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BERGSON (Henri)

BERGSON (Henri). Philosophe français (1859-1941), qui a profondément transformé les conceptions en vogue au début du XXe siècle : « Le bergsonisme se manifeste surtout comme une sorte de libération intellectuelle » (Bréhier). Esprit scientifique, précis, rigoureux, il a repris le problème de l’âme (Matière et mémoire, 1896), de l’évolution (Evolution créatrice, 1907), de la religion (les Deux Sources de la morale et de la religion, 1932). Style limpide. Ceux qui ont assisté à ses cours (Gilson, par exemple) ont témoigné qu’ils étaient alors en présence de la Philosophie en personne. Ses découvertes ont commencé quand il a vu que la science et la pensée de la fin du XIXe siècle traitent du temps, et que la réalité de la durée leur échappe, du fait qu’elles ramènent celle-ci à une quantité mesurable, alors qu’elle constitue la vie même de la conscience ; Bergson poursuit son travail en étudiant la mémoire dans son rapport au cerveau : il y découvre deux formes bien distinctes, l’habitude, et une « mémoire spirituelle pure », qui est la conservation intégrale de ce que nous vivons dans notre durée. Il prend ensuite les théories évolutionnistes et montre que les formes vivantes sont l’œuvre d’un « Élan vital » lui-même « fini et donné une fois pour toutes » ; cela le conduira à examiner la question fondamentale, celle de l’Origine absolue. Gardant toujours une méthode d’étude positive, considérant les faits, son dernier ouvrage (les Deux Sources de la morale et de la religion) analyse les diverses formes religieuses ; il découvre deux directions (« religion close », « religion ouverte ») ; puis il établit que les mystiques chrétiens (saint Paul, saint François d'Assise, saint Jean de la Croix, sainte Thérèse, Jeanne d’Arc, etc.) sont portés par leur lien vital, intime, surnaturel avec « le Christ des évangiles » ; de là s'explique qu'ils puissent témoigner, comme ils le font, de la perfection absolue de l’Amour divin. Son œuvre, marquée par la présence de la Joie (malgré des épreuves physiques et morales très dures), se termine sur l'appel au Héros mystique, comme modèle et maître de vie heureuse.
Philosophe français (1859-1941), né et mort à Paris. Il enseigne au Collège de France, et son influence est importante au début du xxe siècle. Adversaire du positivisme, il a critiqué la science, la tenant pour incertaine. Opposé à l'intellectualisme, il a aussi critiqué l'intelligence, laquelle, pour lui, ne peut s'appliquer qu'à la matière et à l'action. Il a, en revanche, souligné la valeur de l'intuition qui seule permet une approche directe et immédiate du. phénomène de la vie. Il a développé ses idées dans l'Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), Matière et Mémoire (1896), Le Rire (1900), L'Évolution créatrice (1907) et Les Deux Sources de la morale et de la religion (1932). Ennemi du matérialisme, il n'a cessé de proclamer que l'homme a besoin d'un « supplément d'âme » dans un monde de plus en plus livré à la mécanique.
Bergson
(Henri, 1859-1941) Il fut le plus célèbre philosophe français au début du XXe siècle. Élève de l'École Normale Supérieure en même temps que Jaurès, agrégé de philosophie en 1881, professeur en province puis à Paris, il devint, en 1900, professeur au Collège de France où il attira une foule d’admirateurs. ♦ Sa philosophie est d’abord une réponse aux interdits, d’origine kantienne et positiviste, qui régnaient au xixe siècle sur la métaphysique. Bergson croit à la possibilité d'accéder à une « réalité nouménale », mais ce retour à la connaissance métaphysique est bloqué par l'intelligence qui, faite d’abord pour les nécessités de la vie pratique, cristallise le réel en vue de l’action -comme l'avaient pressenti les sceptiques ou affirmé Nietzsche et les pragmatistes. C'est surtout la science qui, méthodiquement, analyse pour prévoir en réduisant le complexe au simple. Au service de telles opérations intellectuelles, il y a l’espace représenté et le langage. Ce dernier ne saurait nous conduire à la vérité : les mots, « étiquettes sur les choses », n’expriment que des concepts usés par la routine sociale, et il faut dépasser ce verbalisme pour reprendre contact avec la chose, en usant, pour déjouer les concepts figés, d'un langage métaphorique.
