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BACHELARD: LA THÉORIE

«Les instruments ne sont que des théories matérialisées. » Bachelard, Le Nouvel Esprit scientifique (1938).
Pour donner leur place à la théorie et à l'expérience dans la constitution de la connaissance, il faut relever que la connaissance du monde passe aussi par la connaissance du sujet connaissant lui-même. C'est ce que dit Kant, qui vise notamment à sortir de l'antithèse entre Locke et Descartes.
Dans l'épistémologie moderne de Bachelard, les «données» de l'expérience ne sont jamais «données» spontanément, mais sont construites grâce à certains instruments (par exemple, le calcul de la trajectoire d'une comète dépend de la précision du télescope qu'on utilise).
Les instruments eux-mêmes ne sont pas «donnés»: le scientifique les construit lui-même pour tester une théorie qu'il a élaborée avant même que les «faits» qu'il décrit n'aient été rendus sensibles. D'où l'idée que l'instrument «matérialise» une théorie: pour l'inventer, il fallait que la théorie ait déjà prévu la possibilité des données qu'elle voulait tester.

BACHELARD

a) La carrière de ce grand penseur rationaliste est des plus originales. Né à Bar-sur-Aube il est à dix-huit ans employé des postes à Remiremont. C'est pour devenir ingénieur des télégraphes qu'il prépare et obtient la licence ès sciences. Mobilisé pour cinq ans en 1914 il va, au retour de la guerre, changer complètement d'orientation. Tandis qu'il enseigne la physique et la chimie au collège de Bar-sur-Aube il obtient l'agrégation de philosophie (1922) puis le doctorat (1927). A partir de 1930 il enseigne à la Faculté de Dijon et devient en 1940 professeur à la Sorbonne. b) Le rationalisme de Bachelard peut être rapproché de celui de Brunschvicg : il rejette tout à la fois l'empirisme et l'idéalisme pur. Le monde construit par la science n'est ni notre « représentation » ni notre « convention » mais « notre vérification ». Les principes de notre raison ne sont pas comme l'avait cru Kant des catégories intangibles, mais sont susceptibles d'évoluer par le dialogue continuellement poursuivi entre la raison et l'expérience. Les principes de la raison sont relatifs au moment de l'histoire où ils s'exercent. Le "Discours de la Méthode" de Descartes n'est lui-même qu'un « discours de circonstances ». Les prodigieux progrès des sciences au XXe siècle ont façonné un « nouvel esprit scientifique », ont accrédité avec les géométries non euclidiennes « une mécanique non newtonienne », une « épistémologie non cartésienne ». En ce sens on peut dire que « la science instruit la raison ». C'est la philosophie de la science contemporaine que Bachelard s'est ainsi efforcé de dégager dans des ouvrages célèbres tels que Le nouvel esprit scientifique — L'expérience de l'espace dans la physique contemporaine — L'activité rationaliste de la physique contemporaine — Le pluralisme cohérent de la chimie moderne. c) La philosophie de Bachelard tout en insistant sur l'évolution et la plasticité des principes de la raison demeure un rationalisme rigoureux. Il est vrai que la science modifie sans cesse nos principes. Mais une défaite d'un instrument intellectuel n'est pas une défaite de la raison elle-même. C'est au contraire une victoire de la raison qui manifeste sa souplesse et sa puissance d'invention. Bachelard ne dépasse donc le rationalisme des concepts que pour accréditer un « surrationalisme » plus fidèle aux exigences de la raison vivante et conquérante. d) Bachelard s'est également intéressé à l'univers de l'imagination poétique. Ses ouvrages : "Psychanalyse du Feu", "L'eau et les rêves", "L'air et les songes", sont au moins aussi célèbres que ses travaux d'épistémologie. Mais bien que Bachelard soit à ce propos favorablement commenté par des penseurs fort peu rationalistes... et même par des astrologues, tels que M. Barbault ! il ne faudrait pas voir la moindre incohérence (ni la moindre concession à l' antirationalisme) dans cette dualité d'inspiration. Tout au contraire la « psychanalyse » du feu, de l'eau, de l'air, de la terre, c'est-à-dire des « quatre éléments » de la vieille alchimie, la psychanalyse des qualités sensibles, des objets immédiats, est un travail de purification au service de l'esprit scientifique. En effet, c'est pour parvenir à la connaissance scientifique qu'il faut éliminer de la connaissance immédiate les projections psychologiques spontanées et inconscientes. je vois spontanément « la réalité, non telle qu'elle est mais tel que je suis ». Le monde de la connaissance immédiate sourit de mes joies, grimace de mes angoisses. Ainsi la première connaissance est une connaissance fausse, inconsciemment subjective (« il n'y a pas de vérités premières, il n'y a que des erreurs premières »). Cela l'homme ne s'en doute pas d'abord (« il suffit, dit Bachelard, que nous parlions d'un objet pour nous croire objectifs ») et c'est ce qui explique la longue persistance des illusions préscientifiques, des procédés magiques délirants. Par exemple, l'alchimiste Théophile vers l'an 1200 recommande de « tremper le fer dans l'urine d'un bouc ». Cette métallurgie délirante a besoin d'une « psychanalyse » c'est-à-dire d'un dépistage des valeurs psychologiques qu'elle véhicule inconsciemment : il est clair par exemple que notre alchimiste entend « tremper » le fer comme on trempe un caractère, c'est,-à-dire en le soumettant à une épreuve injurieuse ! La psychanalyse bachelardienne se propose de mettre en lumière ces projections psychologiques inconscientes pour en délivrer le savoir rationnel. Il reste vrai que les poètes cultivent, approfondissent cette subjectivité psychologique, ces projections immédiates que la science entend exorciser. Bachelard qui parle de « l'esprit poétique expansif et de l'esprit scientifique taciturne » explore les deux domaines mais il se garde bien de les confondre. Psychologue subtil de la subjectivité poétique, témoin très lucide de l'objectivité scientifique, il nous enseigne au contraire à distinguer ces valeurs antinomiques. A l'imagination «diurne» du savant qui invente des hypothèses rationnelles soumises à l'épreuve de l'expérimentation objective) il oppose l'imagination « nocturne » du poète qui enrichit le côté subjectif et affectif de la culture humaine.


