PEUT-ON APPRENDRE À VIVRE ?
Publié le 09/04/2012
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sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher » (Descartes, Les Principes de la
Philosophie ) ? Certes, on peut vivre bien sans philosophie, mais on ne peut vivre mieux.
Vivre mieux,
c’est toujours plus que vivre bien.
La prétention du sens commun contre la philosophie nous oblige
à un effort de conceptualisation pour concevoir ce que peut être le vivre quand il n’est pas éclairé
par la philosophie.
Ainsi, à l’homme qui place le souverain bien et donc le bonheur dans une vie de
plaisirs sans cesse renouvelés, et écarte la philosophie comme un trop long chemin, comme trop
moralisatrice, la philosophie montre que « ce ne sont pas les beuveries et les orgies continuelles, […]
les mets qu’offre une table luxueuse, qui engendrent une vie heureuse, mais la raison vigilante qui
recherche minutieusement les motifs de ce qu’il faut choisir et de ce qu’il faut écarter ».
(Épicure,
Lettre à Ménécée, § 132).
À celui qui a faim, point n’est besoin de plats compliqués : du bon pain et
de l’eau suffisent.
Le plus est ici ennemi du bien.
Le mieux vivre passe par un changement qualitatif
et non par l’accroissement quantitatif.
Paradoxalement, le mieux vivre est inséparable d’une
absence, d’un manque : ou plutôt, le trop plein de plaisirs superflux est lui-même manque.
L’homme
qui ne sait pas distinguer les désirs nécessaires de ceux qui ont pour source dans l’opinion, et qui
courre inlassablement après des plaisirs qui ne sont jamais nouveaux, ne saurait vivre bien : il ne vit
même pas.
Il se survie à lui-même.
Vivre sans philosopher, c’est donc ne pas vivre.
Vivre ainsi, c’est mener une vie aveugle que
connaissent les prisonniers de la Caverne peints par Platon ( République, L.
VII).
Assis dans une
Caverne sombre, ne pouvant bouger librement, les prisonniers ne voient des choses que des ombres
projetées sur les murs de leur prison.
Un feu sans lumière éclaire à peine ces ténèbres où les
hommes rivalisent entre eux à qui distinguera le mieux les reflets qui peuplent leur monde.
« Voilà
[…] un étrange tableau et d’étranges prisonniers — ils nous ressemblent ….
».
L’allégorie de la
Caverne décrit en fait l’état naturel d’ignorance où sont les hommes : état où les ombres et les
apparences sont prises pour les choses elles-mêmes.
Cette vie est caractérisée par le règne de
l’illusion.
On peut donc parler d’une misère de l’homme sans philosophie.
C’est pourquoi on peut
aussi parler d’une grandeur de l’homme avec le philosopher.
Que change en effet la philosophie ? Le
prisonnier que l’on détache découvre, en dehors de la Caverne, un monde illuminé par le vrai où il
contemple les choses elles-mêmes, c’est-à-dire les Idées.
Il recouvre la vue.
La philosophie est une
authentique conversion à la seule forme de vie qui soit un mieux vivre : la vie contemplative.
C’est pourquoi on peut dire que la vie sans la philosophie est une vie morte et que l’homme
qui se détourne de la pensée philosophique est un mort vivant.
La vie des prisonniers de la caverne
est une mort.
La vie de l’homme affamé de plaisirs est une mort recommencée à chaque instant.
Or
en un sens, l’homme a l’illusion de bien vivre lorsqu’il parvient précisément à oublier la mort : à
oublier que le « but de notre carrière, c’est la mort ; c’est l’objet nécessaire de notre visée »
(Montaigne, op.
cit, p ; 199).
L’homme cherche le mieux vivre non pour lui-même mais par peur de la
mort.
Car l’angoisse de la mort est le poison de la vie.
Elle est la source unique de tous les troubles
qui s’emparent de l’âme.
Elle est la raison pour laquelle le bien vivre consiste pour l’homme dans le
« divertissement », au sens que lui donne Pascal.
Mais, c’est au fond parce que sa vie est une mort
que la peur de la mort obsède l’homme..
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