♦ On renoncera donc aux spéculations pures, jongleries conceptuelles de la métaphysique depuis Zénon d’Elée. En empruntant comme celui-ci des éléments de représentation à l’espace (argument d'Achille et la tortue), on laisse échapper la nature propre du temps en raison d’une visée utilitaire : on aboutit à un temps abstrait et régulier, fort différent de la durée vécue que nous suggère l’expérience intérieure, faite de changements qualitatifs à l’imprévisible nouveauté et constituant une unité organique qu'il serait artificiel de découper en instants séparés. Cette durée, étoffe de notre moi, donne lieu à une métaphysique du changement généralisable à l'ensemble des choses : « Si je veux me préparer un verre d’eau sucrée... je dois attendre que le sucre fonde. » Si la durée est ainsi au cœur du réel, il faut, pour la saisir, recourir à un procédé de connaissance nouveau : l’intuition, définie comme une « sympathie intellectuelle par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu’il a d'unique » - « aperception immédiate » qui, dégagée de la méthode analytique, dépassera la connaissance conceptuelle pour atteindre l'être profond des choses.
♦ Ce nouveau mode de philosopher s'applique d’abord aux données de l'expérience intime : si l'introspection classique ne révèle qu'un moi superficiel fait d’emprunts au psycho-social, les « données immédiates de la conscience » nous enseignent que celle-ci a essentiellement une dimension temporelle. Elle échappe à l’univers de la quantité, et notre moi profond est à base de durée vécue qualitative. L’intuition nous permet aussi de mieux cerner le problème de la liberté : si sa définition conceptuelle risque de la dissoudre dans le déterminisme, c'est dans le jaillissement même de l’acte en train de se faire que Bergson la saisit, quand elle émane « de notre personnalité entière ». Quant au problème de la mémoire, il est important de le résoudre pour des raisons métaphysiques : concevoir la survie de l'âme exige la présence de tout le passé, qui s'accumule en faisant boule de neige ; il faut donc expliquer, non la conservation des souvenirs, mais l'oubli, facteur de discontinuité. Celle-ci s'opère par le corps : le système nerveux sélectionne les souvenirs utiles à l'action ; il donne lieu à une mémoire biologique, qui retient seulement des habitudes, des automatismes d'ailleurs altérables. En revanche, se maintient indépendamment du corps une mémoire pure et inaltérable, capable de conserver indéfiniment les événements de l'histoire individuelle. La discontinuité que l'intelligence introduit partout se retrouve dans le schéma de la vie conçue comme fabrication - supposant intervention causale et intention. Solution inacceptable : le passé (hérédité, milieu, etc.) ne peut rendre compte de l'évolution - contrairement à ce que pensent Lamarck, Darwin ou Spencer. Bergson affirme en revanche l'existence d'un élan vital, d'abord senti en nous-même (instinct de conservation) et qui, plus généralement, est créateur de moyens permettant à la vie de durer et de revêtir les formes les plus variées. Le devenir du monde vivant donne naissance à l'intelligence selon une ligne d'évolution distincte de celle de l'instinct. Si celui-ci est infaillible et trouve son achèvement chez les insectes, l'intelligence, imparfaite par nature, mais progressive, devient finalement spéculative chez l'homme. Cet élan vital annonce l'opposition entre clos et ouvert que Bergson développera finalement dans Les Deux Sources de la morale et de la religion. Il y rejoint le point de vue d'un certain mysticisme chrétien, mais il refusera de se convertir au catholicisme, par solidarité avec la communauté juive à laquelle il appartenait. Il mourut à Paris presque dans l'anonymat, sous l'occupation allemande.