a) La carrière de ce grand penseur rationaliste est des plus originales. Né à Bar-sur-Aube il est à dix-huit ans employé des postes à Remiremont. C'est pour devenir ingénieur des télégraphes qu'il prépare et obtient la licence ès sciences. Mobilisé pour cinq ans en 1914 il va, au retour de la guerre, changer complètement d'orientation. Tandis qu'il enseigne la physique et la chimie au collège de Bar-sur-Aube il obtient l'agrégation de philosophie (1922) puis le doctorat (1927). A partir de 1930 il enseigne à la Faculté de Dijon et devient en 1940 professeur à la Sorbonne. b) Le rationalisme de Bachelard peut être rapproché de celui de Brunschvicg : il rejette tout à la fois l'empirisme et l'idéalisme pur. Le monde construit par la science n'est ni notre « représentation » ni notre « convention » mais « notre vérification ». Les principes de notre raison ne sont pas comme l'avait cru Kant des catégories intangibles, mais sont susceptibles d'évoluer par le dialogue continuellement poursuivi entre la raison et l'expérience. Les principes de la raison sont relatifs au moment de l'histoire où ils s'exercent. Le Discours de la Méthode de Descartes n'est lui-même qu'un « discours de circonstances ». Les prodigieux progrès des sciences au XXe siècle ont façonné un « nouvel esprit scientifique », ont accrédité avec les géométries non euclidiennes « une mécanique non newtonienne », une « épistémologie non cartésienne ». En ce sens on peut dire que « la science instruit la raison ». C'est la philosophie de la science contemporaine que Bachelard s'est ainsi efforcé de dégager dans des ouvrages célèbres tels que Le nouvel esprit scientifique — L'expérience de l'espace dans la physique contemporaine — L'activité rationaliste de la physique contemporaine — Le pluralisme cohérent de la chimie moderne. c) La philosophie de Bachelard tout en insistant sur l'évolution et la plasticité des principes de la raison demeure un rationalisme rigoureux. Il est vrai que la science modifie sans cesse nos principes. Mais une défaite d'un instrument intellectuel n'est pas une défaite de la raison elle-même. C'est au contraire une victoire de la raison qui manifeste sa souplesse et sa puissance d'invention. Bachelard ne dépasse donc le rationalisme des concepts que pour accréditer un « surrationalisme » plus fidèle aux exigences de la raison vivante et conquérante. d) Bachelard s'est également intéressé à l'univers de l'imagination poétique. Ses ouvrages : Psychanalyse du Feu, L'eau et les rêves, L'air et les songes, sont au moins aussi célèbres que ses travaux d'épistémologie. Mais bien que Bachelard soit à ce propos favorablement commenté par des penseurs fort peu rationalistes... et même par des astrologues, tels que M. Barbault ! il ne faudrait pas voir la moindre incohérence (ni la moindre concession à l' antirationalisme) dans cette dualité d'inspiration. Tout au contraire la « psychanalyse » du feu, de l'eau, de l'air, de la terre, c'est-à-dire des « quatre éléments » de la vieille alchimie, la psychanalyse des qualités sensibles, des objets immédiats, est un travail de purification au service de l'esprit scientifique. En effet, c'est pour parvenir à la connaissance scientifique qu'il faut éliminer de la connaissance immédiate les projections psychologiques spontanées et inconscientes. je vois spontanément « la réalité, non telle qu'elle est mais tel que je suis ». Le monde de la connaissance immédiate sourit de mes joies, grimace de mes angoisses. Ainsi la première connaissance est une connaissance fausse, inconsciemment subjective (« il n'y a pas de vérités premières, il n'y a que des erreurs premières »). Cela l'homme ne s'en doute pas d'abord (« il suffit, dit Bachelard, que nous parlions d'un objet pour nous croire objectifs ») et c'est ce qui explique la longue persistance des illusions préscientifiques, des procédés magiques délirants. Par exemple, l'alchimiste Théophile vers l'an Iwo recommande de « tremper le fer dans l'urine d'un bouc ». Cette métallurgie délirante a besoin d'une « psychanalyse » c'est-à-dire d'un dépistage des valeurs psychologiques qu'elle véhicule inconsciemment : il est clair par exemple que notre alchimiste entend « tremper » le fer comme on trempe un caractère, c'est,-à-dire en le soumettant à une épreuve injurieuse ! La psychanalyse bachelardienne se propose de mettre en lumière ces projections psychologiques inconscientes pour en délivrer le savoir rationnel. Il reste vrai que les poètes cultivent, approfondissent cette subjectivité psychologique, ces projections immédiates que la science entend exorciser. Bachelard qui parle de « l'esprit poétique expansif et de l'esprit scientifique taciturne » explore les deux domaines mais il se garde bien de les confondre. Psychologue subtil de la subjectivité poétique, témoin très lucide de l'objectivité scientifique, il nous enseigne au contraire à distinguer ces valeurs antinomiques. A l'imagination «diurne» du savant qui invente des hypothèses rationnelles soumises à l'épreuve de l'expérimentation objective) il oppose l'imagination « nocturne » du poète qui enrichit le côté subjectif et affectif de la culture humaine.