ALCEE
ALCEE. Poète lyrique grec. Contre les dates défendues par Beloch, qui s’appuie sur un passage très discuté d’Hérodote (V, 94-5) pour déplacer la biographie du poète jusqu’au temps des Pisistratides, la critique la plus récente affirme de nouveau la recevabilité des nombreux témoignages traditionnels qui placent sa vie dans la première moitié du VIe siècle. Il naquit à Mytilène, dans l'île de Lesbos (l’année de sa naissance reste douteuse, elle se placerait entre 630 et 620 av. J.-C.) et fut le contemporain de Sappho. Nous possédons même un témoignage émouvant des rapports qu’entretinrent les deux poètes. Alcee adressa à Sappho les vers suivants : « Pure Sappho, à la chevelure de violettes, au doux sourire, j’ai quelque chose à te dire mais la honte me retient. » Ce à quoi la poétesse de Lesbos répliqua : « Si tu avais le désir du beau et du bien, si ta langue ne méditait aucune mauvaise parole, la honte ne couvrirait pas tes joues et tu dirais franchement ta pensée. » Son origine noble et son tempérament viril et passionné le poussèrent bientôt à se mêler aux désordres politiques qui, avec la chute définitive des Penthilides (Penthilos fut mis à mort par Smerdis, cf. Arist. Pol. 13 IIIb. 29), agitèrent Mytilène jusqu’à l’avènement de Pittacos (590 av. J.-C. : Plut. Sol. 14). Le gouvernement de la ville était revendiqué par différents clans ou hétairies de nobles représentés par un chef; d’abord Melancros, puis Myrsilos (de la caste des Cléannatides) se succédèrent au pouvoir, et tous deux furent mis à mort par des factions adverses. Son trop jeune âge empêcha Alcée de prendre part à la rébellion de 612 (fr. 42 01; cf. Suidas, s. v.) contre Melancros (cf. fr. 48, 7 Diehl); par contre, ses deux frères, guidés par Pittacos, y participèrent (Diog. Laërce, I, 74). Pendant la guerre pour la conquête du Sigée déclarée, peu apres la mort de Melancros, par les Mytiléniens aux Athéniens, Alcée se trouvait aux côtés de Pittacos, et, combattant malheureux, dut abandonner son bouclier aux mains de ses ennemis, comme il le rappela lui-même dans un chant (fr. 49a. b. Diehl) dans lequel il annonçait laconiquement à son ami Méla-nippe qu’il avait la vie sauve. Ses Chants révolutionnaires nous éclairent sur les événements politiques qui suivirent immédiatement, quelquefois aussi ses Poésies de table mais, particulièrement, les chants avec les annotations anciennes reproduites dans les derniers Papyrus d’Oxyrinchus, v. Odes. Malheureusement, leur état très fragmentaire ne permet que rarement de déterminer sûrement la succession et la signification politique des événements auxquels il participa avec un ardent esprit de parti. Ajoutons a cela que la référence à un épisode déterminé n’est souvent qu’une allusion et que l’ouvrage reflète davantage les motifs sentimentaux qui inspirèrent l’action politique et qui habitèrent le poète dans les alternatives de la lutte : l’amertume, le sarcasme, la haine partisane, la joie causée par une entreprise couronnée de succès ou la douleur cuisante de l’échec ou de l’exil. Myrsilos, qui succéda, peut-être directement, à Melancros, trouva en Alcée un féroce adversaire. A l’époque où, déjà, se profilait la menace du nouveau gouvernement, appartient un groupe de chants stasiques (fr. 46 A D, 46 B D; 119, 120, 122, D) qui, par l’image d’une nef ballottée sur la mer, représentent allégoriquement (comme l’assure Héraclite, Qu. Hom. 5) le gouvernement de Mytilène. Myrsilos ayant découvert le complot dont, avec son hétairie, il avait été l’instigateur, il fut contraint