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Sur le bord sablonneux - Recueil de vers - Je disais l'autre jour - Pierre de Marbeuf

Publié le 22/02/2012

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Je disais l'autre jour ma peine et ma tristesse Sur le bord sablonneux d'un ruisseau, dont le cours Murmurant s'accordait au langoureux discours Que je faisais, assis proche de ma maîtresse. L'occasion lui fit trouver une finesse : " Silvandre (me dit-elle), objet de mes amours, Afin de t'assurer que j'aimerai toujours, Ma main dessus cette eau t'en signe la promesse. " Je crus tout aussitôt que ces divins serments, Commençant mon bonheur, finiraient mes tourments, Et qu'enfin je serais le plus heureux des hommes. Mais, ô pauvre innocent, de quoi faisais-je cas ! Étant dessus le sable, elle écrivait sur l'onde, Afin que ses serments ne l'obligeassent pas. - Pierre de Marbeuf - Recueil de vers

« En premier lieu, ce sonnet s'annonce comme un bref récit.

Il en présente d'abord les éléments constitutifs habituels: le lieu est donné par le " bord sablonneux d'un ruisseau " (vers 2) tandis que le temps est indiqué succinctementpar un " autre jour " (vers 1).

Quant aux personnages, ils sont au nombre de deux : une femme qui est la " maîtresse" (vers 4) - au sens d'amoureuse - et " Silvandre " (vers 6).

Quant à l'action, elle est réduite à quelques élémentsqui suivent la structure du sonnet : dans le premier quatrain, le berger se plaint à sa belle qui lui répond dans lesecond quatrain par une déclaration d'amour ; dans le premier tercet, le berger aurait pu s'estimer " le plus heureuxdu monde " (vers 11), mais les serments écrits sur " l'onde " à partir d'une base de " sable " (vers 13) démasquent lajeune femme.

Tous les éléments sont donc réunis pour nous conter une courte histoire d'amour déçu.Ce récit est d'autant plus apparent que les temps employés en marquent clairement les différentes étapes.

Ainsi, ledécor est planté dans le premier quatrain par l'imparfait qu'on retrouve dans les verbes " disais " (vers 1), "s'accordait " (vers 3) et " faisais " (vers 4).

Le passé simple intervient quand la belle prend l'initiative de répondredans le deuxième quatrain : " fit " (vers 5) et " dit " (vers 6) indiquent cette étape.

Le premier tercet introduit lesverbes au conditionnel " finiraient " (vers 10) et " serais " (vers 11) qui plongent Silvandre et le lecteur dans l'irréel,après un seul verbe au passé simple " crus " (vers 9) qui ne laisse aucun doute sur la naïveté du narrateur puisqu'ilest suivi d'un " tout aussitôt " moqueur.

Le retour à l'imparfait dans le dernier tercet avec " faisais " (vers 12), "écrivait " (vers 13) et " obligeassent " (vers 14) au subjonctif peut alors être compris comme un retour à la réalitécruelle du début du sonnet, celle d'une " peine et [d'une] tristesse " (vers 1) qui s'imposent au " pauvre innocent "(vers 12) de Silvandre.Si l'emploi des temps rend la structure du récit particulièrement visible, un examen attentif des rimes montre tout unjeu subtil qui en trace le contrepoint.

Dès le premier quatrain, Marbeuf fait rimer " tristesse (vers 1) avec " "maîtresse ", comme s'il annonçait déjà une fin inéluctable.

Et que penser des rimes " amour " (vers 6) et " toujours "(vers 7), au demeurant si banales, quand on les voit niées par celles qui les embrassent ? Une " promesse " (vers 8)peut-elle tenir face à une " finesse " (vers 4), c'est-à-dire à un tour de langage trompeur ? De même, on ne peuts'empêcher de penser que les " serments " (vers 9) seront trahis quand ils riment avec les " tourments " (vers 10) !C'est ce jeu à la rime qui tisse une sorte de rythme aussi bien musical que narratif puisqu'il nous avertit, dès ledébut du sonnet, que les deux personnages ne pourront pas s'entendre car l'un des deux triche.Présence des éléments constitutifs de tout récit, emploi nuancé des temps et jeu avec les rimes, autant d'indicesqui conduisent à voir dans ce sonnet une histoire d'amour, brève, mais marquée par les tensions entre les deuxprotagonistes. En effet, Silvandre et sa belle s'opposent tout au long du sonnet.

