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Sénèque, La vie heureuse, XIII, 1, 2, 3. Commentaire.

Publié le 29/09/2012

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« Qu'on cesse donc de joindre deux choses incompatibles, de lier la volupté à la vertu, méthode vicieuse qui flatte les hommes les plus mauvais. L'homme qui s'abandonne aux voluptés, toujours dans les hoquets de l'ivresse, parce qu'il sait qu'il vit avec la volupté croit vivre aussi avec la vertu ; car il entend dire que la volupté ne peut être séparée de la vertu ; alors il inscrit « sagesse « au-dessus de ses vices et proclame ce qu'il devrait cacher. Ainsi ce n'est pas poussés par Épicure qu'ils se livrent à la débauche ; mais adonnés au vice ils dissimulent leur débauche dans le sein de la philosophie et se précipitent là où ils entendent faire l'éloge de la volupté. Ils n'envisagent pas combien cette volupté d'Épicure (c'est mon avis en tout cas) est sobre et sèche, mais c'est le mot de volupté qui les fait accourir, à la recherche d'une excuse et d'un voile pour assouvir leurs passions. Ainsi ils perdent le seul bien qu'ils conservaient dans leurs maux, la honte de la faute ; ils font l'éloge de ce qui les faisait rougir et se glorifient de leurs vices ; à tel point qu'il n'est plus possible à la jeunesse de s'amender puisqu'un titre honorable est joint à un honteux abandon. «

 

Sénèque, La vie heureuse, XIII, 1, 2, 3.

 

 

Comment concilier vertu et bonheur ? Le plaisir exclut-il nécessairement la vertu ? Si « tout le monde veut une vie heureuse « comme le dit Sénèque dans le même ouvrage au livre I, toute la problématique est de savoir comment accéder au bonheur ? De facto, dans cet extrait, la thèse implicite est celle qu’il défend en écrivant ouvertement ailleurs que « le bonheur véritable est placé dans la vertu «. Toutefois, Sénèque n’en demeure pas à ce constat. Il propose au contraire la tâche de lever « le but où nous tendons, et la voie par laquelle nous diriger «. Le chemin vers le bonheur s’il est jalonné de difficultés non seulement ne nous est pas interdit ne constituant pas en soi une aporie, mais tient à notre incapacité à le discerner. « Ce bien n’est pas loin, on le trouvera, il n’est besoin que de savoir où étendre les mains « (Ibid., III). C’est dire que le bonheur est à la portée de tous. Et conséquemment, nous sommes seuls responsables de notre malheur. La vie malheureuse ne vient pas des turpitudes et des vicissitudes de l’existence. Elle ne découle pas de la dureté d la vi humaine ni du monde extérieur.

 

« est bon qui est honnête », écrit-il.

Il n’y a qu’un bien, la vertu, il n’y a qu’un mal, le vice, tout le reste est indifférent.

Le sage, c’est-à-dire l’homme vertueux est donc proclamé heureux même dans les souffrances et dans la servitude.

Tout en se prononçant pour l’identité vertu-bonheur, Sénèque oppose radicalement vertu et volupté.

« On rencontre la vertu au temple, au forum, à la curie, debout devant les remparts, couverte de poussière, le visage hâlé, les mains calleuses ; la volupté le plus souvent furtive et amie des ténèbres, aux abords des bains, des étuves…dégoutante de vin et de parfums, pâle, fardé, embaumée comme un cadavre.

» La catégorie du bonheur conduit Sénèque à un sérieux et sévère examen de la thèse selon laquelle le souverain bien trouverait sa voie dans le plaisir.

Pour lui, il serait un fol espoir de chercher le bonheur dans la satisfaction des désirs.

Car rechercher la plénitude dans la réalisation des désirs, c’est se condamner soi- même à éprouver sans cesse la vacuité que l’on tente de combler.