Le Rire. Essai sur la signification du comique (1899) propose une explication à la fois psychologique, sociale et métaphysique du comique, en annonçant par ailleurs la thèse centrale, sur l'incompatibilité entre vie réelle et connaissance conceptuelle, de L'Évolution créatrice. Bergson remarque d'abord que l'on ne rit qu'avec la complicité d'autrui (au moins potentiel) - et par réaction contre ce qui, dans un geste, une attitude, une situation, nous paraît brutalement figer la vie et la tirer du côté d’un automatisme incontrôlé. D'où la formule célèbre : le comique, c'est du mécanique plaqué sur du vivant. Ainsi le rire apparaît-il comme la sanction douce de la société contre ceux qui tendraient à la contester ou à lui échapper. En analysant particulièrement le comique théâtral (3e partie), Bergson privilégie une forme d'art qui se distingue des autres en ce qu'elle propose des types généraux (le misanthrope, l'avare) alors que d'habitude l'art insiste sur la singularité. La comédie a donc pour fonction d'inviter à l'auto-observation et au respect des règles communes. Le Rire, qui s'appuie ainsi sur une opposition entre le flux inventif de la vie et la sclérose répétitive, offre sans doute le moyen le plus plaisant de se familiariser avec les thèses bergsoniennes. Ses analyses ne seront d'autre part guère enrichies (tout au plus leur ajoutera-t-on par exemple qu'il peut aussi exister chez le rieur un sentiment de supériorité) - du moins jusqu'à ce que Freud démontre (Le Mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient) que l'inconscient, là aussi, a son mot à dire. ♦ L'Évolution créatrice (1907) C'est en prenant ses distances tant à l'égard du mécanisme traditionnel qu'à celui d'un finalisme à la Leibniz que Bergson entend résoudre le double problème de la présence de l’être vivant dans l'Univers et du sens de cet Univers lui-même. Pour révoquer le mécanisme, il insiste sur l'apparition, dans l'évolution des corps vivants, de fonctions semblables (la sexualité par exemple) obtenues par des moyens différents sur des lignes d’évolution divergentes. Mais le finalisme affirme également à sa façon que tout est donné d'avance : au lieu de l'être par le passé, ce l'est par l'avenir. De part et d'autre, la réalité du temps est mise entre parenthèses. S'attachant avec précision aux faits biologiques, Bergson fait apparaître dans l'Univers, non la réalisation d'un plan (initial ou final, peu importe), mais l'exercice d'une poussée qui se différencie de plus en plus : l'harmonie doit dès lors être devinée, non à la fin de l’évolution (comme le fait le finalisme) mais bien à sa source - dès que celle-ci s'éloigne, les discordances entre espèces et individus se font de plus en plus nettes, « l'élan se divise de plus en plus en se communiquant ». La vie, dans sa diversité, résulte donc de la diffusion de cet élan qui n'en finit pas de produire des êtres distincts, obnubilés par leur différence et soucieux de maintenir intacte leur particularité en privilégiant leur propre forme et leur propre situation dans le monde. Dans ce contexte, l'intelligence n'est qu'une des formes que prend l'élan vital : simplement la plus attachée aux identités, la plus avide de repères. Mais c’est parce qu’elle est cet outil abstrait et général qu'elle est devenue incapable de saisir la source même qui lui a donné naissance. Il faut donc faire un effort pour remonter en deçà de l'intelligence - à l'origine même des variantes possibles de l'esprit - afin de se remettre en contact avec l’élan commun d’où ont dérivé les tendances particulières. Alors, l’histoire de l'évolution montre la réalité de cette dérive : parallèlement à la lignée qui aboutit à l'intelligence humaine, voici celle qui obtient la perfection de l'instinct. Même si Bergson conçoit ce dernier de façon schématique (il en emprunte la description aux travaux de Fabre - ce qui est évidemment insuffisant par rapport à ceux de l'éthologie contemporaine), l’activité instinctive apparaît comme le prolongement même de la vie, alors que les constructions de l’intelligence s'éloignent inlassablement de cette dernière, en accumulant les concepts, les calculs et une conception fausse de l'espace. Pour accéder au sens de l'homme et de l'Univers, il faut dès lors resituer l’intelligence (sans toutefois renoncer à la prise de conscience dont elle est capable) dans une appréhension du monde plus ouverte à la vie (mais qui n'y reste pas étroitement adhérente comme l'instinct) : l'intuition permet de constater combien la compréhension de la vie en termes physico-chimiques ne reflète rien de mieux que notre impuissance à la résoudre intellectuellement, mais d’autre part elle saisit dans le jaillissement de l'élan vital et sa retombée dans la matière l'Absolu lui-même - non plus statique ou logique (comme on le pense dans les systèmes où il doit venir combler un néant qui n’est jamais, du point de vue de Bergson, premier en fait), mais bien dynamique, et perdurant à travers la diversité des êtres. Avec son style où abondent les métaphores et les images (parfois assez mièvres) puisque l'écriture elle-même doit se défaire de l’emprise rigoureusement conceptuelle, L'Évolution créatrice constitue l'ouvrage fondamental de Bergson, celui où s'articulent les fondements de sa pensée. On peut se laisser séduire et emporter par son lyrisme ; nombreux sont pourtant les lecteurs contemporains qui en déplorent le flou et les généralisations approximatives - comme ils le font d’ailleurs pour l'ensemble du bergsonisme.
