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Voltaire - De l'horrible danger de la lecture - Lecture méthodique

Publié le 25/04/2014

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voltaire

Voltaire - De l'horrible danger de la lecture

 

De l'horrible danger de la lecture 

Nous Joussouf-Chéribi, par la grâce de Dieu mouphti du Saint-Empire 

ottoman, lumière des lumières, élu entre les élus, à tous les fidèles qui ces 

présentes verront, sottise et bénédiction. 

Comme ainsi soit que Saïd-Effendi, ci-devant ambassadeur de la Sublime-Porte 

vers un petit État nommé Frankrom, situé entre l’Espagne et l’Italie, a rapporté 

parmi nous le pernicieux usage de l’imprimerie, ayant consulté sur cette 

nouveauté nos vénérables frères les cadis et imans de la ville impériale de 

Stamboul, et surtout les fakirs connus par leur zèle contre l’esprit, il a semblé 

bon à Mahomet et à nous de condamner, proscrire, anathématiser ladite 

infernale invention de l’imprimerie, pour les causes ci-dessous énoncées. 

1° Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper 

l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés. 

2° Il est à craindre que, parmi les livres apportés d’Occident, il ne s’en trouve 

quelques-uns sur l’agriculture et sur les moyens de perfectionner les arts 

mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce qu’à Dieu ne plaise, 

réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers, exciter leur 

industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation 

d’âme, quelque amour du bien public, sentiments absolument opposés à la 

saine doctrine. 

3° Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d’histoire dégagés du 

merveilleux qui entretient la nation dans une heureuse stupidité. On aurait 

dans ces livres l’imprudence de rendre justice aux bonnes et aux mauvaises 

actions, et de recommander l’équité et l’amour de la patrie, ce qui est 

visiblement contraire aux droits de notre place. 

4° Il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous 

le prétexte spécieux, mais punissable, d’éclairer les hommes et de les rendre 

meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple 

ne doit jamais avoir de connaissance. 

5° Ils pourraient, en augmentant le respect qu’ils ont pour Dieu, et en 

imprimant scandaleusement qu’il remplit tout de sa présence, diminuer le 

nombre des pèlerins de la Mecque, au grand détriment du salut des âmes. 

6° Il arriverait sans doute qu’à force de lire les auteurs occidentaux qui ont 

traité des maladies contagieuses, et de la manière de les prévenir, nous serions 

assez malheureux pour nous garantir de la peste, ce qui serait un attentat 

énorme contre les ordres de la Providence. 

A ces causes et autres, pour l’édification des fidèles et pour le bien de leurs 

âmes, nous leur défendons de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. Et, de peur que la tentation diabolique ne leur prenne de s’instruire, 

nous défendons aux pères et aux mères d’enseigner à lire à leurs enfants. Et, 

pour prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons 

expressément de penser, sous les mêmes peines; enjoignons à tous les vrais 

croyants de dénoncer à notre officialité quiconque aurait prononcé quatre 

phrases liées ensemble, desquelles on pourrait inférer un sens clair et net. 

Ordonnons que dans toutes les conversations on ait à se servir de termes qui 

ne signifient rien, selon l’ancien usage de la Sublime-Porte. 

Et pour empêcher qu’il n’entre quelque pensée en contrebande dans la sacrée 

ville impériale, commettons spécialement le premier médecin de Sa Hautesse, 

né dans un marais de l’Occident septentrional; lequel médecin, ayant déjà tué 

quatre personnes augustes de la famille ottomane, est intéressé plus que 

personne à prévenir toute introduction de connaissances dans le pays; lui 

donnons pouvoir, par ces présentes, de faire saisir toute idée qui se 

présenterait par écrit ou de bouche aux portes de la ville, et nous amener ladite 

idée pieds et poings liés, pour lui être infligé par nous tel châtiment qu’il nous 

plaira. 

 

Donné dans notre palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, l’an 1143 

de l’hégire. 

Lecture méthodique 

PRÉSENTATION DU TEXTE 

Le pamphlet est un genre dans lequel Voltaire trouva l'occasion, à  maintes reprises, de manifester son esprit caustique, une ironie mordante et  une rare énergie polémique. Dans celui qui porte comme titre « De l'horrible  danger de la lecture «, il reprend un grand nombre de thèmes sur lesquels il  s'est déjà battu : la dénonciation de la superstition et des préjugés,  l'intolérance, la censure, le refus de la liberté de pensée, l'arbitraire de  certaines décisions autoritaires, le refus du progrès et de l'ouverture d'esprit. 

Ce pamphlet constitue à ce titre une synthèse des luttes de la philosophie des  Lumières, sous une forme brillante et efficace.  Parodiant les textes qui explicitent et justifient les décisions  d'interdiction (les mandements épiscopaux), Voltaire compose, en se plaçant  dans un contexte oriental, un édit d'interdiction de l'imprimerie et de la lecture  et le suppose pris en Turquie à la suite de l'introduction dans ce pays de  l'imprimerie, invention rapportée de France. L' argumentation, constamment  construite sur le procédé de l'antiphrase, met en évidence, sous le couvert des  nombreuses accusations adressées à l'imprimerie, les bienfaits d'une invention  qui est pour lui source de réflexion et de progrès. Le texte se trouve ainsi  développer une double prise de position : il est une violente dénonciation des  régimes autoritaires et de la manière dont ils durent en maintenant l'ignorance  et la superstition. Il est en même temps un véritable plaidoyer pour la diffusion  des œuvres de l'esprit et pour la lecture.  L'étude méthodique du texte pourra montrer les étapes successives de la  fausse argumentation, analyser l'efficacité de la fiction orientale et mettre en  relief, à travers l'antiphrase, l'expression des bienfaits de la lecture et de la  connaissance.

voltaire

« éternelle.

Et, de peur que la tentation diabolique ne leur prenne de s’instruire, nous défendons aux pères et aux mères d’enseigner à lire à leurs enfants.

Et, pour préve nir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons expressément de penser, sous les mêmes peines; enjoignons à tous les vrais croyants de dénoncer à notre officialité quiconque aurait prononcé quatre phrases liées ensemble, desquelles on pourr ait inférer un sens clair et net.

Ordonnons que dans toutes les conversations on ait à se servir de termes qui ne signifient rien, selon l’ancien usage de la Sublime -Porte. Et pour empêcher qu’il n’entre quelque pensée en contrebande dans la sacrée ville i mpériale, commettons spécialement le premier médecin de Sa Hautesse, né dans un marais de l’Occident septentrional; lequel médecin, ayant déjà tué quatre personnes augustes de la famille ottomane, est intéressé plus que personne à prévenir toute introducti on de connaissances dans le pays; lui donnons pouvoir, par ces présentes, de faire saisir toute idée qui se présenterait par écrit ou de bouche aux portes de la ville, et nous amener ladite idée pieds et poings liés, pour lui être infligé par nous tel chât iment qu’il nous plaira. Donné dans notre palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, l’an 1143 de l’hégire.. »

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