de s’enfuir en exil à Lyrrha, petite ville de l’île de Lesbos (cf. la scolie du fr. 37 D). C’est à la période de ce premier exil qu’appartiennent, très probablement, deux très intéressants chants stasiques (G I et G 2, in Lobel-Page) dont le premier est un dur et amer pamphlet contre Pittacos, traître et parjure, et le second le chant de l’exilé résigné à mener une vie inactive loin de sa patrie et de ses concitoyens « qui se font du mal mutuellement ». Il est évident que Pittacos qui, d’abord, s’était joint à l’hétairie d’Alcée, trahit en passant tout à coup au parti du Cléannatide; le fr. 43, 7 D. fait très clairement allusion à une alliance Myrsilos-Pittacos dans le gouvernement. La mort du tyran, joyeusement saluée, dans le fr. D, ouvrit la voie à la dictature de Pittacos; le poète prévoyait cet événement comme un grand danger pour sa ville. On se base très arbitrairement sur le fr. 77 D, pour supposer un séjour d’Alcée en Thrace; ce fait demeure problématique ainsi qu’un second exil passé en Lydie. Les deux strophes du fr. 42 D d’où l’on déduit que les Lydiens lui offrirent une aide financière pour qu’il rentre, peut-être, à Mytilène avec des troupes mercenaires, ne contiennent aucune mention de ce second exil et permettent encore moins de supposer qu’il séjourna en Lydie. Il faudrait plutôt établir un rapport entre ce second exil, dont on sait peu de chose, et son voyage en Égypte (Strabon, I, 37, fr. 106 Bergk) qui, c’est l’opinion unanime de la critique, dut coïncider avec l’exil de Sappho en Sicile et le service militaire de son frère Antiménide en Orient (fr. 50 D). En 590, lorsque Pittacos, à l’unanimité du « demos », fut élu « aisim-nète » (dictateur) de Mytilène, Alcée était encore loin de sa patrie : le fr. 87 D en est une preuve, qui est un pamphlet contre son rival, ses concitoyens et la ville entière « inerte et malheureuse ». Mais, peu après ou, tout au moins, avant 580, année où Pittacos abandonna le pouvoir, (cf. Diog. Laërce, I. 75 et 79), la clémence de Pittacos devait enfin le libérer des tourments de l’exil : son adversaire, après s’être emparé de lui, lui rendit la liberté, disant que « le pardon vaut plus que la vengeance » (Diog. Laërce, I. 76). On ignore l’année de sa mort et les derniers événements de son existence; toutefois du fr. 86 (= B18 L.P.) : « Verse l’onguent sur la tête qui a beaucoup souffert et sur la poitrine blanche » on déduit aisément qu’il dut vivre au-delà de l’âge moyen et qu’il passa ses dernières années dans la joie sereine des banquets, oublieux des fureurs et des indignations de l’homme de parti et des nombreux malheurs et des souffrances qui inspirèrent sa Muse. . ♦ « Souvent, si vous ôtez la mesure du vers, vous retrouverez chez lui l'éloquence de la tribune. » Denys d’Halicamasse. ♦ « Quoique d'un cœur belliqueux, il aimait, au milieu même des combats, ou quand il attachait au rivage son navire battu des vents, à chanter Bacchus, et les Muses, et Vénus, et l'enfant qui toujours l'accompagne. » Horace. ♦ « Dans tous ses vers éclate une haine inexpiable pour ceux qui l'ont vaincu et chassé de sa patrie. Une de ses œuvres devait être un parfait manuel de guerre civile, et bien des Grecs devaient le savoir par cœur et le réciter d'enthousiasme. » G. Glotz. ♦ « Alcée chantait la beauté, et, selon l'usage grec, la beauté des éphèbes aussi volontiers que celle des jeunes filles. Ses peintures étaient naïvement sensuelles, mais il ne semble pas qu'elles fussent grossières... Grâce exquise et passion, c'est tout Alcée. » A. Croiset.