♦ C'est dans Les Deux Sources de la morale et de la religion (1932) que Bergson énonce sa double conception, marquée elle aussi par la thèse de l'élan vital, de la morale et de la religion. De même qu'il y a d'une part la durée dans son élan créateur et d'autre part ses retombées, sous forme notamment des espèces vivantes qui obéissent chacune à une formule d'organisation déterminée, de même on doit distinguer deux morales et deux religions. D'abord la morale « close », faite d'obligations et d'interdits exprimant la pression sociale, et la religion primitive ou « statique » (leur description doit beaucoup à l’ethnologie), au service de la cohésion du groupe en développant une « fonction fabulatrice » qui neutralise l'action dissolvante de l'intelligence. Mais la générosité de la durée créatrice se retrouve au niveau de la spiritualité : c'est alors la morale « ouverte » du saint et du héros qui prêche l'amour de l'humanité ; de son côté, la religion « dynamique » a pour vocation de canaliser le mysticisme qui soulève l'humanité au-dessus de sa condition empirique ; elle constitue un puissant facteur de progrès moral et humain : son apparition discontinue (qui risque de faire craquer les cadres religieux préexistants) est toujours l'œuvre d'une individualité d'exception. Hostile au monde de la machine et du matérialisme dont il pressent la généralisation, Bergson exhorte ses contemporains à enrichir la société d'un « supplément d'âme » - seul moyen d'empêcher la vie de se figer en formes mortes. L'influence de ces thèses, d'abord assez forte dans les milieux spiritualistes (et que l'on retrouve jusque chez Popper, qui voit dans l'ouverture la caractéristique de la démocratie véritable) malgré les critiques marxistes (Nizan), n'ira pas au-delà de la Seconde Guerre mondiale.
Autres ŒUVRES : Essai sur les données immédiates de la conscience (1889) ; Matière et mémoire (1896) ; L’Energie spirituelle (1919) ; Durée et simultanéité (1922) ; La Pensée et le Mouvant (1934).
BERGSON (HENRI)
Philosophe français (1859-1941) né et mort à Paris. Il enseigna au Collège de France et son influence fut importante au début du XXe siècle. Adversaire du positivisme, il a critiqué la science, la tenant pour incertaine. Opposé à l’intellectualisme, il a aussi cri-tiqué l’intelligence, laquelle, pour lui, ne peut s’appliquer qu’à la matière et à l’action. Il a, par contre, souligné la valeur de l’intuition qui seule permet une approche directe et immédiate du phénomène de la vie. Il a développé ses idées dans l’Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), Matière et Mémoire (1896), L’Evolution créatrice (1907) et Les Deux Sources de la morale et de la religion (1832). Ennemi du matérialisme, il n’a cessé de proclamer que l’homme a besoin d’un « supplément d’âme » dans un monde de plus en plus livré à la mécanique.
Philosophe français (1859-1941).
• L’œuvre d’Henri Bergson peut être interprétée comme une réaction spiritualiste au positivisme scientiste qui domine en France à la fin du XIXe siècle. • Sa pensée s’articule autour d’une intuition originelle : celle de la durée. Être vrai du changement, la durée est ce courant indivisible et créateur qui est le flux même de la vie. Si la science échoue à l’appréhender (elle réduit toujours le temps à l’espace), notre conscience peut la saisir dans l’expérience intérieure. • La nature est également traversée par cet « élan vital » qui, dans sa rencontre avec la matière, se déploie dans trois directions divergentes : le végétal, l’animal et l’homme. L’intelligence humaine, dont la vocation première est pratique (l’homme est un homo faber, « qui fabrique » des outils), ne doit point étouffer l'intuition, qui seule peut coïncider avec l’élan de la vie. • À la « mémoire-habitude », d’essence mécanique et corporelle, Bergson oppose la « mémoire-souvenir » (ou conscience du passé comme passé}, qui est coextensive à la vie de la conscience.
Principales œuvres : Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), Matière et Mémoire (1896), L'Évolution créatrice (1907), Les Deux Sources de la morale et de la religion (1932), La Pensée et le Mouvant (1934).
