Devoir de Philosophie

Vous expliquerez, discuterez et commenterez ce jugement de Mme du Deffand : On trouve dans Montaigne tout ce qu'on a jamais pensé, et nul style n'est aussi énergique : il n'enseigne rien, parce qu'il ne décide de rien; c'est l'opposé du dogmatisme; il est vain, tous les hommes ne le sont-ils pas ? Ceux qui paraissent modestes ne sont-ils pas doublement vains ? Le « je » et le « moi » sont à chaque ligne, mais quelles sont les connaissances qu'on peut avoir si ce n'est pas le « je » et

Publié le 06/04/2011

Extrait du document

montaigne

 

Ce jugement sur Montaigne est extrait d'une lettre à Horace Walpole (27 octobre 1766). Le jeune Anglais, qui sut toucher le cœur de Mme du Deffand et lui rendre confiance dans le sentiment n'aimait pas Montaigne : les Essais le rebutaient. Au contraire, ils enchantaient Mme du Deffand, qui entreprit de convertir son correspondant au culte de Montaigne. Mme du Deffand, elle-même femme d'esprit et sceptique, a trouvé dans Montaigne un tempérament à sa mesure. Après avoir noté que les Essais constituent une véritable somme des pensées humaines et défendu le style de Montaigne contre les critiques de son correspondant, elle réfute une autre accusation contre le genre même des Le Moi. Essais. Est-il permis de parler de soi sans tomber dans la vanité ? Pascal et Malebranche sont convaincus du contraire : Le sot projet qu'il a de se peindre.

montaigne

« considérer à quartier, comme un voisin, comme un arbre C'est pareillement faillir de ne voir pas jusques où on voit oud'en dire plus qu'on n'en voit...

(Livre III, essai VIII).

Deux arguments se dégagent de cette affirmation : 1° L'objet de prédilection de Montaigne pour ses expériences psychologiques est lui-même, ce qui ne paraît guèrecontestable.

De sa retraite à sa mort, c'est-à-dire de 1570 à 1592, Montaigne n'a cessé de s'examiner, de se jugerdans les diverses circonstances de son existence, au château, en voyage, à la mairie de Bordeaux.

Aussi peut-il dire: je me présente debout et couché, le devant et le derrière, à droite et à gauche, et en tout mes naturels plis(ibid.). 2° Cette étude est conduite objectivement, sans prévention, comme s'il s'agissait d'un autre homme ou même d'unobjet inanimé.

Montaigne veut écarter et la vanité et la feinte modestie, pire que la vanité même : il cherchel'équité et connaît sa valeur.

Aussi ne convient-il pas de prendre au sérieux ses allégations d'indifférence à l'égardde son œuvre : je ne puis tenir un registre de ma vie par mes actions : fortune les met trop bas : je le tiens par mesfantaisies déclare-t-il au chapitre IX du livre III, précisément intitulé De la Vanité, et il ajoute aussitôt : Ce sont icides excréments d'un vieil esprit, dur tantôt, tantôt lâche et toujours indigeste.

Et quand serai-je à bout dereprésenter une continuelle agitation et mutation de mes pensées, en quelque matière qu'elles tombent, puisqueDiomède remplit six mille livres du seul sujet de la grammaire ! En fait, il se plaît avec lui-même et prend le plus grandsoin de son œuvre.

La comparaison entre le journal de Voyage et les Essais met en lumière la différence qu'il y aentre des notes prises au jour le jour et une confession méditée et ordonnée. Cependant la peinture du Moi n'est pas que seulement au plaisir de traiter un sujet connu et de faire œuvred'écrivain.

Montaigne a prévu le reproche de vanité et il a répondu de diverses façons, cette multiplicité de raisonsaffaiblissant d'ailleurs son argumentation plutôt qu'elle ne la renforce L'Avis au Lecteur présente les Essais comme un portrait de famille, dont l'exactitude est la seule qualité : Je veuxqu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice ; car c'est moi que je peins.Mes défauts s'y liront au vif, et ma forme naïve autant que la révérence publique me l'a permis.

Mais ce dessinprécis et sincère offre une utilité, qui déborde le cercle de famille : c'est une leçon pour les autres hommes, quipeuvent y trouver sujet à réflexion et à correction : Publiant et accusant mes imperfections, quelqu'un apprendra deles craindre, déclare-t-il à la fin de son livre, soulignant ainsi la portée morale de l'analyse du Moi Enfin, Montaigne développe l'argument que reprendront tous les auteurs de Confessions et tous les poètes lyriques :Chaque homme porte en soi la forme entière de l'humaine condition.

Tout document sur l'âme humaine vaut pourtous les hommes; à travers les différences introduites par le tempérament, le lieu et le temps, l'homme éternelapparaît, toujours divers et toujours semblable • La première édition des Essais (livres I et II) montre une forte influence stoïcienne.

Le Manuel d'Epictète, lesPensées de Marc-Aurèle les Lettres à Lucilius de Sénèque et les Paradoxes des Stoïciens de Cicéron sans compterles adaptations et les commentaires des Humanistes, inspirent à Montaigne la foi dans la raison et la volontéhumaine, le mépris de la mort le culte des héros, dont Caton est le modèle. Puis Montaigne évolue.

En 1576, il fait frapper à son effigie une médaille représentant une balance, dont les plateauxen équilibre symbolisent l'impuissance du jugement humain.

L'âge, l'expérience, la maladie, une culture plus étenduele font renoncer au stoïcisme et devenir sceptique.

Tout est hasard caprice, ou tout au plus, coutume.

CorneilleAgrippa refuse toute certitude aux théories scientifiques, Sanchez soutient qu'on ne sait rien, Sextus Empiricusjustifie ce doute par es défaillances des sens Toute connaissance s'achemine en nous par les sens.

Montaigne, luiaussi, attaque allègrement les sciences humaines : philosophes, savants, législateurs et médecins ne sont que despi peurs, la science un ramas d'idioties.

Trois Essais renferment l'essentiel de cette philosophie, d'ailleurs répanduedans l'ensemble de l'œuvre : De la Coutume (I, xxii), Des Cannibales (I, xxx), l'Apologie de Raymond Sebonde (II, xii).Ce sont eux qui serviront d'arsenal aux Libertins du XVIIe siècle et aux sceptiques de tous les temps? Montaigne ne s attarde pas à un scepticisme négatif. Suivant à la lettre le sens étymologique de cette doctrine, il examine plutôt qu'il ne nie.

Sans précipitation ni prévention, il regarde les autres hommes comme lui-même.

Commeil est nourri des Anciens, il ne juge pas ses contemporains avec l'étroitesse d'un partisan; mais du haut de l'Histoireet de la Sagesse universelle.

Son attitude politique, ses jugements sur les hommes et les événements sont d'uneobjectivité étonnante pour ce siècle passionné.

Au cours de son voyage en Italie et pendant ses deux mandats demaire de Bordeaux, il ne cesse de s'instruire sur les institutions et sur les hommes.

Le fruit de cette expérience estexposé surtout dans le troisième livre des Essais. Mme du Deffand a fort bien vu que l'originalité de Montaigne consistait à effleurer les principaux courants de laphilosophie, sans se laisser entraîner par aucun d'eux.

Comme Socrate, Montaigne est non pas un maître tyrannique,mais un éveilleur d'âme.

Aussi sa descendance spirituelle est-elle aussi diverse que nombreuse, et sans cesserenouvelée : aucune génération ne reste indifférente devant l'expérience humaine des Essais.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles