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Succès final pour Bill Clinton

Publié le 17/01/2022

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12 février 1999 Bill Clinton a été acquitté des deux chefs d'inculpation portés contre lui par la Chambre des représentants. Par son vote, vendredi 12 février à 12 h 30, le Sénat a décidé qu'il n'était pas coupable de parjure, ni d'obstruction à la justice. Il s'agit d'une victoire pour le président, puisque non seulement la majorité requise des deux-tiers pour obtenir sa destitution (67 voix) n'a pas été atteinte, mais l'accusation n'aura même pas obtenu la satisfaction morale d'un vote à la majorité de 51 sénateurs sur 100, qui lui aurait permis de prétendre à une victoire symbolique. Le front des démocrates a tenu, et les arguments des procureurs républicains n'ont pas convaincu tous leurs amis politiques. Au contraire, les sénateurs ont rejeté par 55 voix contre 45 l'accusation de "parjure", et se sont également divisés 50-50 sur l' "obstruction à la justice". Les 45 démocrates, eux, ont voté unanimement en faveur du président, mais 5 républicains ont repoussé l'obstruction à la justice - les sénateurs Chafee (Rhode Island), Collins et Snowe (Maine), Jeffords (Vermont) et Specter (Pennsylvanie), tous issus des milieux wasps du Nord-Est) -, et 10 (les 5 précédents plus les sénateurs Gorton, Shelby, Stevens, Thompson et Warner) - soit bien plus que prévu -, le parjure. Incident de eéance Au fur et à mesure que le greffier de la Chambre haute faisait l'appel des présents et annonçait leur vote, il apparaissait clairement que les managers (procureurs républicains) avaient perdu la partie. Le seul incident de séance a été dû au républicain Arlen Specter, qui aurait souhaité voter "non prouvé", comme le prévoit le droit... écossais, mais non américain, et qui a été contraint de se ranger dans le camp de ceux qui ont voté "non coupable". Il ne restait plus au Sénat qu'à clore sa session exceptionnelle de cinq semaines, au cours de laquelle ses membres s'étaient transformés en juges et jurés sous la houlette du président de la Cour suprême, William Rehnquist. Après avoir débattu sans succès d'un texte de censure contre le président, souhaité par les démocrates et quelques républicains, la Chambre haute s'est mise en vacances jusqu'au 22 février. Ce qui devrait permettre à la vie politique de se calmer après plus d'une année de crise. Comme tout le monde l'a répété vendredi : il est temps de repartir de l'avant et de se remettre au travail dans l'intérêt du peuple américain. Dans cette procédure, le Sénat a joué le rôle que lui avaient imparti les Pères fondateurs, et qui avait été si bien décrit par George Washington : le Sénat, avait-il dit, est comme la soucoupe dans laquelle on verse le breuvage brûlant issu de la Chambre des représentants, pour le refroidir. Bien que les votes aient souvent eu lieu sur des bases partisanes, les deux leaders, celui de la majorité, Trent Lott, et de la minorité, Tom Daschle, ont tout fait pour que les débats se déroulent de la manière la moins conflictuelle possible. Symbole de la différence entre les deux Chambres, tous les sénateurs confondus ont réservé une ovation à M. Daschle et M. Lott, alors que la session au cours de laquelle les représentants avaient voté l' impeachment du président, le 19 novembre, s'était close dans une atmosphère d'acrimonie et de division. On attendait de Bill Clinton qu'il tire la leçon de ce mauvais rêve dans lequel son comportement a plongé les Etats- Unis. En même temps, certains craignaient qu'il fasse preuve de trop de satisfaction, voire de triomphalisme. Il n'en a rien été. Le président est apparu bref, contrit, prêt au pardon et à la réconciliation. S'adressant aux Américains à la télévision, dans le Rose Garden de la Maison Blanche, il a parlé moins de deux minutes, d'une voix émue, la tête baissée. On était loin du meeting improvisé sur ce même gazon le 19 décembre avec les représentants démocrates. Mais cette victoire n'est pas un triomphe - sinon tactique -, et elle n'efface pas l'inconduite du président. Celui-ci reste