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venu à escorter les Juifs américains dans les shtetls de leurs ancêtres, et il nous avait répondu, avec un peu de circonspection, Je ne dis pas ce que je fais à la plupart des gens, je ne crois pas qu'ils comprendraient.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

venu à escorter les Juifs américains dans les shtetls de leurs ancêtres, et il nous avait répondu, avec un peu de circonspection, Je ne dis pas ce que je fais à la plupart des gens, je ne crois pas qu'ils comprendraient. Maintenant, Alex était vraiment ravi de voir Nina dérouler le tapis rouge pour nous. Tandis qu'elle papillonnait et s'activait, mes frères, ma soeur et moi échangions des regards obliques, et il est clair que nous pensions tous à la même chose : certains Ukrainiens ne sont pas si mauvais que ça. Pendant ce temps, le mari de Nina, un homme affable, mince, en maillot de bain et tongs, tapait quelques morceaux sur le piano déglingué dans le placard qui, nous a-t-on dit, était son bureau. « Feelings » a été rapidement suivi - probablement en notre honneur, et certainement pour nous montrer sa bonne volonté multiculturelle - de « Hava Nagilah ». Nous nous sommes de nouveau regardés les uns les autres. Puis, il a joué « Yesterday ».   C'est seulement après avoir bu le champagne soviétique, avalé notre Nescafé et mangé le saucisson local - qui était très bon et semblait plutôt approprié, compte tenu du fait que nous venions, après tout, d'une longue lignée de bouchers et de grossistes en viande de Bolechow - que nous avons vu apparaître Maria, souriant timidement, sur le seuil de l'appartement de Nina. De nouveau, nous avons fait l'objet de longues présentations : qui nous étions et ce que nous cherchions. Maria était une belle femme de plus de soixante-dix ans, avec des cheveux blancs ondulés, un visage large avec de hautes pommettes saillantes - la physionomie courante dans la région, comme j'allais m'en apercevoir. Elle a paru pensive quand nous avons mentionné le nom de Jäger et a hoché la tête. J'ai espéré enfin que c'était ça - l'expulsion hors des généralités pour entrer dans quelque chose de spécifique, quelque chose qui aurait la dureté du fait connaissable, quelque chose qui pourrait être le début d'une histoire. Oui, oui, nous a dit Alex en traduisant, elle connaît le nom. Elle le connaît. Je me suis senti, à ce moment-là, tout près d'eux. Cette femme avait dû être adolescente pendant la guerre ; elle pouvait bien, en effet, les avoir connus. J'ai échangé de nouveau des regards avec mes frères et ma soeur. Puis, Alex a dit, Mais elle ne les a pas vraiment connus. Espérant encore quelque chose - et sentant soudain toute l'absurdité de cette expédition, à quel point le temps, l'espace et l'histoire jouaient puissamment contre nous, à quel point il était improbable qu'il restât encore la moindre trace d'eux - j'ai sorti la liasse de photos que j'avais apportées avec moi et je les lui ai montrées. Des photos de Shmiel à la trentaine et à la quarantaine, avec un manteau au col de fourrure, prises dans le studio de photo de Stryj qui appartenait au frère de sa femme ; des photos de trois des filles (lesquelles ? Impossible de le savoir) enfants, dans des robes de dentelles ; un portrait en studio d'une des filles, adolescente, avec un grand sourire et, je n'ai pas pu m'empêcher de le remarquer, les cheveux frisés des Mittelmark que j'avais moi-même, adolescent. Maria les a regardées, faisant défiler lentement les vieux clichés. Et puis, elle a secoué la tête avec un petit sourire gêné, le sourire qu'on peut faire en fronçant les lèvres, comme ma mère avait l'habitude de le faire. Elle a dit quelque chose à Alex. Elle ne se souvient pas d'eux, nous a dit Alex. Elle dit qu'elle était jeune pendant la guerre, à peine une enfant. Elle ne les a pas connus en personne. C'est vraiment dommage, parce que son mari était beaucoup plus âgé qu'elle, il aurait su, mais il est mort, il y a trois ans. Pendant que je baissais les yeux vers le sol, Alex a échangé quelques mots de plus avec Maria. Ah, a-t-il dit. Il nous a annoncé que Maria venait de dire que la soeur