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BARTHES (vie et oeuvre)

Toujours distant à l'égard des doctrines et des langages institués, refusant les trois pressions de l'idéologie , de l'illusion scientifique et de l'engagement militant, Roland Barthes a entrepris une exploration des rapports sociaux et de leur expression qui a fait de lui une référence du XXe siècle.

VIE

D'abord «marxiste sartrien», puis, à l'instar de Michel Foucault, de Claude Lévi-Strauss et de Jacques Lacan, partisan résolu du structuralisme, Roland Barthes n'a cependant jamais suivi la mode, il l'a toujours précédée.
L'intellectuel atypique
Né en 1915 à Cherbourg, Roland Barthes fait des études de lettres classiques à la Sorbonne, où il fonde, en 1936, le Groupe Théâtral Antique. Tenu à l'écart de l'université par de graves atteintes de tuberculose, il vient très tard à l'écriture. En 1947, il publie quelques articles sur le langage littéraire dans Combat, mais son premier ouvrage ne paraît qu'en 1953. Il participe à la fondation de la revue Théâtre populaire et à la diffusion du théâtre de Bertolt Brecht en France.
Le penseur reconnu
Nommé directeur d'études à l'École Pratique des Hautes Études en 1962, il y dirige le séminaire de "Sociologie des Signes, Symboles et Représentations". Il participe aux travaux du groupe Tel quel. En 1978, il est élu professeur au Collège de France, où une chaire de sémiologie littéraire lui est spécialement consacrée. Longtemps écarté des centres clés d'édition et de pensée, c'est en penseur respecté et écouté qu'il meurt en 1980.

OEUVRES

L'oeuvre de Barthes dessine un des trajets
les plus originaux de la «critique» contemporaine. Roland Barthes parle de tout, de Sade, de Beethoven, de Racine, du bifteck-frites, du catch, du strip-tease et de Brecht, mais, chaque fois, il a quelque chose à nous apprendre.
Le degré zéro de l'écriture
L'oeuvre s'interroge sur la spécificité du littéraire en analysant style et écriture. Le style est l'expression de la nature de l'écrivain. L'écriture, en revanche, ressortit aux intentions et aux choix de l'auteur, et c'est la forme qui affirme la valeur de l'oeuvre. Pour Barthes, le style, qu'il oppose à l'écriture, est «une force aveugle… une langue autarcique qui ne plonge que dans la mythologie personnelle et secrète d'un auteur…».
Mythologies (1957)
Suite d'analyses sarcastiques de quelques représentations de l'idéologie petite-bourgeoise qui constitue en vérité éternelle «l'Opinion publique, l'Esprit majoritaire, le Consensus».
Eléments de sémiologie (1964)
Roland Barthes, à l'encontre d'Eric Jean-Louis Buyssens (auteur de Les Langues et le discours), étend le domaine de la sémiologie à tous les faits signifiants, y incluant ainsi des faits comme le vêtement que Buyssens laisse expressément en dehors.
Sade, Fourier, Loyola (1971)
Magistrale déconstruction/reconstruction des figures de la rhétorique sadienne au gré d'un montage de séquences de commentaire où l'auteur déchiffre les rapports inattendus entre l'érotisme, le mysticisme et l'imagination utopique.
Le plaisir du texte (1973)
Interprétation structuraliste qui souligne qu'il existe, dans la littérature, une créativité de la méthode structurale, privilégiant la saveur des mots sur le strict contenu car les équivoques et les jeux de langue relancent le désir du lecteur.
Fragments d'un discours amoureux (1977)
La passion est folie, affirment de nombreux auteurs, mais cette assimilation de la passion à la folie est-elle totalement justifiée? Il semble que la «folie» de l'amour procède, en quelque sorte, à l'inverse de la folie véritable, puisqu'elle déplore avant tout la consistance du sujet. Amoureux, je ne suis pas aliéné. «Je ne suis pas un autre: c'est ce que je constate avec effroi.»

EPOQUE

L'existentialisme marxiste
Le temps de Roland Barthes est d'abord marqué par la réflexion des disciples de Marx et par la très forte personnalité de Jean-Paul Sartre qui font de lui, selon son expression, un «marxiste sartrien» intransigeant, préoccupé d'efficacité de la théorie sur l'action. L'intellectuel doit être engagé: l'engagement de Roland Barthes sera total au service de la diffusion en France des écrits et des théories de Bertolt Brecht.
Le structuralisme linguistique
Dans les années 60, la méthode sartrienne est quelque peu supplantée par la méthode structurale mise en place par Claude Lévi-Strauss, et par une réflexion sur le langage qui reprend les analyses de Ferdinand de Saussure. Roland Barthes est à la pointe de ce renouveau de la réflexion et vase faire le champion d'un certain formalisme en défendant Alain Robbe-Grillet et le Nouveau Roman, et d'un certain hédonisme , en réhabilitant, en esthétique, la, valeur du plaisir.

APPORTS

Novateur autant dans le domaine de l'écriture que dans celui de la critique, Roland Barthes est celui qui a montré que l'on pouvait conjuguer la théorie et le plaisir, qu'il n'y avait pas entre eux une irréductible mésentente.
La critique de la signification. Roland Barthes a montré que tout peut devenir signe, que tout peut être mythe car tout objet de discours, outre sa dénotation (son sens) peut recevoir des connotations le faisant entrer dans le domaine de la signification et des valeurs. Ainsi, dans une pièce de Racine, le mot «flamme» veut dire amour, mais c'est aussi un signe permettant de reconnaître l'univers de la tragédie classique. Un bifteck-frites a des qualités spécifiques mais c'est aussi le symbole d'une certaine francité.

La construction de la sémiologie. Roland Barthes s'est proposé de construire «une science qui étudierait la vie des signes au sein de la vie sociale». La signification passant toujours par le langage, la sémiologie sera une spécification de la linguistique. Il suffit d'emprunter à la linguistique sa rigueur de méthode et ses concepts les plus opératoires, de prendre pour modèle le système langagier, pour pouvoir, dès lors, constituer et analyser en système tout champ social important.

Actualité - postérité. Chef de file de la «nouvelle critique», expérimentateur d'une lecture psychanalytique des textes classiques, Barthes fut le premier à ne plus se soucier de traditions commentatives et d'érudition livresque et à se vouloir libre lecteur. Il est aussi l'inventeur d'une nouvelle écriture tant dans la syntaxe et la ponctuation (la parenthèse, le tiret, la barre jouent un rôle prépondérant) que dans l'énonciation (la première personne, ironique et ludique, intervient sans cesse dans le discours théorique).