On remarque que sa structure même les sépareconstamment.

Le premier quatrain est consacré au berger, ce qu'indique le pronom personnel " je " (vers 1 et 4)tandis que le second quatrain l'est à la jeune femme qui répond avant que les réflexions du berger ne suivent dans lepremier tercet.

Finalement, ce n'est que dans le dernier tercet, lorsque le narrateur devient lucide, que les amoureuxse retrouvent pour mieux se découvrir irrémédiablement opposés.

Le mot " serments " qui devrait les réunir est reprisdans la chute du sonnet dans une subordonnée de but dont le verbe est au subjonctif imparfait : nous sommes dansl'irréel, bien loin du " toujours " (vers 7) proclamé par la bergère.

Le sonnet semble donc bâti pour séparer lesamoureux.Si Silvandre et sa " maîtresse " sont séparés par la structure du poème, l'effet est renforcé par l'évolution dessentiments du narrateur.

Au début, c'est le registre élégiaque qui domine à travers la " peine " et la " tristesse "(vers 1) ou encore le " langoureux discours " (vers 3).

L'emploi du mot " maîtresse " (vers 4) ne laisse aucun doutesur les sentiments éprouvés par Silvandre, et la nature même participe à son amour avec le " cours murmurant "(vers 3).

Cependant, après les déclarations de la belle, la naïveté sature le premier tercet : de " crus tout aussitôt "(vers 9), " divins serments " (vers 9), " mon bonheur " (vers 10), jusqu'au " plus heureux des hommes " (vers 11)semble se dessiner un véritable paradis terrestre, détruit de l'intérieur par les conditionnels " finiraient " (vers 10) et" serais " (vers 11) et surtout l'emploi du mot " tourments " à la rime, au milieu du tercet.

Finalement, la conjonctiond'opposition " mais " (vers 12) qui inaugure le dernier tercet, l'apostrophe " ô pauvre innocent " (vers 12) quis'adresse à Silvandre lui-même et l'exclamative qui le suit sont les signes de la prise de conscience de cettenaïveté.

De la souffrance à la lucidité en passant par un bref moment de bonheur où l'amour s'aveugle, tel est leparcours en quelques vers du narrateur berné.Parallèlement à cette évolution, la jeune femme délivre un double message : par son discours elle dit aimer Silvandreet par ses gestes elle nie tout engagement.

Aux termes convenus d'un amour précieux rendu par la " promesse "(vers 8) et l'" objet de mes amours " (vers 6), renforcés par la rime tout aussi convenue avec " toujours " (vers 7),répond la " finesse " (vers 5) qui résume les paroles de la femme.

Finalement, peu importe les paroles circonscritespar le discours direct puisque leur caractère mensonger est annoncé d'emblée.

Déjà suspect, l'engagement n'est-ild'ailleurs pas encore affaibli par la signature sur l'" eau " ? Que vaut une telle signature ? La réponse est donnéedans le dernier tercet, lorsque le narrateur prend conscience de sa naïveté : la signature " sur l'onde " (vers 13)n'oblige à rien, d'autant plus que la femme est sur " le sable " (vers 13).

Ces deux éléments meubles sont alors lesvéritables révélateurs de la tromperie de la jeune femme.De cette opposition des deux personnages, aussi bien dans la structure du sonnet que dans les manifestationsparticulières de chacun des protagonistes, on peut tenter de tirer une morale.

N'est-ce pas ce à quoi nous invitePierre de Marbeuf ? Ce sonnet peut en effet être considéré comme un apologue.

Tout d'abord, le cadre paraît conventionnel : " sable "et " onde " (vers 13) qui reprennent " sablonneux " et " ruisseau " (vers 2) sont des motifs fréquents chez les poètesbaroques qui apprécient particulièrement tout ce qui est fluide, instable et ne peut donc se laisser saisir.

La syntaxedu premier quatrain nous entraîne dans ce " cours " (vers 2) en multipliant les enjambements avec le contre-rejet "dont le cours " (vers 2) suivi du rejet " que je faisais " (vers 3).

On a vu par ailleurs que le vocabulaire amoureux estcelui des conversations précieuses de l'époque, et aujourd'hui encore, " amour " et " toujours " riment dans plus. »

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