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BOURDALOUE Louis

BOURDALOUE Louis. Né à Bourges le 20 août 1632, mort à Paris le 13 mai 1704. « Le plus célèbre prédicateur du temps », comme disent ses contemporains, était entré à seize ans dans la Compagnie de Jésus. Il sortait d'une famille de petits commerçants, de « bourgeois marchands » ; mais son père était avocat. Après une quinzaine d'années d'études, et après avoir accumulé tout un fonds de belles-lettres et de culture antique qu'il mettra plus tard au service de sa prédication, il fut nommé professeur de rhétorique, de philosophie, de théologie morale, dans divers collèges des jésuites. Ses supérieurs découvrent son talent d'orateur et l'envoient aussitôt prêcher en Picardie, en Normandie, en Bretagne, où il obtient un tel succès qu'il est bientôt appelé à Paris. « A Seine eut-il paru, raconte un témoin, que e tout Paris et de la cour même, une foule prodigieuse accourut. » On trouve également, dans les Lettres de Mme de Sévigné, bien des échos de cette notoriété si rapide. En 1669, à trente-sept ans, Bourdaloue passe de la ville à la cour sur la demande de Louis XIV. Il prêche devant le roi l'Avent de 1670, le Carême de 1672, quatre autres Carêmes entre 1674 et 1682, quatre Avents de 1684 à 1693; en tout dix séries de Sermons à la cour, alors qu'habituellement, le même prédicateur n'y était guère rappelé plus de trois fois. Après la révocation de l'Edit de Nantes, Louis XIV envoie Bourdaloue enseigner les nouveaux convertis du Languedoc, et le jésuite se fait rapidement admirer et aimer par sa douceur et son esprit de tolérance. Toute sa vie d'ailleurs, en marge de sa prédication, il s'était dépensé pour visiter les malades, assister les agonisants, et surtout porter des secours spirituels aux prisonniers. Ayant abandonné la chaire de Versailles en 1696, Bourdaloue, pendant ses sept dernières années, se voue aux oeuvres de charité et aux hôpitaux. On peut dire cependant qu'il prêcha jusqu'à son dernier souffle. On ne cessait de le demander pour des discours de fête, des sermons de circonstance. Douze jours avant sa mort, le 1er mai 1704, il prenait encore la parole à une cérémonie de vêture de carmélite. Un prédicateur favori des grands. Et pourtant une vie banale, terne, tout intérieure, de religieux fervent à accomplir tous ses devoirs. On peut le résumer comme le fit Sainte-Beuve : « Il avait prêché. » A en croire Voltaire, aussitôt Bourdaloue apparu, Bossuet cessa de régner sur la chaire. C'est inexact; mais il reste vrai que, bien souvent, ses contemporains le mirent au-dessus de l'évêque de Meaux. L'évêque et le religieux sont d'ailleurs des hommes, sinon de tempérament, du moins de formation semblable. Bourdaloue est plus froid, mais comme Bossuet nourri d'écriture sainte, formé par un long commerce avec les auteurs de l'Antiquité, auxquels il ne demande d'ailleurs pas des parures de discours mais toujours quelque illustration morale. De Bossuet, il présente aussi le zèle apostolique audacieux, impitoyable. Il n'est certes pas homme à acheter faveur et popularité chez les grands par des complaisances à leurs vices : en pleine époque des désordres du roi, il choisit comme sujet de sermon le thème de l'impureté, « frappant comme un sourd, disant des vérités à bride abattue », selon le témoignage de Mme de Sévigné. Il a la rudesse, la liberté souveraine d'un homme conscient d'accomplir une mission divine; il n'hésite pas à entremêler son discours de mille allusions à des faits ou à des personnages contemporains, et même à bâtir des portraits que toute la cour pouvait aisément reconnaître; tantôt, à propos de la médisance, c'est le Pascal des Provinciales; ou, sur l'hypocrisie, le Tartufe de Molière; à propos de la prière, il aborde le cas délicat du mysticisme fénelonien; une autre fois, il s'en prendra à Arnauld et à ses outrances de doctrine. En lisant ses portraits, on pense aux Maximes de La Rochefoucauld, aux Caractères de La Bruyère, parfois même à certains personnages de Molière. Derrière le prédicateur, reparaît alors le professeur de rhétorique : en homme de son siècle, Bourdaloue dédaigne le cas individuel, il crée des types, il s'occupe de l'âme étemelle, de l'Homme. Mais tandis qu'à travers toute l'oeuvre de Bossuet court le frémissement des commencements tumultueux de l'époque classique, Bourdaloue paraît toute rigueur, austérité, jusqu'à l'excès même : ses sermons, bien construits certes, n'ont pas la richesse ni surtout le mouvement qui emporte chez Bossuet. Point de fleurs, point de traits saillants, point de gestes même, car ce jésuite, pour éviter toute distraction, gardait les yeux baissés tout le temps de son prêche et avançait dans son discours, rigide, comme insensible. Dédaignait-il de séduire ? Il ne voulait pas toucher, mais convaincre. Etre sensible, affectueux lui eût paru sans doute un début de complaisance — et l'on comprend que Fénelon n'ait guère prisé sa manière. Bour-daloue comptait sur la seule raison, sur les « certitudes impassibles » qui réduisent l'adversaire à la contradiction. Logicien Parfois brutal, « il s'empare sur-le-champ de esprit de l'auditeur et le frappe, comme d'un coup de massue, du bloc des sévères et irrésistibles doctrines qu'il va lui développer ». Que si, ensuite, l'émotion voulait paraître, Bourdaloue ne la rejetait point; mais, il ne faisait rien pour la flatter, il ne la tolérait, semble-t-il, que comme le résultat de l'illumination des esprits. Le style de Bourdaloue marque une fin bien plus qu'un commencement : c'est l'instant où la rigueur raisonnable atteint un point de telle tension qu'elle devient intolérable — ou, plus simplement, qu'elle commence à fatiguer, à ennuyer. Tandis que mourait Bourdaloue, Massillon l'avait déjà remplacé dans la chaire française et, au classicisme impétueux, presque féroce du jésuite, avait substitué une douceur et une onction dignes de Fénelon. ? « J'aime mieux les redites du P. Bourdaloue que les choses nouvelles d'un autre. » Louis XIV. ? « Un des premiers qui étala dans la chaire une raison toujours éloquente fut le P. Bourdaloue. » Voltaire. ? « On a dit de Bourdaloue que c'est Nicole éloquent. Je dirai aussi : c'est le Despréaux de la chaire; mais un Despréaux en prose et dont les qualités essentielles et rassises, séparées de l'accent et de l'action, n'ont conservé aucune vivacité, aucune fraîcheur... Cependant, quand on prend la peine de l'étudier, on y retrouve les plus sérieux mérites. » Sainte-Beuve. ? « Malgré les trois points de ses sermons — ces trois piquets de tente où l'orateur sacré s'abritait pour parler une heure —, Bourdaloue le sermonnaire et le théologien est un immense moraliste, en pleine humanité et en pleine âme. » Barbey d'Aurevilly.