 
BERGSON Henri Louis. Né à Paris le 18 octobre 1859, mort le 4 janvier 1941. Bergson fit en qualité d’externe de brillantes études au lycée Condorcet. Il eut le prix de rhétorique au concours général, mais aussi le prix de mathématiques et ses maîtres le destinaient à une carrière scientifique (il avait même résolu, encore élève, le problème des trois cercles dont Pascal pariait à Fermat). Bergson se présenta néanmoins à l’Ecole Normale, section lettres, où il entra en 1878, condisciple de Jaurès et de Blondel. Parmi ses professeurs se trouvaient Ollé-Laprune et Boutroux. Il fut reçu deuxième, derrière Jaurès, à l’agrégation et commença sa carrière de professeur au Lycée d’Angers, de 1881 à 1883, puis au Lycée de Clermont-Ferrand, où il resta jusqu’en 1888, donnant également des conférences à la Faculté des Lettres de cette ville. Il publie dans ces années des Extraits de Lucrèce (1884) pour l’enseignement secondaire. Et il prépare ses thèses qu’il soutient en 1889. La thèse principale est l'Essai sur les données immédiates de la conscience. La thèse complémentaire, latine, qui était alors d’obligation, a pour titre : Quid Aristoteles de loco senserit. Après Clermont-Ferrand, Bergson avait été nommé à Paris, à Rollin, puis au lycée Henri-IV. C’est dans ce dernier établissement qu’il donna cet enseignement brillant dont beaucoup gardèrent le souvenir. En 1897, il publie Matière et mémoire, Essai sur la relation du corps à l’esprit. Avec ces deux premiers grands ouvrages, voici complètement formée la pensée philosophique de Bergson, qui est d’ailleurs tout le contraire d’un système. Car Bergson n’acceptait pas de parler de son œuvre comme d’un tout. Et n’aimant ni réfuter, ni bâtir des théories, il s’efforçait seulement de « regarder naïvement en soi et autour de soi ». Cette pensée qui est avant tout un effort, une lutte contre les habitudes intellectuelles, venait au juste moment dans les dernières années du siècle. Car la philosophie qui avait cours alors semblait avoir renoncé à toute ambition métaphysique. D’une part, c’était le positivisme, issu des travaux d’Auguste Comte, le scientisme, fondé sur les sciences physiques, les idées de Darwin et la psychologie associationniste, et l’une et l’autre de ces deux conceptions postulaient le déterminisme et rejetaient toute explication du réel autre que celle, plus ou moins limitée, que peut nous donner la méthode mathématique. D’autre part, en opposition avec ces doctrines, mais sans vigueur ni véritable invention, on rencontrait un spiritualisme qui s’efforçait de maintenir les notions de Providence, d’âme et de libre arbitre; un courant néo-criticiste et pragmatiste qui, à la suite de Kant, envisageait l’espace et le temps comme de simples formes de la sensibilité humaine, et accusant par conséquent le scientisme d’être lui aussi une métaphysique, cherchait la vérité dans une sagesse; un idéalisme, enfin, pour lequel la conscience restait la réalité absolue. L'Importance des premiers ouvrages de Bergson a été de rendre le mouvement à cette pensée immobilisée. Il commence par une vigoureuse critique des points de vue du scientisme. Pour autant en effet qu’il admire Spencer (dont l’évolutionnisme se proposait d’expliquer le registre entier du réel, depuis les combinaisons les plus humbles de la matière jusqu’aux plus hautes sociétés humaines), il ne veut en retenir que l’esprit d’observation et le souci de la vue directe des choses, et il repousse ainsi la conception mécaniste que Spencer et les scientistes se font des opérations de la nature. D’une façon générale, il faut que l’esprit s’oriente vers l’absolu, par une intuition qui dépasse toute analyse et devient une sorte de sympathie intellectuelle permettant de se transporter à l’intérieur de l’objet pour saisir ce qu’il a d’essentiel et de permanent. On peut reconnaître dans cette intuition un souvenir de l’aperception immédiate interne de Maine de Biran. et aussi de l’expérience interne de Schopenhauer. Et l’on voit de quelle conséquence a été cette nouvelle méthode, puisqu’elle fait de la pensée une expérience de l’esprit qui va immédiatement à celui-ci comme à son objet, et libère ainsi la recherche philosophique de l’encombrement des réflexions sur l’histoire qui en étaient venues vers 1880 à tout obstruer. On a comparé Bergson à Debussy. C’est qu’il invite à écouter une « mélodie intérieure ». Le fruit de cette méthode, et la découverte que Bergson considérera toujours comme l’essentiel de son œuvre, est sa théorie de la durée. L’homme est durée purement qualitative, devenir. Il est un « élan vital » qui est d’ailleurs l’âme même de l’univers. Cette philosophie sans programme, mais vouée à la profondeur, a exercé aussitôt une influence déterminante sur de nombreux esprits. La théorie de la durée, a remarqué Jean Wahl, se trouve à l’origine de la pensée de Whitehead, de Sorel, de Péguy, de Marcel Proust. La théorie des images, dans Matière et mémoire, ouvre la voie des recherches de William James et du néo-réalisme américain. En 1898, Bergson est maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure. En 1900, il est nommé au Collège de France, où il occupe d’abord la chaire de philosophie ancienne (il étudie alors dans son cours les Ennéades, retenant de Plotin ses intuitions du temps, de la mémoire, du mouvement, de l’éternité), puis, à partir de 1904, celle de philosophie moderne, dans laquelle il succède à Gabriel Tarde. Il donne ses leçons le vendredi. Elles sont très suivies, à la fois par les étudiants et le grand public. Bergson a en effet une extrême séduction de parole; ses improvisations ont un caractère de perfection; sa mesure et sa discrétion emportent l’adhésion et gagnent les cœurs. Et ce sont là des qualités analogues à celles de son style, précis et clair, tout en étant nuancé et harmonieux, et qui porte aisément les pensées les plus hardies, et les aperçus les plus difficiles. Il faut remarquer d’ailleurs que ce style, qui n’est certes pas en philosophie une des moindres innovations de Bergson, a certainement fini par nuire au prestige de sa pensée, car cette profondeur si aisément accessible a pu passer pour banale. Mais au début du siècle Bergson est universellement illustre. A ses ouvrages publiés s’ajoute le retentissement de ses mémoires sur Vidée de cause, présenté au Congrès de Paris de 1900, sur le Parallélisme psycho-physique (Congrès de Genève, 1906), sur l'Intuition philosophique (Congrès de Bologne, 1911). L’année où il est entré en fonctions au Collège de France, Bergson a aussi publié Le Rire, essai sur la signification du comique. En 1907, if publie L’Evolution créatrice . Les deux premiers ouvrages, Données immédiates et Matière et Mémoire, avaient posé le problème de la nature de l’intelligence, et L’Evolution créatrice s’attache à le résoudre en considérant dans sa totalité le phénomène de la vie et de l’évolution. Deux traditions relativement à l’intelligence se partagent la pensée philosophique. La plus ancienne reconnaît en elle une faculté purement contemplative, dont l’acte est de saisir des essences éternelles : mais dans ce cas on comprend mal le rapport qu’elle peut avoir avec l’individu dans lequel elle est apparue. L’autre tradition relie l'intelligence à la vie. Mais encore faut-il distinguer le point de vue des sceptiques (ou de Nietzsche) qui la réduisent ainsi a un rôle pratique en opposant la vie au réel et l’acte de vivre à la connaissance théorique, et celui des néo-platoniciens, chez lesquels la vie, qui est dispersion à partir de l’unité primordiale, est aussi conversion, mouvement de retour vers l'Un. L’intelligence est alors la premier moment de ce double mouvement, lorsque faute de Pouvoir concevoir l’unité comme telle, esprit fragmente le réel. Ces deux points de vue sont réunis d’une façon originale dans L’Evolution créatrice. Au chapitre II l’intelligence y est reconnue comme une fonction pratique qui fait l’identité de l’homo faber et de l'homo sapiens. C’est alors qu’elle connaît la matière inerte dans ses formes et ses schèmes. Mais l’intelligence ne cesse pas aussi de devenir spéculative, ce qui est un mystère eu égard aux fins quotidiennes de l’homme, mais s’explique dans une conception plus profonde de la vie. Celle-ci est un élan, qui s’efforce de se séparer de la matière dans laquelle il ne cesse de se perdre, pour se saisir enfin lui-même et ainsi pour s’accomplir. L’intelligence est alors la procession qui prépare la conversion, laquelle sera la connaissance proprement mystique, et cette religion à laquelle Bergson lui-même commence à accorder toute son attention. Ces années de l’immédiat avant-guerre sont les plus actives de la carrière publique de Bergson. Il donne des articles à la Revue philosophique, à la Revue de métaphysique et de morale, au Vocabulaire philosophique que dirige et anime André Lalande; en 1912, il part en mission aux États-Unis, où son cours (à l’Université Columbia de New York) a pour sujet La Spiritualité et la Liberté. Élu en 1914 à l’Académie Française, il n’y est reçu que le 24 janvier 1918, après son second séjour (1917) aux États-Unis, où il joue alors un rôle