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CENDRARS Blaise (pseud. de Frédéric-Louis Sauser)


CENDRARS Blaise (pseud. de Frédéric-Louis Sauser). Écrivain français d'origine suisse. Né à La Chaux-de-Fonds (Suisse) le 1er septembre 1887, mort à Paris le 20 janvier 1961. De 1893 à 1897, il fréquente la Scuola Internazionale de Naples, suit ses parents en Égypte, en Angleterre, en Suisse. A quinze ans, il s'enfuit de chez lui, erre en Allemagne, rencontre le marchand Rogovine, le suit en Russie d'Europe et d'Asie. De 1903 à 1907, il parcourt les Indes, la Chine. A Pékin, soutier de l'hôtel des wagons-lits, il alimente la chaudière de vieux numéros du Mercure de France après les avoir lus de bout en bout. De retour en France en 1907, il s'occupe d'apiculture, fréquente un romancier populaire, Gustave Le Rouge, et la bande à Bonnot. Il part pour Bruxelles et Londres où il devient jongleur et rencontre Charlie Chaplin encore inconnu. En 1909, il retourne en Russie, part pour le Canada et l'Amérique du Nord. Il écrit La Légende de Novgorod. En 1910, il convoie des émigrants polonais vers les États-Unis. En 1912, de passage à New York le jour de Pâques, il entre, affamé, dans une église presbytérienne où se donne La Création de Haendel. La nuit suivante, il écrit Les Pâques à New York puis, en 1913, un second grand poème, La Prose du Transsibérien et de la Petite Jeanne de France. Il se fixe à Paris en 1911 et se lie d'amitié avec Chagall, Max Jacob, Fernand Léger, Soutine, Modigliani. Il fréquente les milieux anarchistes, la bohème, la zone. Il fonde la revue, Les Hommes nouveaux où il publie les poèmes de Séquences. A la déclaration de la guerre, il s'engage dans la Légion étrangère. Gravement blessé en Champagne en 1915, il est amputé du bras droit. D un premier mariage, il a deux fils. Démobilisé, il fréquente les Gitans, s'occupe des « Éditions de la Sirène » où il publie son Anthologie nègre (1916). Il fait paraître successivement La Guerre du Luxembourg (1916), Profond aujourd'hui (1917), J'ai tué (1918). Il fait de fréquents séjours dans sa bicoque de Tremblay-sur-Mauldre. De 1921 à 1924, ils'intéresse au cinéma, participe à la réalisation de La Roue d'Abel Gance et voyage en Amérique du Sud. Il repart entre 1926 et 1929 pour l'Argentine, le Paraguay, le Brésil. Auparavant, il compose en 1928 La Création du monde, ballet dont Darius Milhaud compose la musique et Fernand Léger les décors. C'est une période de création poétique et romanesque intense : paraissent tour à tour Documentaires (1924), Feuilles de route (1924), L'Or (1925), L'Eubage (1926), Moravagine (1926), Petits Contes nègres pour les enfants des blancs (1928), Le Plan de l'aiguille (1929), Les confessions de Dan Yack (1929) (ces deux derniers romans réunis en 1948 sous le titre Dan Yack), Une nuit dans la forêt (1929). De 1930 à 1940, Cendrars vit à Paris tout en effectuant des grands reportages. (En 1939 il est correspondant de guerre auprès de l'armée anglaise.) Son activité est toujours considérable. 11 publie Rhum (1930), Aujourd'hui (1931), Vol à voile (1932), Panorama de la pègre (1935), Hollywood, la Mecque du Cinéma (1936), Histoires vraies (1937), La Vie dangereuse (1938), D'Oultremer à indigo (1940). Pendant l'Occupation, il vit à Aix-en-Provence. La Libération venue, il réside à Villefranche-sur-Mer jusqu'en 1949. Son fils Rémy mobilisé dans l'aviation meurt dans un accident en 1945. Il publie ses Poésies complètes (1944), L'Homme foudroyé (1945), La main coupée (1946), Bourlinguer (1948), Banlieue de Paris (1949). En 1949, il revient s'installer à Paris et publie Le Lotissement du ciel et Emmène-moi au bout du monde (1956). Une première attaque de paralysie le frappe à Ouchy. Il publie encore en 1957 Trop c'est trop (nouvelles) et Films sans images (1959). Avant de mourir, il reçoit Le Grand Prix littéraire de la ville de Paris. Blaise Cendrars a constitué sa propre légende. Il y est trop bien parvenu. Le personnage a fini par masquer l'écrivain. Il a trop souvent répété qu'il préférait vivre qu'écrire. L'oeuvre est pourtant considérable et neuve. Il a précédé la littérature des beatniks et le nouveau journalisme à la Tom Wolfe. On peut distinguer dans cette oeuvre deux grands courants répondant à des datations précises. De 1912 à 1929, il est surtout poète. Ensuite, il se consacre à la prose. Les Pâques à New York attirent l'attention de Guillaume Apollinaire qui s'en inspire dans son poème « Zone ». Dès son premier poème, Cendrars abandonne la structure stricte et rigide du vers