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Vladimir Poutine à la reconquête des terres de l'URSS

Publié le 17/01/2022

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4 décembre 2000 QUATORZE MOIS après avoir reçu des mains de son prédécesseur Boris Eltsine - selon l'expression - « la toge de Vladimir Monomaque » (grand prince de la Russie du XXIIe siècle), voici Vladimir Poutine parti à la reconquête de l'hégémonie de Moscou sur son « proche-étranger ». Le président russe a multiplié les tournées vers l'Asie centrale, région riche en gaz et en pétrole. Plus récemment, il a séjourné en Azerbaïdjan sur les bords de la mer Caspienne, où aucun dirigeant russe ne s'était rendu depuis la désintégration de l'URSS en 1991. « Vladimir Poutine veut restaurer la grandeur passée de la Russie en tendant aux frontières de l'URSS », expliquait récemment Vitali Tretiakov, rédacteur en chef du quotidien Nezavissimaïa Gazeta et ardent partisan du nouveau maître du Kremlin. Après la remise au goût du jour de l'hymne stalinien, la revalorisation en cours de l'ancien KGB et la militarisation graduelle de la société, l'ancien colonel des « organes », propulsé président, s'apprêterait-il à restaurer l'URSS ? L'idée, à première vue saugrenue, est caressée par quelques nostalgiques. Dernièrement, Evgueni Djougachvili, petit-fils de Staline et chef de file des « communistes réformateurs » géorgiens, a lancé un appel en ce sens. Elle est en voie de réalisation en Biélorussie au nord, où le soviétophile Alexandre Loukachenko travaille à la fusion de son pays, économiquement exsangue, avec la Fédération de Russie - les deux pays ont désormais une émission monétaire commune. Enfin la perspective d'une « union ravivée » est chère aux « communo-nationalistes » de la Douma russe. A la fin du mois de décembre, des députés ont concocté un projet de loi prévoyant, pour leur pays, la possibilité d '« intégrer un Etat étranger ou partie de celui-ci (...) même en l'absence de frontières communes ». Le projet n'est pas nouveau. Dès 1997, dans un ouvrage intitulé Fondements de géopolitique, l'ultra-nationaliste Alexandre Douguine appelait à la renaissance de l'Union soviétique « ou de l'empire russe ou de la troisième Rome ». Selon M. Douguine, qui a aujourd'hui l'oreille du Kremlin et publie régulièrement ses points de vue sur le site Internet quasi officiel strana.ru : « Le nouvel empire eurasien sera bâti sur le principe fondamental du rejet de l'ennemi commun : la doctrine atlantiste, le contrôle stratégique des Etats - Unis et le refus de nous laisser dominer par les valeurs libérales. » La Russie a-t-elle aujourd'hui les moyens de ranimer l'URSS ? Sans aller jusque-là, l'intérêt de Moscou pour sa périphérie va croissant depuis l'avènement de Vladimir Poutine. Le bassin caspien, riche en réserves pétrolières et gazières, est mentionné dans la nouvelle doctrine de politique étrangère russe. « Il faut bien comprendre que l'intérêt de nos partenaires [les Républiques ex-soviétiques] pour d'autres pays, la Turquie, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, n'est pas dû au hasard, a expliqué Vladimir Poutine lors d'une réunion du Conseil de sécurité consacré à la Caspienne au printemps 2000. C'est parce que nous sommes inactifs. Rien ne viendra du ciel. En situation de rivalité, nous devons être compétitifs. » C'est dans ce contexte que s'inscrit la visite de M. Poutine en Azerbaïdjan, la seule des trois Républiques de Transcaucasie qui n'a plus de bases militaires russes sur son sol. Des accords de partage de production de pétrole ont alors été signés avec la société russe Loukoil tandis qu'une amorce d'accord sur le statut de la mer Caspienne a été trouvée. Pour réchauffer l'atmosphère, Vladimir Poutine a même rappelé à son homologue azerbaïdjanais Gueïdar Aliev leur parcours commun. Ne sont-ils pas diplômés de la même