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BROGLIE Louis Victor, prince de

BROGLIE Louis Victor, prince de. Physicien français. Né à Dieppe, le 15 août 1892, il est le plus jeune dans la branche aînée de cette illustre famille ducale qui donna à la France tant de maréchaux, d'hommes d'Etat et d'écrivains. Bachelier de mathématiques et de philosophie en 1909, licencié ès lettres (histoire) en 1910, sa famille le destinait à la diplomatie. Il vint à la physique par la philosophie des sciences, sous la particulière influence des livres d'Henri Poincaré. En 1911-1913, il passe la licence es sciences physiques et s'oriente peu à peu vers ce qui sera sa vocation vraie. Le service militaire, puis la guerre, qu'il fait dans le génie (radiotélégraphie), le détournent (oct. 1913-août 1919) de ses réflexions. Il avait, en effet, commencé de concentrer son attention sur les quanta dont l'irruption (déc. 1900) révolutionnait de plus en plus la physique et qui dressaient leur énigme devant les spécialistes. Au premier Congrès Solvay (1911), les maîtres de la nouvelle physique en avaient disputé et le jeune étudiant s'était d'autant plus passionné pour ces assises que son frère aîné, Maurice duc de Broglie, né en 1875, savant déjà connu, en avait été le secrétaire. Dès sa démobilisation, Louis de Broglie reprend ses recherches. Il fréquente assidûment le Laboratoire des Rayons X, fondé et dirigé par son frère qui exerce alors sur lui une réelle influence. Elle contribue à lui donner cet exprit expérimental qui manque à tant de théoriciens; ses premières notes à l'Académie des Sciences (1920-1921), ont trait surtout à la spectroscopie X. Mais ses préoccupations profondes le fixent sur un problème essentiel. Il restait vivement frappé de l'orientation décisive imprimée dès 1905 par Einstein aux idées quantiques. La notion de l'émission de corpuscules revenait en théorie de la lumière, sous la forme des quanta de lumière (pho-tons). Louis de Broglie admet résolument le dualisme des ondes et des corpuscules. Des considérations mathématiques (analogie formelle de la mécanique analytique et des théories ondulatoires) renforcent son intuition. Brusquement, a-t-il écrit, vers la fin de l'été 1923, ses idées se cristallisent. Il pose dès lors les bases de la mécanique ondulatoire dans trois notes fondamentales à l'Académie des Sciences (sept.-oct. 1923). La dernière établissait une correspondance analytique désormais célèbre entre le principe de moindre action de Maupertuis pour le mouvement d'un corpuscule et le principe de Fermât appliqué à la propagation de l'onde qu'il convenait d'associer au corpuscule. Finalement, il rassemble ses résultats dans une thèse de doctorat, Recherches sur la théorie des quanta, soutenue en Sorbonne le 25 novembre 1924. Dans le jury figurait P. Lange-vin, dont le nouveau docteur suivait au Collège de France les cours sur la plus moderne physique. La thèse dépassait en réalité l'importance d'un parfait travail universitaire. L'auteur y développait, dans l'esprit et le langage mathématique de la relativité, une vaste synthèse des ondes et des corpuscules, embrassant et réunissant la physique de la matière et celle de la lumière. Il prévoyait en effet pour tout corpuscule, même matériel, l'électron par exemple, l'existence d'une onde associée; il en formulait la longueur d'onde et suggérait que l'on pût la détecter expérimentalement. Langevin ayant envoyé une copie de la thèse a Einstein, celui-ci répondit en affirmant que Louis de Broglie « avait soulevé un coin du grand voile » ; un peu plus tard, il déclarait à Emile Meyerson que la découverte était un véritable « coup de génie ». En 1926, Schrôdinger précisait la forme mathématique de la mécanique ondulatoire et en donnait l'équation de propagation. Dès le printemps 1927, la confirmation éclatante de l'expérience survenait : MM. Davisson et Germer à New York, G. P. Thomson en Angleterre, obtenaient des diffractions d'électrons, vérifiant ainsi toutes les prévisions conceptuelles et numériques de L. de Broglie sur l'analogie totale, en pareil cas, de la matière et de la lumière. Le Prix Nobel consacrait