pour adopter un rythme souple modelé sur la respiration et la marche d'un poète mystique errant dans New York. A l'instar de Valéry Larbaud, il va exalter les express européens, les paquebots, les palaces internationaux avec La Prose du transsibérien où se mêlent souvenirs d'enfance et chant des roues sur les rails. Pour Cendrars, la vie moderne est déjà poétique par elle-même avec sa publicité, le cinéma, l'avion, le train, l'automobile. « C'est le grand honneur des poètes et de la poésie moderne d'être descendus à une telle profondeur dans le conscient et de vouloir annexer cette région encore vierge de l'être humain où les formes les plus aiguës de la civilisation et les terreurs les plus anciennes de la vie retentissent comme la voix de Dieu dans le désert » (Aujourd'hui). Le Panama ou les aventures de mes sept oncles (1914) va plus loin encore, brise le poème, juxtapose images insolites, fragments de journal au gré d'un espace et d'un temps disloqués selon la logique du rêve éveillé. Dans les Dix-neuf poèmes élastiques (1919) proches du futurisme et du dadaïsme, entrent des conversations surprises au vol, des phrases empruntées aux journaux, des télégrammes-poemes. A cette poésie brute, succède Documentaires (1924), d'abord intitulé Kodak, fait de phrases tirées du Mystérieux Docteur Cornélius, roman populaire de Gustave Le Rouge. Cendrars voulait ainsi écrire une poésie abordable pour le grand public. Il innovait avec le procédé du collage ou « l'image mentale » chère au surréalisme — auquel il n'adhéra jamais. Au coeur du monde (1919-22) est une suite de notations prises sur le vif, de cartes postales, de poèmes dictés par téléphone Plus encore que ses poèmes, ce sont ses romans qui lui ont valu une légende tenace. A-t-il vécu tout ce qu'il raconte ? Après une période de neutralité, d'impersonnalité envers l'écriture qui dure de 1915 à 1926, Moravagine fait sauter les verrous. Grand roman surréalisant qui charrie la vie intérieure, la folie, le voyage, l'esprit de révolte, le rêve, la sexualité, c'est aussi une recherche de lui-même par Cendrars («On n'écrit que soi ») qui se regarde écrire : « Je suis l'Autre, l'homme qui écrit. » Dan Yack pousse plus loin cette construction de soi-même par le biais du roman. A sa tristesse, à sa solitude, le héros ne trouve qu'un dérivatif, la parole, et le salut que parmi les autres hommes. « Le monde est ma représentation. J'ai voulu, dans Dan Yack, intérioriser cette vue de l'esprit, ce qui est une conception pessimiste; puis l'extérioriser, ce qui est une action optimiste. » Après Rhum, histoire d'un aventurier, il s'oriente vers l'autobiographie. « De plus en plus, je me rends compte que j'ai toujours pratiqué la vie contemplative... La sérénité ne peut être atteinte que par un esprit désespéré, il faut avoir beaucoup vécu et aimer encore le monde » (Une nuit dans la forêt). Ainsi s'annonce la publication de quatre chefs-d'oeuvre au lendemain de l'Occupation : L'Homme foudroyé, La Main coupée, Bourlinguer et Le Lotissement du ciel. Cendrars renaît de ses cendres. Il reprend sa conquête de soi. Il passe au-dessous des événements vécus pour deviner à quelle structure mentale ils ont correspondu. Tâtonnant dans ses souvenirs, il se livre finalement à une méditation mystique sur l'aventure où transparaît la nostalgie de Dieu. Le prétendu contempteur de la littérature se rend compte que c'est en elle que finalement le monde trouve sa représentation. « La littérature fait partie de la vie... Toute vie n'est qu'un poème, un mouvement. Je ne suis qu'un mot, un verbe, une profondeur dans le sens le plus sauvage, le plus mystique, le plus vivant. » Qu'après cela son dernier roman, Emmène-moi au bout du monde, soit une sorte de règlement de compte avec ce Paris où il est revenu après son exil à Aix-en-Provence ne brise pas la trajectoire essentielle de Biaise Cendrars. Il faut aller chercher le poète dans ses accords avec le monde moderne dont il saisissait les rythmes plus ou moins cachés qui doivent régler « le nouveau régime de la personnalité humaine ». C'est là un problème fondamental et qui demeure d'actualité. ? «L'Homère du Transsibérien. » John Dos Passes. ? C'est au coeur même de la vie que Cendrars est ancré. Il est le plus actif des hommes, et cependant serein comme un lama tibétain. » Henry Miller ? « Il m'apprit — et je n'ai jamais pu l'oublier — qu'il fallait vivre la poésie avant de l'écrire; écrire, c'était superflu. » Philippe Soupault. ? « Lui et ses problèmes avaient le voyage dans le ventre. » Henri Michaux.