école, celle de la « sécurité d'Etat » de Pétersbourg qu'ils ont fréquentée tous deux à des époques différentes ? UNE MESURE DISCIPLINAIRE Le ton est bien différent avec la Géorgie voisine, soumise aux pressions incessantes de son « grand voisin du Nord ». Certes, le président Chevardnadze n'a pas été à l'école du KGB de Pétersbourg. A l'inverse de M. Aliev, son passé de ministre des affaires étrangères de la perestroïka le dessert, la période est honnie dans la Russie de Poutine. Il a aussi clamé à maintes reprises son intention de faire adhérer son pays à l'OTAN. La seconde guerre russo-tchétchène a définitivement achevé d'envenimer les relations avec la Russie. Non contente d'avoir vu sa frontière nord - qui jouxte la Tchétchénie - bombardée et minée par l'aviation russe, la Géorgie fait face aux demandes de plus en plus pressantes de Moscou d'y imposer ses troupes. Dans le même temps, la Géorgie tente d'obtenir l'évacuation des quatre bases militaires russes déployées chez elle depuis l'époque soviétique et n'y parvient pas malgré l'accord obtenu à l'arraché, en marge du sommet de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en novembre 1999. Les relations avec Moscou se sont encore assombries, le 5 décembre, lorsqu'un système de visas, compliquant les allées et venues des deux millions de Géorgiens qui améliorent leur ordinaire en travaillant en Russie, a été instauré. Comme par hasard, les ressortissants des territoires « séparatistes » comme l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud - qui dépendent administrativement de la Géorgie mais demandent leur rattachement à la Russie - en sont exemptés. « Il s'agit d'une mesure disciplinaire pour que Chevardnadze comprenne de qui il dépend. Si le soleil « se lève au nord pour la Géorgie » comme il l'avait dit à l'époque soviétique, nous supprimerons les visas », a déclaré, début décembre, Anatoli Chtchekonine, président du comité de la Douma pour la Communauté des Etats indépendants (CEI). Pour finir et alors que Tbilissi est au bord de la crise sociale, Moscou, qui la fournit en gaz, a coupé le robinet à plusieurs reprises, suscitant l'ire croissante de la population locale envers ses dirigeants. « Le sous - entendu est le suivant : le gaz russe contre notre indépendance », explique l'historien David Losaberidze. Dépourvue de ressources énergétiques, la petite Géorgie est au coeur du projet de construction de l'oléoduc Bakou- Ceyhan qui devrait transporter le brut de la Caspienne vers la Méditerranée puis vers les marchés mondiaux, désenclavant les ex-Républiques soviétiques. Ce projet, favorisé par l'administration américaine pour des raisons politiques - il laisse de côté la Russie et l'Iran -, est jugé non rentable par la plupart des majors du pétrole, qui déplorent son coût élevé (plus de 2,4 milliards de dollars) et sa réalisation difficile. Les craintes se sont renforcées depuis l'annonce de la nomination prochaine du sénateur américain Spencer Abraham à la tête du département américain de l'énergie. Celui-ci aurait par le passé qualifié de « rêve » le projet d'oléoduc Bakou-Ceyhan, dit-on avec inquiétude à Tbilissi. Si le renouveau de l'URSS n'est pas pour demain, les vieilles méthodes soviétiques n'ont jamais été aussi vivaces, que ce soit la « carotte » du gaz et du pétrole, le « gourdin » des troupes russes stationnées à la périphérie ou les manoeuvres en sous-main des « organes ». Le sociologue géorgien Gaga Nicharadze explique : « Si nous ne voulons pas particulièrement nous rapprocher de Moscou, ce n'est pas parce que les Russes sont méchants, mais parce que leur culture politique est primitive. N'ayant guère varié depuis Ivan le Terrible, elle est centrée sur l'idée qu'il faut contrôler des territoires de plus en plus vastes, peu importe que l'on puisse ou non les gérer. »

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