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BRECHT Bertolt

BRECHT Bertolt. Poète et dramaturge allemand. Né le 10 février 1898, à Augsbourg (Bavière), mort à Berlin-Est, le 14 août 1956. Son père était un petit industriel. Sa mère, comme le rappelle l'un de ses plus célèbres poèmes, était originaire de la Forêt Noire. Il fréquenta le lycée protestant de sa ville natale. Ses études de médecine, entreprises à Munich, furent interrompues par la guerre qu'il fit en 1918 comme infirmier. De retour a Munich en 1919, il participa à la révolution démocratique issue du désastre. L'échec de ce mouvement, le désarroi de l'après-guerre expliquent la férocité, la gouaille désespérée et le cynisme (qui n'est ici qu'une forme de l'honnêteté) des premières oeuvres de Brecht : une série de poèmes qu'il récitait et chantait lui-même en s'accompagnant à la guitare et qu'il recueillit en 1927 sous le titre : Les Sermons domestiques; trois pièces de caractère post-expressionniste :Baal, Dans l'épaisseur des villes et Tambours dans la nuit. Cette dernière, drame d'un ancien combattant qui, attiré par le mouvement spartaquiste, n'a pas la force d'y prendre une part active, lui valut le prix Kleist en 1922. A Berlin, qu'il gagna peu après, il fut engagé en qualité de « dramaturge » au Deutsches Theater. Assistant de Max Reinhardt et d'Erwin Piscator, il fit l'expérience du « théâtre politique » et commença, avec des musiciens comme Kurt Weill et Hanns Eisler, une collaboration qui devait se prolonger. C'est en 1928 que fut représenté le célèbre Opéra de quat'sous, au Schiff-bauerdamm-Theater de Berlin, sous la régie d'Erich Engel et dans une mise en scène de Caspar Neher, avec la participation de Kurt Weill pour la musique des chansons. Cette pièce connut un grand succès en Allemagne et dans le monde entier. De cette période date également Homme pour homme [Mann ist Mann, 1926], une satire de l'impérialisme. En 1927, Brecht et Weill avaient présenté au festival musical de Baden-Baden un « Singspiel », Mahagonny, qui, en 1930, fut développé en trois actes sous le titre Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny. Dès 1929, Brecht s'était sensiblement rapproché du mouvement marxiste et y avait trouvé l'inspiration de ses Pièces didactiques, courtes oeuvres en un acte, explicitement éducatives, conçues différemment suivant l'âge des élèves auxquels il les destinait — élèves qu'en l'occurrence les acteurs et les spectateurs devaient être. Ces pièces, dont quelques-unes devaient fournir à Kurt Weill, a Hindemith, à Hanns Eisler, la matière d'oeuvres proprement musicales, furent jouées dans quelques écoles du « Land » à direction socialiste ou communiste. Mais c'est au sein de la compagnie théâtrale qu'il forma avec sa femme, l'actrice Hélène Weigel, en vue de la représentation de ses propres oeuvres, que Brecht put à son gré faire la synthèse de ses multiples activités d'auteur, de régisseur et d'éducateur. Cette troupe monta notamment La Mère, très libre adaptation du roman de Gorki, dont les représentations furent à plusieurs reprises interrompues par la police et bientôt réduites à une simple lecture publique de la pièce. Adversaire du régime nazi, Brecht dut prendre en 1933 le chemin de l'exil, la représentation et la diffusion de ses oeuvres ayant été interdites dans son pays — il avait, entretemps, réuni et ordonné le meilleur de sa production dans une série de volumes portant le titre général de Recherches. Cet exil le conduisit d'abord en France, où il créa Les Fusils de la Femme Carrar [1932], pièce de circonstance en un acte écrite pour les volontaires allemands de la guerre d'Espagne; au Danemark, où fut représentée une pièce antinazie, Têtes rondes et têtes pointues; puis en Finlande où fut écrit Monsieur Puntila et son valet Matti [1940], pièce inspirée des récits d'un écrivain local; de là, en Union Soviétique, où il put assister à la représentation que Tairov donna de l'Opéra de quat' sous; enfin, aux États-Unis, où il séjourna jusqu'en 1946. Quelques-unes de ses pièces y furent créées : Grande Peur et Misère du Troisième Reich, La Bonne Ame de Se-Tchouan, Galileo Galilei; cette dernière, interprétée par Charles Laughton, obtint un certain succès. A la même époque étaient représentées à Zurich Mère Courage et Monsieur Puntila. En outre, Brecht écrivit, pour une station de radio américaine, L'Interrogatoire de Lucul-lus, avec Paul Dessau devenu dans l'intervalle son collaborateur musical. Ce texte fut remanié pour la scène et représenté en 1952 à Berlin sous le titre : Le Procès de Lucullus. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, Brecht, jugé indésirable en Allemagne occidentale, acquit la nationalité autrichienne et s'établit, en 1948, à Berlin-Est. C'est là qu'il dirigea jusqu'à sa mort, avec sa femme et ses collaborateurs, Elisabeth Bergner, Ernst Busch, Erich Engel, Caspar Neher, la troupe du Berliner-Ensemble, au répertoire de laquelle figurent notamment Mère Courage, Monsieur Puntila et Le Cercle de craie caucas-sien. Au cours de ses dernières années, Brecht reçut le prix Staline, fut délégué au Congrès de la Paix et accompagna le Berliner-Ensemble lors de sa triomphale tournée à Paris. Sa production s'était enrichie sensiblement pendant ses années d'exil et compte encore des pièces médites et non représentées : La Résistible Ascension d'Arturo Ui, Le Brave Soldat Schweyk, La Mesure, Sainte Jeanne des Abattoirs. Citons également ses courtes nouvelles et ses récits : Les Histoires de Monsieur Keuner, Les Affaires de Monsieur Jules César et Histoires de calendrier. D'inspiration marxiste mais inassimilable à la pure transposition artistique d'une théorie, l'oeuvre de Brecht met en question la structure actuelle de la société où l'homme ne peut ni s'abstenir d'agir sans se renier, ni agir sans perpétuer l'injustice. Réduit à son hypothétique nature, il n'est plus rien que ce que les circonstances le font : c'est la leçon d'Homme pour homme. Dans L'Exception et la règle [1930] une action généreuse (en fait, dictée par la peur) constitue une tricherie inadmissible, une exception coupable, la règle étant que l'homme est l'ennemi de l'homme. A cette situation, Brecht ne voit d'issue individuelle que dans le compromis, la volonté de circonscrire le mal, de « limiter les dégâts » — Galileo Galilei, La Bonne Ame de Se-Tchouan — voire, dans le sort même réservé à l'opprimé, celui-ci occupant une position privilégiée en ce sens qu'elle l'astreint, par sa cruauté et sa précarité, à une lucidité constante, à une analyse impitoyable de la conduite du maître, en un mot, à l'élaboration d'une pensée — Monsieur Puntila et son son valet Matti. Par ailleurs, Brecht a exposé les principes de son art dramatique dans un court ouvrage didactique, Petit organon pour le théâtre (1948). Refusant les valeurs et les procédés « magiques » du théâtre traditionnel, il entend que spectateur et acteur demeurent à distance des personnages présentés et qu'ils ne puissent se départir d'une attitude critique devant la réalité qui leur est dévoilée — ce « Verfremdungs-effekt », effet de « distanciation », autorisant la prise de conscience dont tout spectacle, s'il n'est pas de pur divertissement, doit être l'occasion.