important, car, illustre, connaissant à fond la langue anglaise, pourvu de nombreux amis, il est reçu par Wilson qu’il informe de la situation en Europe; il contribue sans doute à la décision d’entrée en guerre. Quand le conflit sera terminé, il présidera la Commission de Coopération intellectuelle de la S. D. N. Au Collège de France, il s’est fait suppléer dès 1914 par Le Roy qui le remplace définitivement en 1921. En 1919, Bergson a publié L'Energie spirituelle. Puis, s’intéressant aux théories qu’Einstein vient de formuler, il écrit son étude, Durée et simultanéité (1922). La maladie l’accable alors, et il doit se retirer de la vie publique, sans pourtant cesser le moins du monde de travailler. En 1928, le Prix Nobel lui est attribué. En 1932 paraissent Les Deux Sources de la morale et de la religion. Les Deux Sources sont le dernier ouvrage de Bergson et l’ultime étape de sa pensée. Il constate d’abord l’opposition entre l’obligation morale qu’impose la société à ses membres, et la morale « ouverte » du héros. Cette seconde morale n’est pas le développement de la première, mais une invention, un saut par lequel la vie, enlisée dans les formes stables, reprend son élan. A l’opposition de la morale close et de la morale ouverte, correspond d’ailleurs celle de la forme statique et de la forme dynamique des religions. D’un côté, c’est le dogme, le rite, le culte; de l’autre, l’invention généreuse des mystiques et des saints, tels que Thérèse d’Avila, François d’Assise ou Pascal. Tous ceux-ci ont retrouvé le contact avec cet effort créateur qui caractérise la vie, et qui est « de Dieu, si ce n’est pas Dieu lui-même ».Les Deux Sources de la morale et de la religion doivent beaucoup aux recherches de l’ethnologie et de la sociologie, et aussi à l’enseignement des événements contemporains, car la guerre avait montré tous les dangers de la régression morale qui ramenait l’individu de 1'universel au groupe. Mais l’expérience la plus profonde que contiennent les Deux Sources est celle qui rapproche alors Bergson de l’expérience mystique proprement chrétienne. Il lit les études de Delacroix sur la mystique, de Baruzi sur Jean de la Croix. Et, sans renier ses origines juives, il en vient à penser que quelque chose de divin s’est incarné dans Jésus, et il donne au christianisme une adhésion « de volonté » qui lui permettra de retrouver la foi la plus humble, celle, non pas du philosophe, mais du berger. En 1934, Bergson publie encore un recueil d’anciens articles, dont l’introduction a valeur de biographie intellectuelle : La Pensée et le Mouvant. Maintenant presque paralysé par la maladie, il mène une vie sédentaire, l’hiver à Paris, l’été en Touraine. Il s’effraie des progrès de l’hitlérisme. Il meurt le 4 janvier 1941.

BERGSON (Henri), philosophe français (Paris 1859 - 1941). Il fait des études brillantes, est reçu à l'Ecole normale supérieure à dix-neuf ans, docteur ès lettres à trente ans. Professeur au Collège de France de 1900 à 1914, il est élu à l'Académie française en 1914 et reçoit le prix Nobel en 1928. Ses réflexions sur le mysticisme religieux annonçaient une conversion au catholicisme, mais la guerre de 1939 ayant éclaté, il tint à rester solidaire de ses coreligionnaires persécutés par les Allemands. Il est emporté par une pneumonie, après avoir fait, des heures durant, la queue pour des tickets d'alimentation. Sa réflexion part d'une philosophie du moi psychologique (Essai sur les données immédiates de la conscience, 1889; Matière et Mémoire, 1896), s'approfondit dans une intuition de la vie (l'Evolution créa trice, 1907), s'épanouit enfin dans une philosophie de l'esprit (Les Deux Sources de la morale et de la religion, 1932). Sa théorie du "moi profond", sous-jacent à la personnalité "sociale", et identique à l'expérience intérieure de la durée, sa morale « ouverte » des génies créateurs sont restées célèbres. Une série d'articles, notamment sur l'"intuition philosophique", la "perception du changement", ainsi que des développements profonds et originaux sur les rapports de la métaphysique et de la science ont été rassemblés dans la Pensée et le mouvant. Bergson a aussi exprimé la réflexion philosophique certainement la plus juste sur la théorie de la relativité, confirmée par les longs entretiens qu'il a pu avoir avec Einstein (Durée et simultanéité, 1922). D'abord admiré sans réserve, puis critiqué de même, Bergson a repris aujourd'hui sa juste place comme un classique dans l'histoire de notre philosophie. On lira sur Bergson une belle étude de Thi-baudet et la Philosophie de Bergson de V. Jankelevitch.