de son mari, Olga, était toujours en vie ; elle vivait en bas de la route. Peut-être que cette Olga serait en mesure de nous dire quelque chose. Nous nous sommes levés tous ensemble, Nina prenant avec autorité la tête de la procession - elle nous avait clairement adoptés, nous et notre quête - et nous avons descendu la route en direction de chez Olga. La route que nous avions empruntée pour aller de l'appartement de Nina à la maison d'Olga, nous l'avons découvert par la suite, était la route qui conduit du centre de la ville au cimetière, en passant par la vieille scierie. Maintenant que nous marchions sur cette route et avant que Maria ne nous quitte, nous lui avons demandé comment les Juifs et les Ukrainiens s'entendaient avant la guerre. Nous avions, bien entendu, fait nos recherches et nous savions donc déjà tout concernant les siècles de compétition économique et sociale entre Juifs et Ukrainiens : les Juifs, sans nation, politiquement vulnérables, dépendants des aristocrates polonais qui étaient les propriétaires de ces villes et pour qui les Juifs, afin d'assurer leur sécurité, travaillaient comme intendants, tout en leur prêtant de leur argent ; les Ukrainiens qui, pour la plupart, travaillaient la terre, qui se situaient au niveau le plus bas du totem économique, un peuple dont l'histoire, ironiquement, était à bien des égards comme une image dans un miroir, ou peut-être comme un négatif photographique, de celle des Juifs : un peuple sans Etat-nation, vulnérable, oppressé par des maîtres cruels du même acabit -comtes polonais ou commissaires soviétiques. C'était en raison de cet étrange effet de miroir que, précisément, les choses avaient évolué, vers le milieu du XXesiècle, selon la terrible logique d'une tragédie grecque, de la manière suivante : ce qui était bon pour un de ces deux groupes, qui vivaient côte à côte dans ces villes minuscules depuis des siècles, était mauvais pour l'autre. Lorsque les Allemands, en 1939, avaient cédé la partie orientale de la Pologne (qu'ils venaient de conquérir) à l'Union soviétique au titre du pacte germano-soviétique, les Juifs de la région s'étaient réjouis, sachant qu'ils venaient d'être délivrés des Allemands ; mais les Ukrainiens, peuple farouchement nationaliste et fier, avaient souffert sous les Soviétiques, qui étaient alors décidés à écraser l'indépendance ukrainienne et les Ukrainiens. Parlez aux Ukrainiens du XXesiècle, comme nous l'avons souvent fait au cours de ce voyage, et ils évoqueront leur holocauste à eux, la mort, dans les années 1930, de cinq à sept millions de paysans ukrainiens, affamés par la collectivisation forcée de Staline... La bonne chance miraculeuse des Juifs de Pologne orientale, en 1939, a donc été un désastre pour les Ukrainiens de la même Pologne orientale. A l'inverse, lorsque Hitler a trahi, deux ans plus tard, le pacte germano-soviétique et envahi la partie de la Pologne qu'il avait donnée à Staline, cela a constitué, évidemment, un désastre pour les Juifs, mais une bénédiction pour les Ukrainiens, lesquels se sont réjouis de l'arrivée des nazis qui les libéraient de leurs oppresseurs soviétiques. Il est remarquable de penser que les deux groupes qui ont vécu dans une telle proximité pendant tant d'années aient pu être à ce point différents, souffrir et exulter de revers de fortune à ce point différents et même opposés. C'était en connaissance de cause que nous avions demandé à Alex d'interroger Maria sur la façon dont s'étaient traités autrefois les Juifs et les Ukrainiens. Tout le monde s'entendait bien, pour la plupart, a-t-il répondu après avoir parlé pendant un moment avec Maria. Elle dit que les enfants jouaient souvent ensemble sur la place, les Ukrainiens et les Juifs ensemble. C'est parce que je savais fort bien où pouvait mener le fait de jouer ensemble - comment sous le bien se connaître, la connaissance mutuelle, peut se cacher un se connaître trop bien - que j'ai posé ce qui me paraissait être la question logique suivante. Y avait-il eu des Ukrainiens qui s'étaient réjouis de voir les Juifs déportés ? ai-je demandé. Ils ont parlé encore un moment. Oui, a dit Alex après un silence. Il y en