte souvent le foyer domestique pour fréquenter à Madrid les poètes qui se réunissent à la porte de Guadalajara. Il se lie avec les meilleurs écrivains espagnols de son temps : Gôngora, Calderôn, Quevedo, Ercilla, Cristobal de Virués, Luis de Leon, Fernando de Herrera, Francisco Pacheco, Arias Mon-tano, Ruy de Montalvo, Tirso de Molina. Une inimitié durable sera la conséquence des critiques malveillantes de Lope de Vega. Les premiers essais de Cervantès au théâtre sont contrecarrés par la dure nécessité de gagner sa vie. Il se fait nommer commissaire aux vivres, alors que Philippe Il prépare sa descente en Angleterre. Le desastre de « l'invincible Armada » en 1588 lui inspire des vers célèbres : « Ce ne fut pas la main de l'ennemi qui les fit céder, mais la bourrasque irrésistible. » A Séville où il séjourne à plusieurs reprises, de 1585 à 1589, il fréquente un imprésario, Thomas Gutierrez, et Jerô-nimo de Alarcôn. A bout de ressources, il adresse une demande d'emploi au président du Conseil des Indes : « Il ira où l'on voudra, en Nouvelle Grenade, à Soconusco, au Guatemala ou à Carthagène des Indes. » Les bureaux l'éconduisent sans plus de façon. En 1589, une affaire désagréable le met aux prises avec le doyen et le chapitre de Séville : au cours de ses réquisitions à Ecija, Cervantes s'est attaqué aux biens de l'Êglise, ce qui lui vaut d'être arrêté et excommunié. Quelques années après, le 5 septembre 1592, il signe un traité avec Ridrigo Osorio, pour la fourniture de six comédies, à cinquante ducats l'une, mais entre-temps, l'infortuné commissaire est appréhendé à Castro del Rio par le corregidor d'Ecija, pour vente illicite de blé. Il accepte alors un emploi à Madrid : le recensement des impôts dans le royaume de Grenade. Cervantès a dès lors rédigé la première partie de Don Quichotte « en un lieu, dit-il, où toute incommodité a son siège, où tout bruit lugubre fait sa demeure ». Ces mots, si souvent commentés, font sans doute allusion à la prison de Séville, plutôt qu'à la maison d'Argamasilla de Alba, où la légende veut qu'il ait été enfermé dans une cage à gros barreaux. D'autres critiques ont songé, avec moins de vraisemblance, à la prison de Castro del Rio. La malchance poursuit le poète famélique : il a déposé des fonds chez le banquier portugais Simon Freyre, qui lève le pied. Effectivement, il est en prison à Séville de septembre à décembre 1597. Il y fera un nouveau séjour de 1602 à 1603. De 1596 datent son sonnet à la louange du marquis de Santa Cruz, et l'ode sarcastique consacrée au duc de Médina Sidonia et à ses prétendus exploits de Cadix. En 1598, Philippe II meurt à l'Escurial; la contemplation du catafalque érigé dans la cathédrale de Séville inspire à Cervantès son fameux sonnet « estrambôtico ». En 1601, sous le règne de Philippe III, suivant le conseil du favori, le duc de Lerma, la cour se transporte à Valladolid, qui devient momentanément la capitale de l'Espagne. Vers la fin de l'année, Cervantès s'y établit avec sa famille dans une maison sise non loin de l'hôpital de la Résurrection, qui servira de décor au Colloque des chiens et à Scipion et Berganza. Une affaire déplorable s'ensuit, le meurtre commis sur la personne de Don Gaspar de Espeleta, au seuil même de la demeure des Cervantès. Tous les membres de la famille sont atteints par le scandale, et les dépositions des témoins ne les épargnent point. C'est dans ces circonstances que parut la première partie de Don Quichotte. L'imprimeur était Juan de la Cuesta, l'éditeur Francisco de Robles, tous deux de Madrid. Le privilège est daté de Valladolid et du 26 septembre 1604. L'ouvrage parut en janvier 1605. Le succès est immédiat; dans la seule année de sa parution, Don Quichotte est réimprimé six fois. En 1608, la cour était revenue se fixer à Madrid. Cervantès la suit et loue un logement, calle de la Magdalena, non loin de son imprimeur et du libraire Robles. Ses protecteurs attitrés sont le duc de Lerma, le duc de Bejar, le duc de Lemos, le cardinal D. Bernardo de Sandoval, archevêque de Tolède. Il assiste régulièrement aux offices du couvent de la Trinité, et se fait inscrire à la Confrérie des Serviteurs indignes du Très Saint Sacrement, tout en faisant partie de l'Academia Salvaje, fondée par Francisco de Silva. En 1611 paraît l'intermède du Gardien vigilant. En 