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BROCH Hermann

BROCH Hermann. Romancier et essayiste autrichien. Né à Vienne le 1er novembre 1886, mort à New Haven (U.SA.) le 30 mai 1951. Fils d'un industrie! en textiles, H. Broch a une vie d'enfant luxueuse. Le père, qui ne peut concevoir pour son fils d'autre destin que celui qu'il lui a fixé, oriente autoritairement ses études vers l'industrie et le commerce. Après avoir obtenu le titre d'ingénieur, H. Broch dirige l'entreprise paternelle. Il mène cependant très vite une double existence : à côté de ses activités professionnelles, il suit à l'Université des cours de philosophie, de mathématiques, de psychologie, et fréquente la brillante intelligentsia viennoise. Il se consacre enfin entièrement à la littérature. Avec l'arrivée des troupes hitlériennes, H. Broch, comme d'autres intellectuels juifs, est arrêté. Il doit sa libération, après cinq semaines d'incarcération, à l'intervention de ses traducteurs anglais et de l'écrivain James Joyce. Fin juillet 1938, il gagne Londres, puis les U.S A. trouve accueil dans les cercles universitaires. Sa réputation, ses recherches scientifiques sur la psychologie des masses lui valent l'obten-tion de nombreuses bourses. Il devient même titulaire d'une chaire de littérature allemande à l'Université de New Haven. Le 30 mai 1951, il meurt d'une crise cardiaque sur le manuscrit de son dernier roman. L'oeuvre de Broch commence avec la trilogie romanesque Les Somnambules (1931-32), dont le propos est parent de celui du grand roman de R. Musil, L'Homme sans qualités,qui paraîtra un an après : illustrer « la décadence des valeurs ». Le premier volume, Pasenow ou le romantisme 1888 [1888], se conçoit comme une parodie du réalisme bourgeois à la manière de Theodor Fontane; il raconte comment un jeune hobereau prussien, héritier des traditions de sa classe, découvre le monde moderne : Pasenow cherche par tous les moyens à fuir le réel, suivant une attitude typiquement « romantique » consistant à postuler le caractère absolu et métaphysique de valeurs périmées. Le second roman, Esch ou l'anarchie, se situe en 1903 : August Esch, petit-bourgeois, comptable consciencieux, est un jour mis à pied par la faute d'un supérieur malhonnête; lui qui a toujours cru en un ordre du monde découvre soudain l'injustice; pour trouver le salut, Esch s'invente une mère idéale, s'érige en syndicaliste vertueux : mais la mère idéale n'est en réalité qu'une matrone tenancière de café et le syndicalisme une duperie; même lorsqu'il se décide finalement à « faire comme les autres », à exploiter sans scrupules son prochain, Esch demeure tragi-quement dérisoire : il devient organisateur de combats de « catch » féminin ! Sa détresse est sans recours. Le troisième volet de la trilogie, Hugenau ou le réalisme 1918 [1918], représente le temps du cynisme et du mépris : Hugenau, chevalier d'industrie dénué de toute conscience morale, ruine et tue Pasenow et Esch, les témoins du passé. L'éclatement de l'intrigue romanesque en Plusieurs récits parallèles correspond à atomisation de toutes les valeurs. Commencée en Autriche et achevée en exil, l'oeuvre magistrale de Broch, La Mort de Virgile, paraît en 1945. Roman difficile d'accès, puisque ne respectant aucune loi du genre : long monologue intérieur qui raconte les dernières heures de la vie du poète latin. L'intrigue est mince : Virgile détruira-t-il, avant de mourir, le manuscrit de L'Enéide ? Broch, au moment où il compose son livre, a reconnu les limites de l'écriture narrative traditionnelle, en particulier son impuissance à saisir la totalité de l'instant, la « simultanéité » de l'expérience, soumise qu'elle est à la linéarité d'une syntaxe. Il lui préfère ce qu'il appelle « l'attitude lyrique », seule susceptible de résoudre le problème de la simultanéité. Raison pour laquelle La Mort de Virgile obéit