a eu, bien sûr. Mais il y en a eu aussi qui ont essayé de les aider, et qui ont été tués à cause de ça. Elle répète que c'était une petite ville. Tout le monde se connaissait. Les Juifs, les Polonais et les Ukrainiens, cela faisait beaucoup de monde dans un petit endroit. Maria a souri de son sourire béat, translucide, plein d'espoir, et elle a murmuré quelque chose à l'oreille d'Alex. Il s'est tourné vers nous et a dit, Elle dit que c'était comme une grande famille. Tous les commentateurs essaient de lutter avec le bizarre problème de savoir ce que Caïn a bien pu dire à Abel pour le faire venir dans le champ avec lui, le champ où Caïn avait prévu de tuer son frère. La traduction scrupuleuse du verset 8 de l'hébreu, vayomer Qayin elHevel ahchiyv vay'hiv..., ne donne qu'une chose apparemment absurde : « Et Caïn a dit à son frère Abel. Et quand ils ont été dans le champ... » Ce qui veut dire que le texte en hébreu nous dit simplement que Caïn a dit quelque chose à Abel, et que dans le champ Caïn s'est insurgé contre Abel et l'a tué ; mais on ne nous dit jamais ce qu'un frère a dit à l'autre. Le texte en hébreu qui fait autorité reste silencieux ; c'est seulement dans les Septante,  une traduction grecque d'Alexandrie de la Bible hébraïque faite au IIIe siècle avant J.-C, et dans la Vulgate, la traduction latine de la Bible hébraïque et araméenne faite par Jérôme (saint Jérôme, par la suite), entre 382 et 405 après J.-C, que le texte est tordu pour lui donner un sens plus apparent, et ce sont ces traductions, imprécises mais plus satisfaisantes, que la plupart d'entre nous connaissent : « Cependant Caïn dit à son frère Abel : "Allons dans le champ... " » Naturellement, l'impulsion qui pousse à modifier un texte pour qu'il dise ce que nous voulons qu'il dise n'est pas nouvelle, ni dans l'érudition biblique -- nous l'avons déjà vu --, ni ailleurs. Friedman, le commentateur moderne, semble moins perturbé par cela que ne l'est Rachi et, s'en tenant au caractère pratique contemporain, efficace et bien intentionné, qui caractérise son approche, fournit une explication parfaitement raisonnable de l'étrange syntaxe du texte en question : « Les mots de Caïn, écrit-il, semblent avoir été sautés dans le texte massorétique [les textes hébraïques retranscrits sur des copies remontant aux années 900] par un scribe dont l'oeil passe de la première phrase contenant le mot "champ " à la seconde. » Pour quiconque connaît un peu l'étude des traditions manuscrites, cela peut paraître une explication plausible : un scribe vénérable, au moment où il s'est assis devant un vénérable manuscrit, aujourd'hui perdu, de la Torah qu'il recopiait assidûment, et au moment où il s'apprêtait a écrire la phrase aujourd'hui perdue, « Allons dans le champ », la remarque faite par un frère à l'autre, a fermé les yeux dans un moment de lassitude ; de sorte que, lorsqu'il a de nouveau bougé la main pour écrire, l'oeil fatigué, à présent rouvert, était déjà concentré sur ce qui était en fait la seconde occurrence du mot « champ » - le mot tel qu'il apparaît dans la ligne que nous avons encore, la ligne qui n'a pas été perdue : « Et quand ils étaient dans le champ... » Et comme il était fatigué, puisqu'il n'était qu'humain, après tout (et nous savons quelles erreurs la mémoire humaine est capable de commettre), c'est la ligne qu'il a écrite en fait, n'ayant jamais écrit en réalité la ligne qui disait « Allons dans le champ » (ou quelque chose de très proche de ça) ; et à cause de cette minuscule erreur, cette petite ligne, qui, si elle avait existé, aurait éliminé une lecture perturbante de ce texte qui fait autorité parmi tous les textes, a été irrémédiablement perdue. Et pourtant la perte de cette ligne ne semble pas ennuyer Rachi outre mesure ; ou du moins a-til une explication également convaincante sous la main -- même si son explication est plus psychologique que mécanique. Son commentaire sur la demi-phrase que nous traduisons par « Et Caïn dit à son frère Abel » se développe de la façon suivante : « Il est entré avec lui dans des mots de querelle et avec l'intention de trouver un prétexte contre lui, pour le tuer. » Pour