1612, Cervantès envoie à l'impression des Nouvelles exemplaires dont la dédicace au comte de Lemos est du 14 juillet 1613. Vient ensuite le Voyage du Parnasse, dédié à Rodrigo de Tapia. A Tarragone, au cours de l'été de 1614, avait paru un ouvrage intitulé : Second volume de l'ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche, par le licencié Alonso Fernandez de Avellaneda natif de Tordesillas. On a cherché à identifier l'auteur de cette contrefaçon déloyale, sans y parvenir positivement. Quand Cervantès livre à la presse, en 1616, sa seconde partie de Don Quichotte, il ne manque pas de s'en prendre à son adversaire inconnu. La même année, il achevait un dernier ouvrage, Les Travaux de Persilès et de Sigismonde, que l'on peut appeler le roman de l'ennemi des romans. La dédicace au comte de Lemos est datée du 31 octobre 1615, elle débute par quelques lignes d'une incomparable résonance : « Le pied déjà à l'étrier, et en proie aux angoisses de la mort, grand seigneur, je t'écris ceci... » Cervantès meurt le samedi 23 avril 1616, sa femme Dona Catalina est à son chevet, il est tertiaire de l'ordre de Saint-François. On l'enterra au couvent de la calle del Humilladero. Son corps, croit-on, fut exhumé et transféré au couvent de la calle de Cantarranas. Telle fut la vie de l'un des esprits les plus ingénieux, pour user de ses propres termes, qu'ait connu l'Espagne, l'un des tout premiers écrivains dont puisse tirer gloire la littérature moderne. Sur sa personne physique, nous ne savons rien de sûr, car le portrait conservé à l'Académie de Madrid, signé de Juan de Jauregui et daté de 1600, a vu son authenticité contestée pour de bonnes raisons. Ce que l'on peut alléguer de plus plausible en sa faveur, c'est qu'il correspond assez bien à la description que fait de lui-même Cervantès, dans le prologue des Nouvelles exemplaires, en citant d'ailleurs l'illustre Juan de Jauregui comme le peintre qui a reproduit ses traits. On peut visiter aujourd'hui, à Valladolid, la maison qu'habita quelque temps Don Miguel de Cervantès y Saavédra. Elle a été aménagée avec un soin pieux, et de telle sorte qu'il est loisible d'y évoquer une noble figure, très proche de celle de l'ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche. Cervantès, aux yeux d'une postérité qui n'a jamais cessé d'être émerveillée, est le créateur de deux types humains issus de la pure imagination, et devenus plus vivants que nul personnage historique, au point qu'ils sont passés dans le langage courant, dans le folklore universel, et qu'ils incarnent non pas seulement un pays ou une époque, mais un monde. Il n'est pas mauvais que Don Quichotte et Sancho soient désormais des fantoches dont s'amusent les enfants. Cervantès les a voulus d'abord bouffons et dérisoires. Son livre est dans son essence une critique burlesque des romans de chevalerie dont les gens de son temps étaient affolés. L'admirable, c'est qu'au cours de son récit, il y a déversé, sans système, toute une expérience vitale, et une philosophie de l'existence qui pénètre jusqu'au profond du rêve et du délire. Non seulement les dialogues du chevalier et de l'écuyer sont la source d'une comédie ineffable, mais Don Quichotte se penchant sur Sancho, et Sancho levant les yeux vers Don Quichotte subissent l'un et l'autre une transformation intime où leur âme s'affine au contact des réalités et du songe plus fort que la vérité. On peut dire que le roman moderne dérive de cet archétype; on peut affirmer aussi que par cet ouvrage imprégné d'humour, Cervantès est un de ceux qui, dans ce fécond XVIe siècle, comme Montaigne, comme Shakespeare ou comme Erasme, ont mené l'enquête la plus subtile sur les arcanes de l'esprit humain. On trouve dans Don Quichotte une théorie de la connaissance aussi belle que dans La vie est un songe de Calderôn. Mais il n'y a pas que Don Quichotte; les Nouvelles exemplaires, que l'on pourrait appeler des contes moraux, achèvent le tableau de la société espagnole, à la manière d'un manuel de savoir-vivre, brodé d'autre part par la fantaisie des entremeses, sketches alertement troussés, tandis que dans Numance culmine un honneur poussé jusqu'à l'extrême de l'intransigeance. Enfin Persilès et Sigismonde, ce roman itinérant, est le testament poétique d'un rêveur impénitent, méditant sur le passé qui aurait