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abondance

L’abondance est un caractère du style, généralement assimilé à l’une de ses qualités. En effet, avec ce concept, on touche une des ambiguïtés ataviques de la rhétorique : le jeu entre le descriptif et le prescriptif. Par rapport à l’idée d’une hiérarchie des styles, l’abondance est une des composantes du style élevé, voire sublime. Ce trait se définit par l’usage d’une grande quantité d’éléments verbaux : des mots, des phrases, des développements explicatifs, narratifs, descriptifs ou argumentatifs de toutes sortes. L’abondance se marque donc par les diverses variations de répétition, de nuancement de détails, de paraphrases, d’expolition ; elle est le signe et la matière de l’amplification, par emboîtements et dépendances de précisions, de dédoublements et de spécifications ; elle s’appuie également sur toutes les figures de l’ornement. L’abondance tient ainsi à l’élocution et à la composition, mais aussi à la disposition. On peut dire que ce style copieux favorise la dignité du discours et entretient une relation de profonde affinité avec le caractère obligatoire de son décorum. L’abondance, enfin, n’est pas sans relation avec le style asian. Conçu de la sorte, le caractère abondant s’oppose évidemment à la sécheresse. Et, par une pente aussi insensible qu’irrésistible, l’abondance connote le ou les styles supérieurs, par opposition au caractère inverse qui tend à connoter les styles moins dignes. L’abondance en vient à définir la qualité-reine de l’art oratoire (et de l’orateur). Mais on peut aussi approcher l’abondance selon une autre opposition, celle qui la différencie de la brièveté. À cet égard, le style abondant n’est ni plus ni moins digne que le style bref : ils renvoient l’un et l’autre à des esthétiques différentes, dont la valeur s’apprécie aussi différemment selon les temps, les sujets, les genres et les goûts. Dans cette optique, on peut même dire que l’abondance représente plutôt une tendance, une poussée, voire une dominante, dans la réalisation stylistique du discours ; ce serait ainsi une question de degré, qui opposerait, à la manière d’une disposition en asymptote, les deux seules déterminations majeures dans l’art verbal. Suivant cette inflexion qui, sur la base d’une hiérarchisation forte de l’analyse conceptuelle du terme d’abondance (associé aux caractères des styles soutenus), aboutit à une sorte de neutralisation de la notion (par rapport à deux traits techniques visant à définir deux types de pratiques stylistiques également respectables), on arrive à un autre éclairage. L’abondance désignerait une qualité oratoire fondamentale, qui ne s’opposerait à aucun symétrique également et diversement louable (comme la brièveté), ni à un vice de nature stylistique (comme la sécheresse), mais à un défaut beaucoup plus grave, aussi rédhibitoire qu’ontologique : l’incapacité de produire un discours. On touche là à un point important pour l’histoire de la rhétorique. Est engagée, bien sûr, la faculté liée à l’invention (mais il ne faut pas sous-estimer la part topique de celle-ci). Il s’agit surtout de la puissance que doit avoir l’orateur d’énoncer, de développer, d’illustrer et, finalement et tout simplement, de créer son oeuvre. Il y a des gens qui sont capables d’éloquence et d’autres pas. L’abondance peut ainsi être appréhendée par rapport à la discussion sur le talent, l’inné, en relation avec les questions de l’exercice. L’abondance définit donc la faculté de base indispensable. Un des signes de son opération est l’existence même du discours, la suite de sa manifestation, le seul dépliement de ses parties. Un autre, plus fort, apparaît dans l’émergence de tous les faits de véhémence qui peuvent en colorer la production. Enfin, elle se signale comme principale responsable des diverses sources de variété, qui sont consubstantielles à la réalisation du grand style. Sous cet angle, l’abondance est aussi bien à l’origine du style copieux que du style bref, soit dans leur répartition différenciée selon des genres ou des objets, soit dans leur agréable et juste tempérament au sein d’un même texte. Comme on le voit, la notion d’abondance est plus riche qu’elle ne paraît. Elle dépasse amplement le cadre étroit de la rhétorique techniciste et argumentative, pour englober très vite le domaine commun avec l’ensemble des conditionnements largement, et proprement, littéraires. En effet, avec l’abondance, on est passé des considérants formels sur le discours à l’examen des constituants essentiels du texte.

Art, éloquence, oratoire, orateur; discours; partie, invention, élocution, disposition, composition, narration; exercice; style, genre, niveau; asian; qualité, vices; sécheresse, brièveté, élevé, soutenu, sublime, grand style, variété, véhémence, décorum, dignité; ornement; figure, amplification, paraphrase, expolition, répétition ; spécification ; topos, lieu.

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