De là « une vie inquiète soupçonneuse agitée, redoutant les hasards, suspendues aux circonstances » ( Ibid.

).

L’argument puissant est de montrer que le plaisir qui naît de la satisfaction du désir est à lui-même sa propre négation « le plaisir arrivé à son plus haut point s’évanouit, après un premier élan le plaisir se flétrit.

Ayant son essence dans le mouvement, il est toujours indéterminé » ( Ibid .).

L’effacement du plaisir n’est autre que la souffrance.

À quoi s’ajoute que celui qui place son bonheur dans la satisfaction de ses désirs se condamne à vivre dans la crainte permanente de ne pas obtenir ce à quoi il aspire, ou de perdre ce qu’il a obtenu.

Embarqué dans les méandres de la fortune, du hasard, il se fait lui-même l’esclave des événements mondains et ainsi se voit retirer toute possibilité de se rattraper, plaçant son bonheur dans ce qui ne dépend pas de lui.

Devenir heureux requiert qu’on renverse la logique de l’ordre du désir et de l’ordre du monde.

Si on peut s’accorder sur le fait que le bonheur naît de l’accord entre le désir et le monde de telle sorte que tout arrive selon nos vœux, ce que l’on voit moins c’est que parvenir à cette concordance peut s’exercer de deux manières.

Ou nous transformons le monde pour qu’il se plie à l’ordre du désir, ou nous modifions nos désirs pour qu’ils suivent l’ordre de la Nature.

La première voie est folie.

Ce serait non seulement manquer la visée à laquelle on tend, mais ce serait dans le même temps faire une faute contre la raison.

Le stoïcisme repose sur la ferme conviction que l’ordre naturel est rationnel, que tout ce qui arrive, arrive en fonction d’un destin comme enchaînement rationnel de causes à effets.

L'univers est l'effet d'une cause agissant selon une loi nécessaire, si bien qu'il est impossible qu'aucun événement n'arrive autrement qu'il arrive effectivement.

Dieu, la raison, la nécessité des choses, le destin, sont autant de synonymes de la rationalité intégrale du monde.

Le destin est l'universelle raison, l'intelligence qui commande aussi bien aux faits qui nous révoltent comme la maladie ou la mort, qu'à eux qui ont notre agrément.

Tout ce qui arrive est conforme à la nature universelle et nous ne parlons de choses contraires à la nature que relativement à la nature d'un être particulier détaché de l'ensemble.

Je peux par exemple désirer que moi- même ou ceux que j'aime soyons immortels, mais la mort, même la mienne, est une loi de la nature.

Je ne la trouve insupportable que lorsqu'elle m'affecte, et c'est cette affection qui perturbe mon jugement.

Vouloir être immortel est une absurdité indigne d'un être raisonnable, c'est vouloir substituer l'ordre de mon désir à l'ordre de la nature, c'est vouloir que mon désir gouverne le monde, c'est substituer le singulier à l'universel.

Tout être obéit nécessairement au destin mais la raison égarée essaie d'y résister et d'opposer au bien universel le fantôme d'un bien propre, qu'il s'appelle santé, richesse, honneur, etc.

Le sage au contraire accepte avec réflexion les événements qui résultent du destin. On voit dès lors que la philosophie de Sénèque ne se réduit pas à un simple art de vivre.

C'est une morale certes, mais tout entière appuyée sur une métaphysique de la Nature.

Cette métaphysique de la Nature rend impossible toute accusation de résignation.

On compare souvent le renoncement du sage à l'attitude du renard de la fable de La Fontaine, qui trouve trop verts les raisins qu'il ne peut pas cueillir et par une conduite magique transforme l'objet de son désir en objet de répulsion.

Rien de tel chez Sénèque et les Stoïciens en général.

L'acceptation du destin n'est pas la résignation à un devenir irrationnel, mais la connaissance des êtres et des choses pour ce qu'ils sont.

Il ne s'agit pas de la soumission passive à un ordre. »

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