« toujours envie ;elle vivait enbas delaroute.

Peut-être quecette Olgaserait enmesure de nous direquelque chose. Nous noussommes levéstousensemble, Ninaprenant avecautorité latête delaprocession – elle nousavait clairement adoptés,nousetnotre quête – etnous avons descendu laroute en direction dechez Olga. La route quenous avions empruntée pourallerdel'appartement deNina àla maison d'Olga, nous l'avons découvert parlasuite, étaitlaroute quiconduit ducentre delaville aucimetière, en passant parlavieille scierie.

Maintenant quenous marchions surcette route etavant que Maria nenous quitte, nousluiavons demandé comment lesJuifs etles Ukrainiens s'entendaient avantlaguerre.

Nousavions, bienentendu, faitnos recherches etnous savions donc déjàtoutconcernant lessiècles decompétition économique etsociale entreJuifset Ukrainiens :les Juifs, sansnation, politiquement vulnérables,dépendantsdesaristocrates polonais quiétaient lespropriétaires deces villes etpour quilesJuifs, afind'assurer leur sécurité, travaillaient commeintendants, toutenleur prêtant deleur argent ;les Ukrainiens qui, pour laplupart, travaillaient laterre, quisesituaient auniveau leplus basdutotem économique, unpeuple dontl'histoire, ironiquement, étaitàbien deségards comme uneimage dans unmiroir, oupeut-être commeunnégatif photographique, decelle desJuifs :un peuple sans Etat-nation, vulnérable,oppressépardes maîtres cruelsdumême acabit-comtes polonais ou commissaires soviétiques.C'étaitenraison decet étrange effetdemiroir que,précisément, les choses avaient évolué,verslemilieu duXXe siècle, selonlaterrible logiqued'unetragédie grecque, delamanière suivante :ce qui était bonpour undeces deux groupes, quivivaient côte àcôte dans cesvilles minuscules depuisdessiècles, étaitmauvais pourl'autre.

Lorsque les Allemands, en1939, avaient cédélapartie orientale delaPologne (qu'ilsvenaient deconquérir) à l'Union soviétique autitre dupacte germano-soviétique, lesJuifs delarégion s'étaient réjouis, sachant qu'ilsvenaient d'êtredélivrés desAllemands ;mais lesUkrainiens, peuple farouchement nationalisteetfier, avaient souffert souslesSoviétiques, quiétaient alors décidés àécraser l'indépendance ukrainienneetles Ukrainiens.

ParlezauxUkrainiens du XX e siècle, comme nous l'avons souvent faitaucours decevoyage, etils évoqueront leur holocauste àeux, lamort, danslesannées 1930,decinq àsept millions depaysans ukrainiens, affamés parlacollectivisation forcéedeStaline...

Labonne chance miraculeuse desJuifs de Pologne orientale, en1939, adonc étéundésastre pourlesUkrainiens delamême Pologne orientale.

Al'inverse, lorsqueHitleratrahi, deuxansplus tard, lepacte germano-soviétique et envahi lapartie delaPologne qu'ilavait donnée àStaline, celaaconstitué, évidemment, un désastre pourlesJuifs, maisunebénédiction pourlesUkrainiens, lesquelssesont réjouis de l'arrivée desnazis quileslibéraient deleurs oppresseurs soviétiques.Ilest remarquable de penser quelesdeux groupes quiont vécu dans unetelle proximité pendanttantd'années aient pu être àce point différents, souffriretexulter derevers defortune àce point différents et même opposés. C'était enconnaissance decause quenous avions demandé àAlex d'interroger Mariasurla façon donts'étaient traitésautrefois lesJuifs etles Ukrainiens. Tout lemonde s'entendait bien,pourlaplupart, a-t-ilrépondu aprèsavoirparlé pendant un moment avecMaria.

Elleditque lesenfants jouaient souventensemble surlaplace, les Ukrainiens etles Juifs ensemble. C'est parce quejesavais fortbien oùpouvait menerlefait dejouer ensemble – comment sous le bien seconnaître, laconnaissance mutuelle,peutsecacher unseconnaître tropbien – que j'ai posé cequi me paraissait êtrelaquestion logiquesuivante.

Yavait-il eudes Ukrainiens qui. »

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