pu être, et achevant de tracer le fantasque filigrane de sa vie irréelle. ? « De tous les livres que j'ay jamais lus, Don Quichotte est celui que j'aîmerois mieux avoir fait. Il n'y en a point, à mon avis, qui puisse contribuer davantage à nous former un bon goût sur toutes choses. J'admire comme dans la bouche du plus grand fou de la terre, Cervantès a trouvé le moyen de se faire connaître l'homme le plus entendu et le plus grand connaisseur qu'on se puisse imaginer. » Saint-Evremond. ? Deux hommes de lettres, Rabelais et Michel Cervantès, s'élevèrent, l'un en France et l'autre en Espagne, et ébranlèrent à la fois le pouvoir monacal et celui de la chevalerie. Pour renverser ces deux colonnes, ils n'employèrent d'autres armes que le ridicule, ce contraste naturel de la terreur humaine. » Bernardin de Saint-Pierre. ? « Le poète qui abolit les lois de la froide raison et nous précipite dans le chaos de notre propre nature. » A. W. Schlegel. ? « Il n'est pas exagéré d'affirmer qu'il n'y a jusqu 'à maintenant que deux romans : le Don Quichotte de Cervantès et le Wilhelm Meister de Goethe, l'un appartenant à la nation la plus brillante, l'autre à la plus solide... Tandis qu'un esprit de deuxième ordre eût vu dans le roman l'occasion de tracer la satire d'une folie particulière, Cervantès en a fait le tableau le plus universel, le plus profond et le plus pittoresque de la vie elle-même. » Schelling. ? « L'auteur d'Hamlet et celui de Don Quichotte sont les deux plus grands poètes qu'aient produit les siècles modernes. Cervantès, plus encore que le doux William, exerça sur moi un charme indéfinissable. Je l'aime jusqu'aux larmes. » Heine. ?« Don Quichotte exprime allégoriquement la vie de tout homme qui ne se contente pas, comme les autres, de suivre son propre bonheur, mais veut atteindre un but objectif, idéal, qui s'est emparé de sa pensée et de sa volonté; ce qui lui donne, dans ce monde, une attitude singulière. » Schopenhauer. ? « Malheur à qui ne ressemble pas quelquefois à Don Quichotte et ne prit jamais des moulins à vent pour des géants ! Ce magnanime Don Quichotte était ton propre enchanteur. Il égalait la nature à son âme. Ce n'est point être dupe, cela ! Les dupes sont ceux qui ne voient devant eux rien de beau ni de grand. » Anatole France. ? « Cervantès écrivit — sans en avoir conscience — la plus grande satire humaine contre l'enthousiasme humain. » Carducci. ? « Cervantès campe ses personnages avec la même force, le même relief que les grands artistes de son pays peignent les leurs. » R. Recouly. ? « Je ne vous distingue plus, Don Quichotte et Cervantès. Vous êtes aussi beaux l'un que l'autre. Votre grandeur est inimitable : elle devrait faire pleurer, et elle fait rire. Rien de bas ne peut tenir devant vous : Cervantès se moque ou s'indigne et Don Quichotte court sus, avec sa grande âme qu'il lance devant soi comme une faux. » André Suarès. ? « Cervantès, écho sonore d'un temps spécialement critique, fut spécialement artiste, prodigieusement artiste. » Jean Cassou.


CERVANTÈS, en esp. CERVANTES SAAVEDRA, Miguel de (Alcalâ de He-nares, 1547-Madrid, 1616). Écrivain espagnol, auteur du célèbre roman picaresque, Don Quichotte de la Manche (1605-1615) qui fit sa gloire à la fin de sa vie. D'abord soldat, il perdit l'usage d'un bras à la bataille de Lépante puis, prisonnier des pirates barbaresques à Alger durant cinq ans, il revint en Espagne où il fut commissaire aux approvisionnements de l'invincible Armada. Mêlé à des affaires douteuses, excommunié et emprisonné, il devint familier de la cour de Philippe III qui lui inspira l'humour et la satire de ses romans dont le plus célèbre reste Don Quichotte, parodie des romans de chevalerie. Ce roman est, à travers son héros Don Quichotte, chevalier enflammé par les idéaux chevaleresques, et le bon sens commun de son écuyer Sancho Pança, une satire de la noblesse castillane et des ambitions déçues d'une Espagne décadente. Don Quichotte eut de nombreuses adaptations musicales et cinématographiques, et inspira des illustrateurs comme Fragonard, Daumier ou Dali. Cervantès fut aussi l'auteur d'autres romans {Les Travaux de Persilès et Sigismonde, 1616, Nouvelles Exemplaires, 1613), mais aussi de pièces de théâtre dont les meilleures furent réunies dans Huit comédies et huit intermèdes (1615).