à une organisation rythmique : quatre parties, placées respectivement sous le signe de l'Eau, du Feu, de la Terre et de l'Ether, se répondent par la variation des mêmes motifs. L'ensemble compose une méditation, une interrogation sur le temps, la mort, le salut. Aucune action dramatique, aucune évolution psychologique ne fait progresser le récit : nous suivons seulement les « épiphanies » successives du poète, « ces instants ouverts sur l'infini » avant-coureurs de la révélation ultime, saisis en larges périodes d'une extension presque démesurée. Les moyens stylistiques nouveaux inventés par Broch répondent au projet ambitieux de donner une forme littéraire à l'expérience individuelle de la mort. En même temps, La Mort de Virgile livre le diagnostic d'une époque : la situation historique du poète Virgile, à la frontière entre deux cultures, prophète païen du christianisme, reflète le désarroi moral et religieux vécu par H. Broch et certains écrivains de sa génération. Les plus avertis — Aldous Huxley, Thomas Mann, entre autres — ne s'y sont d'ailleurs pas trompés : dès sa publication, ils ont salué La Mort de Virgile comme une oeuvre-clef de la littérature du XXe siècle. Les deux derniers romans de Broch, sans doute moins novateurs dans la forme, illustrent une fois encore le propos primordial de l'écrivain — la dégénérescence des valeurs —, mais sur un registre nouveau : c'est l'histoire contemporaine de l'Allemagne qui est ici analysée et jugée. Avec Les Irresponsables (1950), Broch prétend montrer qu'il faut chercher l'origine profonde des désordres politiques dans la dépravation morale des individus, cachée sous le voile de leur bonne conscience : à la fin du récit, les oripeaux hitlériens flottent sur la ville. Roman posthume et inachevé, Le Tentateur (1953) — dont la première ébauche est contemporaine de la gestation de La Mort de Virgile — raconte comment un personnage assoiffé de pouvoir mystifie la population d'un petit village autrichien. Cette parabole de la montée de l'hitlérisme s'allie à un certain messianisme, un retour aux mythes naturistes. H. Broch n'a pas écrit que des romans. Longtemps méconnue, son oeuvre d'essayiste sort lentement de l'ombre. Les textes les plus significatifs ont été réunis sous le titre Création littéraire et connaissance (posthume 1955). A travers la diversité des sujets abordés se manifeste une préoccupation constante, sans cesse reformulée : penser l'esthétique en relation avec les exigences de l'éthique. C'est en vertu de ce principe que Broch, par exemple, fait le procès, dans un texte célèbre, du « kitsch ». Roman ou essai, Broch ne cesse, en définitive, de s'interroger sur la légitimité de l'écriture. C'est cette lucidité qui fait le prix de son oeuvre. ? « Diversité des styles et des langues, inquiétante pour nos vieilles conceptions romantiques qui nous font chercher, dans le ton de l'écrivain, je ne sais quoi d'unique... Broch, par la discontinuité de la forme, ne cherche pas seulement à rendre plus manifeste un monde de morceaux et de débris. Ce n'est pas non plus qu'il s'intéresse à la technique pour elle-même... mais comme il essaie désespérément de savoir où va le monde et d 'en devancer le destin, il se confie à tous les modes d'expression — narratifs, lyriques, discursifs — afin que son livre parvienne à un point plus central, que lui-même dans sa petite conscience individuelle ne discerne pas. » Maurice Blanchot. ? « La Mort de Virgile est l'une des oeuvres les plus essentielles, les plus modernes de notre temps..., de conception hardie, originale, surprenante, elle envoûte, tient irrévocablement sous son charme celui qui l'aborde. » Thomas Mann. ? « Une oeuvre cyclopéenne, inégale, discutable, mais dont le témoignage pour notre époque est à la fois un symptôme et un diagnostic. » Michel Habard.

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