Bergson (Henri), philosophe français (Paris 1859 - id. 1941). Brillant élève de l’École normale supérieure, il. passe l’agrégation de philosophie et devient docteur ès lettres à 30 ans. Par la suite, il est nommé professeur au Collège de France, est élu à l’Académie française (1914) et obtient le prix Nobel de littérature (1928). Psychologue de la vie intérieure, il dénonce le caractère artificiel de l'introspection purement intellectuelle, analytique, qui ne permet pas d’appréhender toute la richesse des phénomènes psychiques. Pour cela, dit-il, il est nécessaire de faire appel à l’intuition qui saisit l'objet de pensée immédiatement et dans son essence même. Aux vues associationnistes il oppose le courant de conscience, l'élan vital, l'évolution créatrice. En cherchant à atteindre le donné authentique, il annonce les tendances les plus modernes dé la phénoménologie. Parmi ses ouvrages principaux, citons : révolution créatrice (1907), la Pensée et le mouvant (1934).

♦ « M. Bergson pariait [au Collège de France] avec la ténuité audacieuse, neuve et profonde qui lui est demeurée propre, sans négligence et pourtant sans aucune affectation, composant et proposant, mais n ’étalant jamais une idée, fût-elle capitale, et fût-elle profondément révolutionnaire. » Ch. Péguy. ♦ Le bergsonisme est une de ces rares philosophies dans lesquelles la théorie de la recherche se confond avec la recherche elle-même, excluant cette espèce de dédoublement réflexif qui engendre les gnoséologies et les méthodes. » Vladimir Jankélévitch. D’emblée, ce philosophe du XXe siècle s ’introduit modestement mais sûrement dans le dialogue qui s’est institué, il y a vingt-cinq siècles, entre Zénon d’Elée et Héraclite. Par sa critique de l’idée de néant, on le dirait un continuateur de Parménide. Par sa théorie du mouvant il est un héraclitéen. Peut-être un jour verra-t-on (ce dont Heidegger se rend compte) que les prestiges d’un Platon, l’art consommé qu’eut Aristote de rédiger et d’approfondir les idées du sens commun, la sévère méditation cartésienne, l’idéalisme kantien, la dialectique hégélienne ont été autant de moyens pour écarter l’esprit du réel. Comme un Berkeley ou un Biran dans leurs meilleurs moments, Bergson très souvent nous ramène vers lui Ce serait un beau rêve, et qui n’est pas une impossibilité, que les post-bergsoniens rejoignent les anté-socratiques. » Jean Wahl. ♦ Henri Bergson a médit de l’intelligence, mais c’était pour éviter qu’elle se détournât de la vie et qu’elle réduisît en esclavage l’esprit dont elle n’est que l’outil. » Louis Lavelle. ♦ Son erreur a peut-être été de penser que les hommes valaient que l’on fût leur ami... Très haute, très pure, très supérieure figure de l’homme pensant, et peut-être l’un des derniers hommes qui auront exclusivement, profondément et supérieurement pensé... Bergson semble déjà appartenir à un âge révolu, et son nom le dernier grand nom de l’intelligence européenne. » Paul Valéry. ♦ « L’œuvre de Bergson s’élève semblable à une cathédrale, mais à une cathédrale dont le plan se serait précisé, développé, spiritualisé, au cours de sa réalisation : cathédrale inachevée, dont l’essence peut-être est de demeurer telle, mais qui, en sa perspective d’infini, traduit une aspiration religieuse, très proche des faits positifs et cependant transcendante à eux, prudente et hardie, docile aux leçons de l’expérience et y assurant son élan, par un accord fondamental de l’esprit avec le réel, où elle retrouve son principe et sa fin. » Jacques Chevalier. ♦ « Ce qui nous frappe dans la philosophie de Bergson, c’est la valeur qu’il donne à l’homme..., mais aussi la conscience aiguë qu’il a des risques de la condition humaine. » Émile Bréhier.