en 1929 cette sanction triomphale de l'expérience. A la création de l'institut Henri-Poincaré (Faculté des Sciences de Paris), il fut chargé d'un cours de théories physiques. Inauguré en novembre 1928, cet enseignement dure encore. Louis de Broglie n'a cessé de donner chaque année un cours original, explorant successivement toutes les avenues que la nouvelle mécanique avait ouvertes. Comme il rédige chaque fois ses leçons et les publie presque toujours, il en a résulté toute une série d'ouvrages magistraux, dont le premier est L'Introduction à l'étude de la mécanique ondulatoire (1930). C'est cet enseignement qui l'amena a dresser son second édifice, sa théorie de la lumière, connue sous le nom de « théorie du photon de Louis de Broglie » où, partant des récents travaux de l'Anglais Dirac, il construisait un système qui, a la différence de tous autres antérieurs, rendait compte de l'ensemble des phénomènes, corpusculaires ou ondulatoires, dus à la lumière ou d'une manière plus générale au rayonnement. Cette théorie, moins populaire que la mécanique ondulatoire, ne le lui cède en rien cependant par la rigueur, l'harmonieuse cohérence mathématique, et la puissance explicative au point de vue physique. Son auteur l'a généralisée en un vaste ensemble qui s'étend à toutes les particules à spin (1939-1944). Il prit ensuite pour objet d'études l'application De la mécanique ondulatoire à la théorie du noyau, titre des trois volumes publiés en 1943-1946. Enfin, l'Optique électronique ou plus largement corpusculaire — instaurée par la Mécanique ondulatoire et dont des instruments nouveaux comme le microscope électronique ou le télescope électronique montrent l'étonnante fécondité —, fit l'objet de ses cours pour 1946-1950. Encore n'est-ce là qu'un reflet très rapide et affaibli d'une incessante activité dont les expressions multiples et complètes exigeraient de longs développements techniques. Mentionnons du moins ces Problèmes de propagation guidée des ondes électromagnétiques (1941), qui résumaient les travaux sur les ondes ultra-courtes dont il avait été chargé pendant la guerre, en 1939-1940. Mais il est un ordre de recherches qui formera sans doute le troisième grand monument théorique auquel le nom Louis de Broglie demeurera attaché. Il s'agit de l'interprétation de la mécanique ondulatoire et du sens à donner au dualisme ondes-corpuscules qu'elle généralisait. En 1927, il avait fait une dernière tentative pour conférer à cette interprétation un sens classique, avec représentation rigoureuse des phénomènes dans l'espace-temps. Un article (Journal de Physique, mai 1927) menait assez loin la tentative (théorie de la double solution de l'équation des ondes). Mais au fameux congrès Solvay d'octobre 1927, les idées opposées de MM. Bohr, Born, Heisen-berg, Pauli l'avaient emporté, entraînant la physique atomique dans cette doctrine probabiliste, « indéterministe », qui, de plus en plus dogmatique, est devenue l'orthodoxie pour la plupart des théoriciens actuels, à la notable exception d'Einstein et Schrôdinger. Louis de Broglie s'y était rallié et fut l'un des plus brillants représentants de la nouvelle tendance, dans son enseignement comme dans ses livres généraux. Consacrant, après plus de vingt ans, au redoutable problème de l'interprétation son enseignement des années 1949-1951, il essayait encore, non sans quelque gêne, de soutenir le point de vue « probabiliste », comme toujours depuis 1927. A la fin de l'automne 1951, de jeunes théoriciens, D. Bohm (Princeton) et J. P. Vi-gier (Paris) reprirent ses idées de 1927 (théorie de la double solution) et l'incitèrent à les développer. Après une période d'hésitation (fin 1951, début 1952), il a de plus en plus fermement approfondi son point de vue classique et apporté à son mémoire de 1927 des améliorations progressives. Il est aujourd'hui convaincu que la voie était bonne et valait d'être de nouveau suivie. Des difficultés demeurent, mais si la théorie parvenait à se formuler tout à fait mathématiquement et à surmonter les derniers obstacles, elle pourrait, sans doute, se montrer efficace dans la théorie du noyau, rendre raison de la