marqué par l'infamie de l' impeachment. Cette tache est indélébile, à moins qu'un futur Congrès ne décide de l'effacer, comme ce fut le cas pour l'autre président menacé de destitution au siècle dernier, Andrew Johnson. Elle risque d'affaiblir encore plus ce qui lui reste d'autorité morale au cours des deux années de mandat qui lui restent. Ses adversaires lui pardonneront-ils ? Le plus acharné, Henry Hyde, le chef des managers, a indiqué que, personnellement, il ne souhaitait pas que Bill Clinton soit inculpé de crimes par le procureur Starr, car il serait malséant de voir un président derrière les barreaux. Cette perte de confiance aura été le leitmotiv du débat qui s'est tenu à huis clos de lundi après-midi à vendredi matin au Sénat. Il n'est pas un seul des cent sénateurs qui n'ait, souvent en des termes sans appel, fustigé son aventure avec Monica Lewinsky et la manière dont il s'est efforcé de la dissimuler. Ainsi la démocrate Dianne Feinstein a-t-elle déclaré : "Laissez-moi être parfaitement claire : je ne ferme pas les yeux sur le comportement du président. Je ne le défend pas et je ne l'accepte pas. Sa conduite, qui est au coeur des accusations, est déplorable. Il a agi de manière immorale, imprudente, scandaleuse. Il a sciemment trompé le peuple américain, les membres de son cabinet, ses subordonnés et le système judiciaire. Ce faisant, il a apporté la honte et le déshonneur sur l'institution présidentielle et plus spécialement sur lui-même". Préoccupations électorales La républicaine Olympia Snowe, qui a voté contre la destitution, jugeant que les fautes du président ne le justifiaient pas, a toutefois dit : "Ne vous y trompez pas, je trouve sa conduite déplorable et indéfendable. Si j'étais un de ses partisans, je l'abandonnerais. Si j'étais directrice de journal, je ferais des éditoriaux contre lui. Si j'étais historienne, je le critiquerais. Si j'étais procureur, j'ouvrirais une instruction contre lui. Si je faisais partie d'un grand jury, je le mettrais en examen. Si j'étais jurée, je le condamnerais pour avoir tenté d'influencer de manière illicite un témoin potentiel en vertu du titre 18 du Code des Etats-Unis". Les termes les plus sévères n'ont donc pas tous été l'apanage de ceux qui ont voté en faveur de la destitution de Bill Clinton. Plusieurs sénateurs ont toutefois assorti leur condamnation du président d'une condamnation aussi forte des méthodes de l'accusation, et en particulier de Kenneth Starr. Ainsi, le démocrate Robert Torricelli, après avoir affirmé que Bill Clinton avait "déshonoré sa fonction", a ajouté : "Toutefois, la manière dont cette affaire a été présentée devant nous a été tout aussi honteuse. Nous avons dû supporter l'acharnement sans fin d'un procureur partial contre un président démocratiquement élu. Nous avons dû regarder silencieusement des managers présenter une cause qui ne tenait pas juridiquement". Son collègue Charles Schumer qui, avant d'être élu sénateur en novembre, était membre de la commission judiciaire de la Chambre, laquelle a lancé la procédure en destitution, a ajouté que tout cela avait été rendu possible "parce qu'un petit groupe de gens, qui haïssent Bill Clinton et sa politique, ont exploité habilement les institutions auxquelles nous tenons et ont failli réussir". Ces propos expliquent l'attitude, apparemment contradictoire, de la majorité des sénateurs, qui ont condamné moralement le président tout en se refusant à en tirer les conséquences. La politique y est pour quelque chose, l'habileté du leader démocrate Tom Daschle - qui est parvenu à maintenir la discipline de son groupe, rongé par la colère et le ressentiment - aussi. Les préoccupations électorales n'ont pas non plus été étrangères au choix de quelques républicains. Mais surtout, ce verdict est une gifle pour des managers qui ont trop souvent confondu faits et opinions, réquisitoire juridique et croisade partisane. Après ce fiasco, il faudra sans doute longtemps avant que la Chambre ne vote à nouveau l' impeachment d'un président. PATRICE DE BEER Le Monde du 15 février 1999

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