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art oratoire

Dans l’usage courant, les deux termes d’art oratoire et de rhétorique sont en réalité synonymes. Dans l’exposé qui suit, on les a distingués. La rhétorique désigne l’art théorique de la parole, l’art oratoire renvoie à son application pratique. L’un et l’autre furent étudiés de manière approfondie dans le monde antique, car la maîtrise du langage parlé était la clé du succès dans les domaines de la politique et du droit. Une carrière réussie dans l’un ou l’autre des deux domaines (qui étaient cependant en général indissociables) apportait pouvoir, prestige et richesse. 1. Grèce. L ’ art oratoire attique, dans sa période. de splendeur (de 460 av. J.-C. environ jusqu’au moment où Athènes perdit sa liberté politique, à la fin du IVe s. av. J.-C.), a vu apparaître un grand nombre de personnages qui affirmaient être capables de l’enseigner: ils sont connus sous le nom de rhéteurs. Les plus anciens professeurs, Corax et Teisias, exerçaient en Sicile au milieu du Ve siècle av. J.-C., lorsque le régime des tyrans céda la place à la démocratie ; les procès qui suivirent ce changement de constitution, dit-on,; donnèrent à Corax l’idée de mettre par écrit et sous une forme systématique les lois du discours au tribunal. Selon Aristote, Empédocle joua lui aussi un certain rôle dans ce développement. Gorgias de Leontinum (en Sicile) introduisit cette nouvelle manière de parler en public à Athènes en 427 av. J.-C., adoptant en particulier un style poétique, même si les premières pièces d’Euripide montrent clairement que l’art oratoire était déjà développé dans la cité. On a repéré l’influence de Gorgias dans les discours de Thucydide et d’Isocrate. L’enseignement de la rhétorique faisait partie du fonds de commerce de bien des sophistes. Certains d’entre eux étaient spécialisés dans des aspects particuliers du domaine, par exemple la sémantique ou les figures du discours. Les sophistes et les rhéteurs mettaient l’accent sur les techniques nécessaires pour dominer un auditoire. L’enseignement de ce genre de rhétorique suscita l’hostilité de Socrate et spécialement de Platon, qui pensait que le discours persuasif devait être basé sur la connaissance de la vérité, et introduisit par là-même l’idée d’une opposition entre la rhétorique qui visait à persuader, et la philosophie qui visait à connaître la vérité. L’étude théorique de la rhétorique fut développée par Aristote (4, V), qui fut probablement le premier à diviser l’art oratoire en trois genres, judiciaire (ou argumentatif), politique (ou délibératif), et épidictiqué (l’art oratoire d’apparat), chacun d’eux avec son style particulier. Nous n’avons conservé aucun des discours des grandes figures politiques du Ve siècle, même si le discours funéraire de Périclès, tel qu’il est reproduit par Thucydide (Histoire de la guerre du Péloponnèse, II, 35-46) peut sans doute donner une idée de son style majestueux. Antiphon (v. 480-411 av. J.-C.) est l’orateur attique le plus ancien, le seul qui appartienne véritablement au Ve siècle et dont on ait conservé en partie les discours ; il fut suivi par Andocide (à l’extrême fin du Ve et au début, du ive s.), et par les grands orateurs du IVe siècle, Lysias, Isocrate. Isée, Démosthène et Es-chine. Parmi les autres orateurs at-tiques, les plus importants étaient Lycurgue, Hypéride et Dinarque. Après la fin du (Ve siècle av. J.-C., la situation politique en Grèce n’offrit plus guère d’occasions de pratiquer l’éloquence politique ; mais son importance dans l’éducation n’a pas faibli et on a continué à étudier l’art oratoire à Athènes et aussi parmi les Grecs d’Asie Mineure, à Rhodes et à Pergame, où s’est développée, une éloquence riche, exubérante et déclamatoire, que l’on appelle le style « asianiste » par contraste avec le style attique simple, clair et modelé sur celui de Lysias. Le premier terme est né, selon un grammairien, quand la langue grecque s’est répandue en Asie (à partir de la fin du ive s. av. J.-C.) et que les Asiatiques utilisaient les circonlocutions grecques faute de connaître les mots précis. Selon Quin-tilien, ce style reflétait la nature pompeuse et orgueilleuse des Asiatiques, comparés aux orateurs attiques, qui méprisaient le discours creux et redondant. 2. Rome. À Rome comme en Grèce, on a reconnu très tôt l’éloquence comme un art. Dès le ive. siècle av. J.-C., Appius Claudius Caecus le Censeur a eu une haute réputation d’orateur. Dans le tableau des grands orateurs romains que donne Cicéron dans son Brutus, les principaux noms sont ceux de Caton le Censeur, des Gracques (en particulier de Gaius, que Cicéron décrit comme sage, majestueux, solennel, mais manquant d’une touche finale de raffinement), M. Antonius (grand-père de Marc Antoine), L. Licinius Crassus (consul en 95 av. J.-C., ses discours étaient délibérément construits selon les règles de l’éloquence grecque), Jules César, C. Licinius Calvus, un représentant du pur style attique, et Hortensius, qui se faisait remarquer, en revanche, par son asianisme luxuriant. Cicéron se vit lui-même attaquer comme asianiste par les admirateurs de Calvus qui trouvaient son style trop artificiel, avçc ses périodes et ses rythmes ; il se défendit dans le Brutus et dans L'Orateur. À partir du IIe siècle av. J.-C., les orateurs romains furent le produit des écoles grecques ou des maîtres grecs qui avaient immigré à Rome. Des manuels comme la Rhétorique à Herennius étaient basés sur des modèles grecs. Mais la théorie grecque fut subordonnée à la pratique romaine : le style plein de dignité de l’éloquence romaine fut modelé par les institutions judiciaires et par-dessus tout par le Sénat, où les affaires de l’État étaient débattues devant une audience intelligente, cultivée et entraînée à la rhétorique. De cette riche éloquence, seuls survivent les discours de Cicéron. Comme à Athènes, à la fin du IVe siècle av. J.-C., à Rome, sous l'Em-pire, l’éloquence comme art vivant a décliné à partir du moment où les décisions politiques furent prises par l’empereur sans suivre les débats publics. Mais la rhétorique est restée l’élément fondamental de l’éducation, même si désormais on ne l'enseignait plus que pour les tribunaux ou les circonstances d’apparat. Elle exerça ainsi une forte influence sur toutes les formes de littérature. Des chaires de rhétorique furent créées dans toutes les grandes villes de l'Empire, et, jusqu’à la fin de la période impériale, l’éducation supérieure fut presque exclusivement rhétorique. Quintilien fut le premier professeur de rhétorique à Rome, et, comme Cicéron, il estimait que la rhétorique constituait la plus belle discipline littéraire. Au IIe siècle apr. J.-C., Dion Chrysostome et Aelius Aristide dans l’Empire oriental pouvaient attirer un nombreux public pour écouter leurs performances, d’éloquence épidictique. Parmi les orateurs ou les professeurs de rhétorique en Occident figuraient certaines des personnalités les plus éminentes de leur temps, par exemple saint Augustin, saint Ambroise et Ausone. Pour bien comprendre une grande partie de la littérature classique et de la critique littéraire antique, il faut tenir compte du rôle fondamental de la rhétorique et de l’éloquence dans la vie et la culture de l’Antiquité.

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