structure des particules complexes, bref, constituer « la véritable microphysique de l'avenir » selon sa propre expression, et d'ailleurs assurer entre la relativité générale et les quanta ce lien si nécessaire mais qu'aucune tentative n'a encore su former. Les plus grands honneurs n'ont cessé de marquer cette admirable carrière. En 1933, L. de Broglie, déjà lauréat Nobel, était élu à l'Académie des Sciences, Section de Mécanique (au fauteuil même qu'occupa le général Bonaparte); en janvier 1942, et sur les instances répétées de ses confrères, il remplaçait Emile Picard au Secrétariat Perpétuel; en octobre 1944 il était élu à l'unanimité par l'Académie Française, en remplacement aussi d'Emile Picard. Il était promu Grand Officier de la Légion d'Honneur en mars 1954. La biographie de L. de Broglie est pour ainsi dire purement intellectuelle. Tout jeune, une fois certain de sa vocation, il prit le parti souvent héroïque de ne plus connaître qu'elle. Son existence, toute de concentration et de solitude, ne se détourna de la recherche et de la méditation que pour deux tâches professionnelles : d'une part son enseignement, l'inspiration et la direction des travaux de ses élèves; d'autre part, le Secrétariat perpétuel de l'Académie des Sciences et tout ce qu'il entraîne. Historiquement, le rôle essentiel du prince de Broglie restera d'avoir ramené au pays des Laplace, des Ampère, des Poincaré, la grande théorie physique, disparue chez nous. De plus, il offre l'exemple rare aujourd'hui mais qui renoue aussi une tradition glorieuse, d'un savant génial capable d'exprimer en beau et clair langage l'essentiel de ses découvertes ou de mettre au point celles des autres. Excellent écrivain, penseur, et souvent historien, il a donné depuis son premier livre fameux en ce genre, Matière et Lumière, toute une série d'ouvrages qui font rentrer la plus moderne physique dans les lettres françaises. Grand classique de tendances et d'expression, sa vie et son œuvre en font l'une des plus hautes et des plus pures figures françaises de tous les temps. ANDRÉ GEORGE. ? Saluons bien bas l'effort d'un esprit merveilleusement encyclopédique et synthétique, d'un esprit qui se montre capable de repenser les travaux parfois discordants des autres hommes et de les nouer tous ensemble par la vigueur de son génie. » G. Duhamel. ? « L'idée géniale, et il faut le dire audacieuse, qu'a eue L. de Broglie en 1924 d'associer une onde à tout corpuscule, a eu des conséquences considérables sur le développement des sciences ». F. et I. Joliot-Curie. ? «Le génie de Louis de Broglie n'a pas seulement illuminé la théorie et la philosophie de la physique, mais a orienté le développement de la science et de la technique dans beaucoup de voies qui n'auraient jamais pu être prévues il y a vingt-cinq ans. » G. P. Thomson. ? « La pensée exprimée par L. de Broglie en 1936 que les quanta de lumière doivent être aussi considérés comme des édifices composés, conduit à des problèmes de principe de la même importance que ceux soulevés par le découverte célèbre des ondes de matière. » W. Heisenberg. ? « La prévision et la formulation mathématique de la nature ondulatoire de la matière par L. de Broglie en 1924 ont joué un rôle de première importance dans l'établissement de la mécanique pratique. » Yukawa. NOTE BIBLIOGRAPHIQUE : Les ouvrages techniques cités au texte et ceux qu'a déjà mentionnés le Dictionnaire des Œuvres représentent le principal. Il faut y ajouter les livres de philosophie scientifique : Matière et Lumière (1937), Continu et Discontinu en Physique moderne (1941), Physique et Micro-physique (1947), Nouvelles Perspectives en Micro-physique (1956), importants recueils d'articles ou de conférences, dans lesquels l'auteur expose sans mathématiques ses vues toujours nouvelles sur les faits et les idées scientifiques; le dernier retrace précieusement l'évolution de ses idées sur le sens profond de la mécanique ondulatoire et donne l'état actuel de la théorie classique d'interprétation dont nous venons de parler. — Savants et découvertes (1951) groupe aussi des notices ou discours sur des œuvres ou des savants d'aujourd'hui.