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ADAM DE LA HALLE, ou plutôt Adam le Bossu

ADAM DE LA HALLE, ou plutôt Adam le Bossu, l’un des meilleurs trouvères de son époque, naquit un peu avant le milieu du XIIIe siècle, à Arras, où son père, maistre Henri Le Bossu, dit de la Halle, avait un emploi auprès des échevins. Le poète mourut entre 1285 et 1289, probablement en 1288, dans le sud de l’Italie. Son nom patronymique l’avait fait surnommer « le Bossu d’Arras », aussi tint-il à préciser : « on m’apele bochu mais je ne le sui mie » (poème du Roi de Sézile). Ses contemporains ont peu parlé de lui, en dépit de la renommée dont il jouissait à bon droit, mais on peut glaner les éléments d’une biographie cohérente, sinon complète et chronologiquement certaine, dans ses œuvres, surtout dans cet étonnant Jeu de la Feuillée, où il se met en scène au milieu de sa famille et de ses amis avec une gaieté féroce qui n’épargne rien ni personne, dans son Congé écrit au moment de quitter Arras, enfin dans quelques chansons et « jeux partis ». L’amour, et le mariage avec une jolie fille, lui avaient fait interrompre tout jeune ses études de « clergie ». Il les regretta bientôt et il forma le projet de tout quitter pour aller faire l’« escolier » à Paris. On peut croire que son projet fut combattu et raillé et qu’il dut provisoirement y renoncer, comme le prévoit la méchante fée Ma-glore du Jeu de la Feuillée. Les allusions de la pièce aux mesures prises contre les clercs bigames par un pape dont la mort est récente, laissent libre de situer le Jeu aussi bien vers 1255 que vers 1262 ou encore vers 1276. Le ton est tout différent dans le Congé; le poète adresse un adieu émouvant et passionné à sa jeune femme qui autrefois l’a « osté » de clergie, et qui consent à une séparation de quelques années pour qu’il puisse « aprendre et querre engien et art — de miex valoir... ». Le temps a manifestement passé; Adam a longtemps subi les reproches de sa conscience (vv. 1-6); sa veine poétique se tarit, « li an acourchent mes eslais » — se plaint-il (v. 48). Par ailleurs, dans le Congié, que l’on date de 1272, du malheureux poète Baude Fastoul, concitoyen et ami d’Adam, atteint de la lèpre comme déjà Jean Bodel et contraint à se retrancher du monde, Adam et son père apparaissent exilés à Douai. Les allusions aux dissensions civiles qui auraient motivé l’exil sont absentes du Jeu alors qu’elles s’élèvent jusqu’à des apostrophes pleines de vigueur dans le Congé. Tout porte a croire que quelques années séparent le Congé du Jeu de la Feuillée. Celui-ci, antérieur à l’exil, aurait trait à un premier projet de retour à l’étude auquel Adam dut renoncer, alors que le Congé aurait trait à sa réalisation, peut-être à l’époque de l’exil qui aurait fort bien pu contribuer à créer les conditions favorables à la reprise de l’ancien projet. Henri Guy a mis en lumière deux chansons d’étudiants qui marqueraient la trace du séjour d’Adam à Paris. Il revint probablement à Arras, d’après deux de ses chansons où il dit la joie du « repairier en la douche contrée ». Entré au service de Robert II comte d’Artois, il le suivit en Italie en 1282, lors de l’expédition au secours de Charles d’Anjou après les Vêpres siciliennes. C’est en Italie qu’il mit en scène, pour le divertissement de la cour de son seigneur, le Jeu de Robin et de Marion, délicieusement gracieux et spirituel. Il entreprit, vraisemblablement lors de la mort de Charles d’Anjou (1285), de chanter la geste de ce prince dans le Roi de Sézile, poème épique en laisses d’alexandrins; il ne nous en est parvenu que les dix-neuf premières laisses, probablement tout ce qu’il en composa. L’entrepreneur de spectacles qui rapporta d’Italie le Jeu de Robin et de Marion le fit précéder, en le présentant aux spectateurs de l’Artois, d’une sorte de prologue, le Jeu du Pèlerin, où il déplore la mort de l’auteur, « ... amé et prisié et honnerés dou conte d’Artois... » en compagnie de qui il dit avoir visité le tombeau du poète. L’œuvre d’Adam de la Halle comprend encore dix-huit « jeux partis », controverses poétiques avec un autre trouvère, jugées en général par un arbitre, sur des points de casuistique amoureuse; trente-six chansons, seize rondeaux, sept motets, développant les thèmes habituels de la poésie courtoise, un Dit d’Amours, trois stances de la Mort. La renommée du musicien était aussi grande que celle du poète; sa musique nous a été conservée, mais si notre goût moderne peut trouver du charme à la mélodie naïve et simple qui accompagnait les chansons et les jeux partis, nous éprouvons par contre de la difficulté à apprécier les complications harmoniques des motets et des rondels. Les deux Jeux d’Adam de la Halle tiennent une place tout à fait remarquable dans le théâtre profane du moyen âge : le Jeu de la Feuillée préfigure la sottie des deux siècles suivants et même notre revue satirique, comme le Jeu de Robin et de Marion, préfigure notre opéra-comique.
♦ « Ce mélange de réalisme et de merveilleux, ces satires personnelles qui raillent des personnages vivants connus de tous, présents au spectacle, ces facéties licencieuses, cette ignorance de l’unité d’action à laquelle supplée l’unité de verve, où donc avons-nous déjà trouvé tous ces éléments réunis, tous ces contradictoires associés ? Dans l’ancienne comédie grecque... » Joseph Bédier.